Ce lundi 20 mai 2019, la Fédération Française de Karaté dévoile son nouveau site internet ffkarate.fr «relooké» et restructuré afin…
Les 5 leçons de Novi Sad
Les enseignements des championnats d'Europe seniorsLes championnats d’Europe se suivent et se ressemblent… Ou pas. Ce rendez-vous continental 2018 à Novi Sad en Serbie a été particulier pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il était le dernier rendez-vous majeur avant le début de la bataille des places de titulaire aux Jeux. Voici les cinq points à retenir de ces championnats à part, établis avec le Directeur des équipes de France Yann Baillon et le Directeur Technique National Dominique Charré.
1 – La hiérarchie bouge chez les masculins
Si Anne-Laure Florentin est la seule championne 2017 à rempiler en 2018, les championnes de cette année, Lucie Ignace, en tête, sont des combattantes d’expérience et toutes déjà couronnées à ce niveau, sauf l’Ukrainienne Terluyga en -55kg, vice championne d’Europe en 2016. En revanche, il y a eu des surprises chez les hommes. L’indéboulonnable Rafael Aghayev est parvenu, sans forcer son talent à emporter un onzième (!) titre européen, ainsi que le Turc Burak Yugur en -67kg. Mais si le Macédonien Pavlov est un combattant réputé en -60kg, déjà vainqueur en 2014, le Bosniaque Klepic en +84kg, l’Italien Michele Martina en -84kg sont non seulement champions d’Europe pour la première fois, et pour la première fois médaillés, mais ils n’ont pas non plus marqué les résultats dans les tournois de leur empreinte, même si Martina fut champion du monde espoirs en -75kg l’an passé. « Dans certaines catégories, c’était un peu du billard », commente Yann Baillon. En +84kg, on voit ainsi l’Allemand Horne, quintuple champion d’Europe perdre au premier tour face au futur champion d’Europe Klepic. Beaucoup de grands favoris sont passés à la trappe. C’était vraiment le signe d’un championnat très particulier, un peu comme une bousculade devant la ligne de départ d’une grande course.
2 – La France ramène deux médailles d’or par Anne-Laure Florentin et Lucie Ignace
« Elles ont été magnifiques dans l’efficacité comme dans la forme », salue Dominique Charré. Grâce à ces deux piliers, la France est quatrième nation et fait mieux que l’année précédente (5e nation avec un seul titre). Anne-Laure Florentin engrange son troisième titre consécutif et se place en leader pour les championnats du monde. C’est aussi le troisième titre de Lucie Ignace, qui réussit un retour parfait, une reprise en main autoritaire après avoir été peu incisive sur les tournois qui ont précédé et même bousculée par l’arrivée spectaculaire de sa jeune et brillante rivale Gwendoline Philippe. Dominique Charré fait le bilan : « Elles ont montré la voie, parce que c’est très important d’être capable d’être efficace le jour J. Bien sûr, c’est un championnat qui ne donnait pas de points pour le classement olympique, mais c’est un championnat. Par ailleurs, si on analyse ce bilan dans la perspective des Jeux, on mesure que nous avons deux combattantes très fortes qui se situent dans deux des trois catégories qui seront engagées aux Jeux de Tokyo, en -61kg et en +61kg. On peut aussi, dans cette logique, être satisfait de la performance d’Alexandra Recchia (3e en -50kg), évidemment déçue de ne pas ramener l’or, mais qui se met en avant pour une sélection à venir dans la troisième catégorie olympique, celle de -55kg.»
