Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Ils (et elles) ont obtenu leur 1er dan il y a quelques semaines. Une étape importante dans leur vie de karatékas, et souvent dans leur vie tout court. Rencontres avec les nouvelles ceintures noires du karaté français à travers toute la France. Une série de témoignages avec, en creux, leurs motivations, leurs doutes, leurs espoirs, la relation à leur professeur, leur club et leur partenaire. Le karaté et eux, épisode 4 de cette nouvelle rubrique du MAG’ que vous êtes de plus en plus nombreux à consulter.
Jennifer Gagliardi
« Déjà envie d’enseigner »
« Ce sont mes sœurs, qui pratiquaient, qui m’ont donné envie d’essayer le karaté. C’est devenu très vite une passion, sans doute parce que le karaté apporte un certain nombre de valeurs : le respect, la modestie -il faut savoir garder la tête sur les épaules, car on peut monter très vite et redescendre d’un coup- ou la maîtrise de soi. Au club, nous avons monté une équipe féminine kata, dont je suis la capitaine depuis un an et demi. Cela ajoute des responsabilités. Quand elles ne viennent pas ou quand elles lâchent pendant l’entraînement, je les relance, les motive. Je me dois de montrer l’exemple. J’ai plein d’objectifs pour la suite : d’abord essayer d’avoir de bons résultats avec l’équipe, car j’aime la compétition. Ensuite, j’ai passé mon concours de jeune arbitre et j’espère avoir le titre officiel bientôt. C’est un autre aspect qui m’intéresse. L’avenir ? J’aimerais enseigner. J’y pense depuis cette année. J’ai envie de transmettre, notamment aux plus jeunes, de 4-5 à 10 ans. Mais bon, avec le lycée (je suis en seconde générale), pour l’instant, c’est un peu compliqué au niveau du timing.»
L’avis du prof – Jean-Lou Poignant, 53 ans, 5e dan
« Le karaté lui a apporté un vrai épanouissement personnel »
« Jennifer est très sérieuse, appliquée et impliquée au sein du club. C’est une élève que j’apprécie pour sa volonté, son intelligence et la joie de vivre qu’elle apporte. Sérieuse car quand il s’agit de préparer une compétition ou un passage de grade, ou tout simplement s’entraîner, elle le fait toujours avec envie. Impliquée car elle n’hésite pas à donner un coup de main aux entraînements des plus petits. Jennifer s’est aussi, depuis quatre ans, impliquée dans l’arbitrage départemental, régional puis national. Elle a d’ailleurs participé aux championnats de France pupilles à Saint-Quentin-en-Yvelines comme arbitre et a fini troisième d’un petit concours entre eux. Le karaté lui a apporté de la stabilité, du mental, une forme de confiance en soi, d’épanouissement personnel clairement. Elle a une enfance difficile à évacuer, le karaté lui permet de s’évader. Ses qualités ? La ténacité, la sincérité, le respect des autres. D’autres valeurs viendront avec le temps mais ne brûlons pas les étapes, le karaté est un long chemin. Je lui ai donné le rôle de capitaine d’équipe kata cette année au sein des cadettes pour la responsabiliser, elle l’a a pris très au sérieux. »
Shotokan Karaté-Do Mery/Drumettaz (Savoie)
16 ans, 12 ans de pratique, lycéenne en seconde générale
Wilfried Renard
« Du sens dans le lien aux autres »
« J’ai commencé à pratiquer le karaté à l’âge de sept ans. J’étais un enfant turbulent à l’époque et le karaté m’a canalisé, je suis moins nerveux maintenant. Mon entraîneur Jean-Michel Couturier, est extraordinaire. C’est une rencontre très importante dans ma vie. D’ailleurs, il est impossible pour moi d’imaginer faire du karaté dans un autre club. J’aime beaucoup les combats et les katas mais ma préférence se tourne vers les actions que nous menons, sous forme de compétitions, en milieu carcéral. Pendant une journée, et le temps d’une compétition, nous nous