L’exigence du combat, le respect du corps
Rencontre avec Olivier Massoutier, expert fédéral pour les AMVOlivier Massoutier n’est pas seulement expert fédéral pour les Arts Martiaux Vietnamiens au sein de la FFKaraté, il a longtemps été formateur en anatomie, biomécanique et physiologie du sport, au sein notamment du CREPS d’Ile de France et à la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports de l’Essonne. Passé maître en Qwan Ki Do dont il fut l’un des pionniers français, il nous parle de son art et de sa longue relation avec le karaté et sa fédération nationale.
Le Qwan Ki Do n’est pas très connu du grand public. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est un art sino-vietnamien créé en France au début des années 1980 par Pham Xuan Tong, un expert vietnamien (possédant aussi la nationalité française) qui a été inspiré et formé par un maître chinois émigré au Vietnam. C’est l’un des premiers styles enseignés par un maître vietnamien en Europe.
Quelle est la spécificité de ce style ?
On travaille beaucoup sur les combinaisons pour leurrer, créer l’ouverture et l’instabilité chez l’adversaire. Nous cherchons à le prendre en défaut en saturant sa capacité à lire la situation, à réagir de façon pertinente. On utilise la feinte, la fausse attaque, mais aussi l’attaque double, une frappe du pied droit et du bras gauche en même temps par exemple, ce qui fragilise sa défense. On aime jouer avec la distance, les angles différents, l’idée de contrer son attaque au moment où il la déploie, pour mieux le prendre en défaut. Nous sommes portés sur l’esprit d’attaque. Je dirais que le Qwan Ki Do est une discipline de coordination. Elle est très exigeante à ce niveau. D’ailleurs, les débutants et les jeunes passent par des exercices simples, mais réguliers, de coordination, c’est notre travail de base.
Mais vous avez aussi la réputation d’être très martial…
En effet ! Le Qwan Ki Do a pour objet de se rendre capable de défendre son intégrité physique et celle de ses proches, c’est notre philosophie, mais aussi une exigence. Le premier projet : donner de l’assurance à ceux qui pratiquent. Pour nous, cela passe par le contact. Le combat au KO, c’est un choix personnel, mais le combat, c’est le contact. C’est obligatoire d’en passer par là. Nous proposons deux formes de compétition : l’une sans KO à la tête et sans frappe aux jambes, avec une interruption du combat à chaque coup valide, et une seule main gantée pour favoriser le travail des saisies. L’autre est une forme plus libre, en continu, avec la possibilité de frapper à la tête pour le KO, avec les coups de genou et les coups de coude au corps autorisés, tout comme les frappes aux jambes. Enfin, il y a une forme encore plus libre si l’on peut dire, le « sparring », que nous pratiquons au club et qui est « sans limite » dans l’esprit de l’art martial traditionnel, en respectant bien sûr les conditions de l’entraînement. Nous travaillons dans cette perspective depuis longtemps, bien avant la mode du MMA. Notre fondateur, Pham Xuan Tong, avait déjà l’expérience des combats libres sur le ring au Vietnam où il était champion national…
Vous êtes l’un des pionniers de cette discipline en France. Qu’apprend-on quand on est l’un des premiers ?
À vrai dire, on a surtout appris à souffrir ! Nos maîtres avaient un cœur fort, mais pas une grosse connaissance de la physiologie et de l’anatomie, et l’on ne s’interrogeait pas beaucoup en ce temps-là sur la longévité du corps. On nous enseignait à la dure, avec des dictons comme « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », mais le résultat, c’est que ceux de notre génération sont presque tous cassés ! À ce niveau, je ne suis pas le plus mal loti. Je me souviens comment tout a commencé. Je voulais faire du karaté, mais on n’acceptait pas les enfants en dessous de seize ans dans le club à côté de chez moi. Comme je n’en avais que quatorze, je suis passé voir ce club à Antony qui accueillait tout le monde à partir de treize ans. J’ai vu des kimonos noirs, c’était rare, ça renvoyait à Bruce Lee, à ce qu’on voyait dans Karaté Bushido. J’ai tout de suite accroché. À l’entraînement, ils nous considéraient comme des adultes, et ils nous frappaient comme des adultes ! Je crois que j’ai pris mon premier KO à quatorze ans, et de la part de mon professeur. On faisait aussi des exercices baroques, comme de courir ensemble dehors et, au signal, on devait tous se jeter ensemble en tas sur la dalle de béton. Il y a eu quelques côtes cassées… Mais j’aimais ça et c’était une autre époque. Mes parents ne se formalisaient pas, ils en avaient vu d’autres. C’est mon père, qui était infirmier, qui me recousait lui-même quand c’était nécessaire. On peut dire que ça nous a forgé. Mais le Brevet d’État a été une bonne chose pour faire venir un peu de raison dans ce modèle. On peut tout faire faire à un ado volontaire, mais un mauvais enseignement, tu n’en vois pas les résultats tout de suite. C’est plus tard qu’on paie le prix. C’est pour cela que, moi qui avait subi ça, j’ai eu à cœur de faire passer le message des bonnes pratiques dans la formation des nouvelles générations d’enseignants, et que je mets un point d’honneur à proposer un travail sans compromis, c’est-à-dire dur, mais dans le strict respect du corps.
Que pensez-vous du MMA ?
C’est un habillage nouveau pour d’anciennes préoccupations. Comme je le disais, nous avons toujours travaillé comme ça en ce qui nous concerne, et sans en faire un enjeu de professionnalisme et d’argent. Le karaté faisait un peu la même chose avec le « full contact » de Dominique Valéra dans les années 1970 et, plus tard, avec la Boxe Thaï que pratiquaient Roger Paschy et les autres. D’ailleurs quand la FFKaraté l’a proposé, nous avons été parmi les premiers à nous investir dans l’Open Contact Interdisciplinaire. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est de retrouver dans ces combats médiatisés des traces des katas les plus anciens. C’est un axe de recherche pour nous. Comprendre nos « Quyen » et les exploiter dans une pratique libre.
Quels sont vos liens avec le karaté ?
Même si cela a commencé par un rendez-vous manqué quand j’étais jeune, la maison du karaté, je la connais, nous la connaissons depuis longtemps. Je viens de le dire, il y a une correspondance dans les parcours. Les pionniers du karaté sont de la même époque que les nôtres et avaient souvent les mêmes préoccupations. Et puis il y a une telle diversité dans le karaté… Si on est moins proche du karaté forme japonaise, on est frappé, quand on approfondit, par les correspondances avec les formes okinawaiennes anciennes, tactiquement comme dans les gestes techniques, on voit des liens forts avec le uechi-ryu ou le shito-ryu par exemple. On a tous des origines chinoises. Mais le karaté, c’est aussi pour nous le gage de sérieux, de qualité et de formation que garantit la structure fédérale. Nous suivons en cela les recommandations du ministère de la Jeunesse et des Sports, nous avons besoin d’avoir des enseignants formés, diplômés, et donc légitimes. C’est très important pour nous. Dans le futur, les gens iront toujours vers la recherche d’efficacité et de protection personnelle, mais ils auront aussi, et de plus en plus, besoin de travailler dans un cadre sécurisant.