3 – Un bilan français très contrasté
Si la France s’honore de ces deux beaux titres qui renforcent son bilan, elle enregistre des résultats modestes en nombre de médailles : cinq, son plus faible score depuis dix ans. « Nous avions fait des choix spécifiques en engageant des équipes rajeunies en combat et en modifiant l’équipe kata championne d’Europe 2016 et médaillée en 2017. Des choix qui doivent nous permettre de prendre de l’avance dans la bataille pour le classement olympique qui s’annonce » analyse Yann Baillon. Fait notable, aucun combattant masculin ne s’est classé, le meilleur résultat étant celui de Johan Lopes, 5e en -60kg. « On peut lire les résultats de manière factuelle, nuance Yann Baillon, en disant que les féminines ont été bonnes et les masculins non. Mais, plus clairement, il y a ceux qui ont réussi à se situer sur ce championnat, et ceux qui n’y étaient pas. Il y a des féminines qui ont eu beaucoup de mal aussi. Pour certains, cela se joue à peu, dans un sens ou dans l’autre. La médaille de bronze des féminines en équipe est une grande satisfaction que nous espérions, mais tout aurait pu se terminer après un premier combat mal négocié. C’est ce qui est arrivé par exemple à Mehdi Filali, battu d’un drapeau au deuxième tour, mais lui n’a pas été repêché ». De façon générale, la difficulté à laquelle durent faire face une grande partie des favoris, dont les Français, était liée à la complexité de la situation. Il fallait trouver les ressources pour être fort sur un championnat qui n’a pas été abordé de façon spécifique, pris dans la succession des tournois de Karate 1 Premier League qui ont pris une importance majeure. « Ce résultat est à prendre en compte en mal comme en bien, continue Yann Baillon. Mais, désormais, la capacité à être régulier est plus importante encore. S’il perd au deuxième tour, on n’oublie pas la très belle succession de performances de Mehdi Filali en tournois et, à l’inverse, même une championne d’Europe comme Lucie Ignace doit montrer qu’elle peut aussi être décisive en tournoi ». Quant à Dominique Charré, il se projette déjà : « Nous devons encore renforcer le centre de préparation olympique, faire sans doute entrer plus de partenaires pour intensifier les entraînements, éviter que les hiérarchies créent trop de confort. Et, dans le futur, nous engagerons sans doute des équipes jeunes sur des championnats qui restent importants, mais ne sont pas inclus dans le circuit de qualification olympique, ce qui le cas par exemple du prochain championnat d’Europe ».
4 – Le kata français progresse
Malgré un bilan modeste, une médaille de bronze pour le trio féminin, le bilan de ce championnat d’Europe était perçu comme plutôt encourageant par l’encadrement français. C’est une faute d’appui qui prive Enzo Montarello d’une possible victoire sur l’Italien Busato – selon le verdict officieux des arbitres internationaux présents. Quant à la nouvelle titulaire féminine, Alexandra Feracci, elle réalise une très bonne petite finale, qu’elle perd d’un drapeau face à une technicienne turque qui avait pour elle quatre médailles européennes successives à faire valoir. Le socle d’une montée en puissance à venir qui pourrait contribuer à l’installer pour les prochaines compétitions qui comptent. Quant au trio masculin, sévèrement éliminé par des Turcs tout en puissance au premier tour, « il sera noté de façon sans doute différente par les arbitres mondiaux », analyse encore l’encadrement français, très content par ailleurs de la façon dont Franck Ngoan, 17 ans, est parvenu à s’intégrer à ce groupe sans beaucoup de préparation préalable. « Il reste beaucoup de travail, mais on a pu mesurer que celui qui a déjà été effectué a payé », synthétise Yann Baillon.
5 – Le Para-karaté se mêle à la fête
C’est finalement l’une des plus belles images de ces championnats d’Europe 2018 pour la France. Jordan Fonteney, champion d’Europe catégorie « déficience mentale » après un Gojushiho Sho émouvant de concentration et d’engagement, sautant dans les bras du patron du kata français Ayoub Neghliz tout sourire, de son père très ému, et « checkant » toute l’équipe de France rassemblée pour lui, avant d’aller poser un baiser sur le front de Fatah Sebbak qui se préparait lui-même à être champion d’Europe le lendemain dans la catégorie « fauteuil »… La présence à Novi Sad du Para-karaté ? « Un plus incontestable » pour Yann Baillon. « Parfois, nous rappelons à nos athlètes qu’un grand championnat, c’est aussi du collectif et que les autres ont besoin de leur soutien à l’échauffement et pendant leur championnat. Là, il n’y a rien à leur suggérer. C’est naturellement que toute l’équipe de France valide est là pour les soutenir. Et ces deux médailles d’or pour les deux titulaires présents à ce premier championnat d’Europe Para-karaté sont une très belle satisfaction ».
Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Photos : Denis Boulanger