Ken Nishimura : «Constamment s’enrichir»
Vainqueur en 2018 des Karate 1 Premier League de Paris et Rotterdam, le Japonais évoque son parcours et ses motivationsCet hiver, le jeune Nippon de vingt-deux ans, fils de Seiji, champion du monde en 1982, sera reparti d’Europe comme il en est arrivé, avec de l’or autour du cou. Que ce soit au Karate 1 Premier League de Paris en janvier ou à Rotterdam (Pays-Bas) mi-mars au terme de deux mois de stage au CREPS de Châtenay-Malabry, le vice champion du monde espoirs 2015 a fait parler la poudre, domptant notamment la légende Aghayev en finale à Coubertin. De quoi le propulser parmi les plus grosses chances de médaille pour l’équipe nationale japonaise lors des Jeux olympiques de Tokyo en 2020.
Qu’avez-vous retenu de vos deux mois de stage en France en début d’année ?
Nous qui avons rarement l’occasion de nous entraîner avec des étrangers au Japon, nous pouvons dire que nous avons passé un séjour très excitant, avec ces Karate 1 Premier League à disputer et cette course aux points olympique qui se profile déjà. C’était la première fois que nous nous déplacions aussi nombreux pendant une si longue durée. Ensuite, nous avons pu observer une autre façon de pratiquer le karaté. Au Japon, nous faisons en priorité des entraînements collectifs, alors que les Français s’entraînent de manière plus individuelle, en prenant le temps de s’exercer en face-à-face, même avec très peu de personnes sur le tapis. Le karaté étant un sport individuel, je suis convaincu que c’est une bonne méthode pour appréhender les combats. Attention, Je ne critique en aucun cas la méthode japonaise, mais je trouve que la méthode française semble bénéfique.
Y a-t-il quelqu’un qui vous a impressionné ?
Je dirais Steven Da costa, qui a gagné l’Open Paris Karaté en -67kg. Nous avons le même âge, et nous étions tous les deux vice champions du monde espoirs en 2015. Il est assez petit, mais semble monté sur ressort. Il m’impressionne par son kizami tsuki et sa variété de techniques de jambe. Le voir évoluer m’a beaucoup appris car c’est ce qui me manque techniquement parlant.
Avez-vous senti des progrès depuis votre passage en France ?
Étudiant jusqu’en novembre dernier, j’étais capitaine de l’équipe de mon université de Kindaï, et donc obligé de beaucoup travailler pour gérer le groupe. Depuis, l’entraînement intensif, en France comme au Japon, m’a permis de m’améliorer, notamment sur mes coups de poing, qui s’allongent de mieux en mieux, avec un peu de ce ressort à la Française…
Évolue-t-on différemment lorsque l’on partage le dojo avec de potentiels adversaires ?
Je n’ai pas encore été champion du monde ou olympique, donc je ne pense pas être au sommet de la hiérarchie dans ma catégorie. Par conséquent, je ne m’estime pas être quelqu’un d’étudié, de surveillé. Au contraire, c’est à moi d’apprendre des autres, pour parfaire mon évolution. Après, il y a forcément un peu de secret, mais ce n’est pas la peine de s’entraîner pour y aller à moitié, sous peine de ne plus progresser. Si tout le monde joue le jeu sérieusement, on voit certes les points faibles chez l’adversaire, mais on dévoile aussi les siens, et tout le monde peut ainsi avancer.
Vous dites que vous n’êtes pas encore parmi les meilleurs de votre catégorie, mais vous avez gagné coup sur coup Paris et Rotterdam, en dominant à chaque fois l’Azerbaïdjanais Rafael Aghayev, quintuple champion du monde. Ce sont des signes qui ne trompent pas tout de même…
Oui, ce sont des moments très forts qui resteront dans ma vie. Surtout qu’il s’agissait d’une finale à l’Open Paris Karaté, là où mon père avait gagné par le passé. Concernant Aghayev, j’étais collégien quand je l’ai vu combattre pour la première fois sur une compétition internationale à Tokyo. À cette époque, Aghayev avait déjà gagné l’Open Paris Karaté, et j’étais un vrai fan de son karaté. Je regardais beaucoup de vidéos de lui, alors me retrouver face à lui est juste incroyable. Et parvenir à l’emporter à Paris, à la dernière seconde d’une partie perdue d’avance (photo ci-contre), cela m’a donné beaucoup de confiance en moi. Cette finale fait d’ores et déjà partie de mon histoire de karatéka, celle que je transmettrai à l’issue de ma carrière.
Une carrière qui passera par les Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Y pensez-vous déjà constamment ou est-ce encore trop tôt ?
Bien évidemment, j’y pense tous les jours. Je suis encore jeune, mais lors des Jeux de Tokyo, j’aurai vingt-quatre ans, le meilleur âge pour un athlète selon moi. Voir Tokyo être retenue pour accueillir les Jeux, puis le karaté être inclus au programme olympique, c’est déjà presque un miracle. Je pense que c’est une chance que Dieu m’a donnée. À moi de la saisir, en mettant tous les moyens de mon côté pour décrocher l’or, entouré de mes proches et de mes sponsors.
Quelle place occupe votre père dans votre parcours ?
Enfant, j’ai vite su que mon père faisait du karaté, mais je n’ai vraiment compris qu’il était un grand combattant que lorsque je suis devenu interne au lycée. C’était la première fois que je m’entraînais ailleurs que dans son dojo, et tout le monde s’est mis à me parler de lui. Même à l’étranger, je ne cessais d’entendre les « saluez votre père de ma part », « je connais bien votre père » ou « j’ai participé au séminaire de votre père »… Certaines personnes que je ne connaissais pas demandaient même à me serrer la main. Je pense que c’est un grand karatéka mais, en même temps, je ne cache pas d’être un peu jaloux. Car c’est d’abord le nom de mon père, et non le mien, qui est connu mondialement. Mais ça me donne un bel objectif que de tenter de le dépasser, tout en continuant de bénéficier de son excellence. Le savoir fier de moi me fera déjà plaisir. Mon objectif final est de lui succéder comme maître de son dojo, mais pas tout de suite après la fin de ma carrière, car je veux d’abord découvrir le monde afin d’ouvrir mon esprit.
Son palmarès n’est-il pas pesant pour vous ?
Je ne peux pas dire que la pression n’existe pas, mais je ne la sens pas beaucoup. Au contraire, je le répète, je voudrais dépasser mon père. Dans un sens, c’est grâce à lui que j’ai des objectifs très clairs. Cela passe déjà par un titre mondial mais, avec l’or olympique, je pourrais aussi dire avoir fait mieux que lui. Après, j’ai toujours fait du karaté dans le but de devenir un champion, et cela n’aurait pas été autrement si mon père n’avait pas été champion du monde.
Quels sont vos points forts pour y parvenir ?
Je ne me contente jamais de ce que j’ai. Malgré la médaille d’or à l’Open Paris Karaté, je n’étais pas satisfait par exemple. J’aime bien constamment m’enrichir et, dès que je trouve un peu de temps libre, je cherche toujours de nouvelles vidéos de karaté. Au Japon, il y a cette coutume qui impose un style d’entraînement, dans la droite ligne d’autrefois, mais je préfère de loin observer ce que font les athlètes étrangers forts, afin d’obtenir des informations, des techniques, pour mieux m’adapter au karaté moderne. Après, je ne gagne pas toujours, donc ma volonté d’évoluer demeure très forte.
Antoine Frandeboeuf / Sen No Sen. Photos : Denis Boulanger /FFK