retrouvons dans une prison avec des détenus et des arbitres. C’est un moment où nous sommes coupés du monde, sans portable ni moyen de communication vers l’extérieur. J’y trouve beaucoup de sens dans le lien aux autres. Mon premier dan représente une évolution, une satisfaction après des années de travail. J’avais validé la technique en 2012 puis j’avais dû arrêter le karaté pendant trois ans pour des raisons professionnelles. J’ai réussi mes cinq compétitions l’année dernière. Désormais, j’ai la tête à mon deuxième dan, mais je vais aussi passer mon diplôme de professeur pour transmettre ce que l’on m’a appris aux plus jeunes. »
L’avis du prof – Jean-Michel Couturier, 60 ans, 3e dan
« Heureux qu’il veuille passer son DIF »
« Après une période où il a été très assidu, Wilfried a, comme beaucoup d’autres adolescents, été moins présent pendant quelques années. Mais il est revenu au club quand il a pu. C’est quelqu’un de très gentil et d’attachant, à l’écoute sur le tapis, et d’un bon niveau en compétition, avec plusieurs performances aux échelons départementaux, régionaux et même
interrégionaux. Il n’a donc eu aucun souci à obtenir son 1er dan. Et plutôt que d’enchaîner tout de suite sur le suivant, il nous a expliqué que son objectif était désormais de passer son DIF (Diplôme d’Instructeur Fédéral). Ce qui nous a fait évidemment plaisir, professeurs vieillissants que nous sommes ! (rires) Avoir un jeune professeur pour les accompagner sera bénéfique pour nos pratiquants, d’autant qu’ils le respectent rien que par ses résultats. C’est quelqu’un de posé, à qui l’on doit même parfois dire d’élever la voix pour faire passer ses consignes, en qui j’ai confiance et sur qui le club va pouvoir compter dans la mesure de ses disponibilités. »
Saintes KC (Charente-Maritime)
25 ans, 15 ans de pratique, menuisier
Hugo Bray
« Le contrôle et une forme de vérité »
« J’ai commencé le karaté à l’âge de trois ans, dans ce club. Mes parents m’y avaient inscrit et, ils me le rappellent, je pleurais tout le temps au début (rires) ! C’est vers six-sept ans que cela a commencé à me plaire. Pourquoi ? À cause de la compétition. J’ai tout de suite trouvé quelque chose dans cet affrontement avec l’autre, et avec soi-même. Le fait que je gagnais a sans doute aussi un peu joué ! J’ai été plusieurs fois champion de Seine-et-Marne et j’ai participé plusieurs fois aux championnats de France minimes (en -40kg) et cadets (en -52kg). Mais j’aime aussi la compétition pour le respect qu’elle oblige, ce cadre où il se passe quelque chose, une forme de vérité sur ton envie, ton implication… J’aime aussi l’idée de connaître les règles. Un peu comme dans la vie dans la vie en fait. Je m’entraîne deux à trois fois par semaine et, quand je ne pratique pas pendant un petit moment, cela me manque très vite ! Quand j’y réfléchis, le karaté m’a permis de mieux me contrôler et d’augmenter ma capacité de travail au collège. J’étais en troisième jusqu’en juin, avec le Brevet au bout. En fait, la ceinture noire est aussi un examen et l’avoir réussi est pour moi une grande fierté. Les copains du collège étaient d’ailleurs étonnés que je puisse être ceinture noire si jeune. Mais cela donne aussi des responsabilités, notamment vis-à-vis des jeunes du club. À 18 ans, j’aimerais passer mon deuxième dan. Mais, en attendant, je veux continuer à gagner en compétition ! »
L’avis du prof – Jean-René Billaud, 53 ans, 5e dan,
« S’il y en avait cent comme lui… »
« Hugo est un gamin que j’ai vu arriver très jeune, à 3-4 ans. Au début, il était un peu timide, ne voulait pas trop faire de karaté. Mais ses parents ont insisté. Résultat : il a performé assez vite en combat et kata. C’est là qu’il y a pris goût, avec un bon niveau national. Hugo est un garçon sérieux, assidu et pour qui, je pense, le karaté a été d’une aide précieuse dans la vie. C’est cliché de le dire, mais il est un peu l’élève idéal : à l’écoute, prêt à aider les autres, sans jamais un mot déplacé. S’il y en avait cent comme lui… ! Il m’accompagne parfois pour le cours enfants ou lors de leurs compétitions. Avec 130 licenciés pour une ville de 4300 habitants, un peu à la campagne, nous sommes un club de compétiteurs, qui essaie d’amener un maximum de karatékas au haut niveau. Ce que nous réussissons avec, je pense, un certain succès. Cela fait vingt ans que j’enseigne ici et je suis assez fier de ce que nous avons construit : notre groupe adultes monte à 60-70 personnes et il est très diversifié, avec notamment le plus ancien de nos pratiquants qui a plus de soixante-quinze ans ! Un travail qui est reconnu au niveau municipal, ce qui constitue aussi une forme d’accomplissement pour moi. »
Karaté Club de La Ferté Gaucher (Seine-et-Marne)
15 ans, 12 ans de pratique, lycéen en seconde générale
Elisabeth Thierry
« Je regrette de ne pas avoir commencé plus tôt »
« Mon histoire avec le karaté a commencé en 2005. J’ai inscrit mon fils au karaté alors qu’il n’avait que six ans. J’assistais à tous les cours. À force de regarder et d’écouter, j’ai décidé de m’inscrire à mon tour en 2009. D’un naturel très réservé, mon inscription au club fût déjà un vrai défi pour moi car j’avais peur du jugement des autres. En plus, je n’avais plus fait de sport depuis la fac, donc cela remontait un peu (rires). J’ai obtenu ma ceinture marron en seulement trois années de pratique, avant que quelques pépins physiques m’empêchent de m’entraîner pendant une saison. Je compare l’obtention de ce premier dan à ce que représentait, à l’époque, décrocher mon baccalauréat. Mon objectif était de l’obtenir avant mes cinquante ans. J’ai réussi à l’avoir lors de ma cinquantième année, c’est déjà super ! Le karaté m’a apporté plus d’assurance dans ma vie quotidienne. Je n’ai plus peur de m’exprimer devant mes étudiants. Finalement, mon seul regret est de ne pas avoir commencé à pratiquer ce sport plus tôt. »
L’avis du prof – Barbaros Mutlu, 39 ans, 5e dan
« Une attitude et une sérénité nouvelles »
« Elisabeth était quelqu’un de très timide au départ, sans beaucoup de confiance en elle. Mais, après lui avoir tendu la perche pour qu’elle prenne part à nos cours d’essai, elle s’est prise au jeu, en apprenant énormément sur elle pour adopter une nouvelle posture. En général, quand des gens de son âge débutent, on a souvent affaire à des personnes sédentaires, et il n’est donc pas évident de participer à deux séances hebdomadaires, voire trois à l’approche de l’examen de grades. Je m’attache à être attentif à leur progression, en leur laissant davantage de temps qu’aux jeunes pour assimiler techniques et postures. Ce n’était pas gagné d’avance, mais elle a énormément progressé, pour atteindre un bon niveau et pleinement mériter sa ceinture noire. Aujourd’hui, elle se permet de donner des conseils d’apprentissage aux moins gradés, s’exprime sans problème avec ses partenaires, preuve de sa nouvelle attitude et de la sérénité qu’elle a su acquérir au fil des saisons. C’est l’exemple même de quelqu’un qui a pris goût au travail et à la pratique, tout en s’impliquant dans la vie du club au quotidien. Cela veut dire que le club, le groupe est capable de porter des gens jusque-là. Eh bien, c’est une belle réussite, le sens de l’enseignement. »
IMKS Karaté Colmar (Haut-Rhin)
51 ans, 7 ans de pratique, bibliothécaire
Propos recueillis par Quentin Mauclaire et Thomas Rouquette / Sen No Sen
Pour (re)lire les trois premiers épisodes d' »Objectif ceinture noire », cliquez ici.
la rédaction