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Décryptage
Vice champion du monde des lourds (2008) et champion du monde par équipes (2012), Ibrahim Gary, 33 ans, est aujourd’hui préparateur mental et sophrologue. Il travaille auprès des champions (Kenji Grillon, Marvin Garin…) mais aussi avec des pratiquants de club, et intervient également en entreprise. Chaque mois, retrouvez ses conseils à la portée de tous pour améliorer votre approche mentale du karaté et vous épanouir dans votre pratique.
La préparation mentale, pourquoi c’est important ?
Si on n’est pas fort mentalement, on ne peut pas faire face aux interférences liées à la compétition. C’est cette capacité qui va différencier les champions du monde de l’entraînement des champions tout court. Celui qui va briller le jour J, c’est celui qui sait gérer le public, la pression, ses émotions. Moi, par exemple, j’étais un peu feignant à l’entraînement – et attention ce n’est pas bien ! – mais, dans la tête, j’étais le plus fort et c’est pour ça que je gagnais. Dans le sport de haut niveau, les niveaux physiques et techniques sont proches, la plus grande marge de progression se trouve donc dans la tête. Surtout, cette importance de la préparation mentale n’est pas seulement vraie pour le haut niveau. Les meilleurs mondiaux vont bosser sur des détails, mais avec des pratiquants amateurs, tout est à construire, et la marge de progression mentale est donc encore plus grande. Je travaille par exemple avec un ado qui n’était pas bien à certaines compétitions. En l’interrogeant, j’ai fini par comprendre que c’était seulement lors des tournois auxquels assistait sa mère. Il se mettait la pression… alors qu’en discutant avec elle, on se rendait compte que le résultat lui importait peu. Ce sont souvent des choses simples qui nous bloquent, sans que l’on arrive à les discerner. Parfois, c’est la vie à l’école, l’ambiance au travail, ou les relations familiales qui vont polluer votre esprit et vous empêcher de vous lâcher en compétition.
Pas de négation
Avant une échéance, il faut se fixer un objectif optimal : ni trop bas, ni trop haut. C’est la loi de Yerkes et Dodson, une courbe en cloche qui montre que vos performances augmentent avec la confiance, mais aussi qu’elles redescendent si vous surestimez vos forces. Attention : cet objectif doit correspondre à quelque chose que vous voulez, il ne faut surtout pas le formuler avec une négation. C’est simple à comprendre, mais c’est essentiel : si je vous dis « ne pensez surtout pas à un éléphant rose », forcément vous y pensez tout de suite. C’est ce qu’on appelle les anti-objectifs. Au karaté, c’est pareil. Il ne faut pas se dire « je ne dois vraiment pas perdre contre cet adversaire ». Comme le cerveau ne connaît pas la négation, vous augmentez en fait vos chances de perdre contre cet opposant, parce que vous l’aurez inconsciemment associé à la défaite. Il faut à l’inverse toujours penser positivement dans le dialogue interne que l’on mène avec soi-même. Enfin, si cet objectif doit être réalisable, il faut tout de même se challenger, ne pas rester dans sa zone de confort. Si, lors de la dernière compétition, vous avez passé un tour, ne vous contentez pas de vous dire « si je refais pareil, c’est bien ». Visez le fait d’en passer deux. Sinon, vous risquez de perdre l’envie.
Visualiser la compétition
Il faut ensuite s’imaginer les moments qui pourraient être difficiles pendant la compétition, et s’imaginer en train de les surmonter. Le cerveau ne fait pas la différence entre ce qui est fortement imaginé et ce qui est concret. Cette projection va donc améliorer votre confiance. J’ai récemment suivi un pratiquant de treize ans qui avait ce qu’on appelle, dans notre jargon, une croyance limitante : il perdait souvent contre des grands gabarits et me disait « j’ai du mal avec les grands, je n’y arrive pas ». Mais le souci n’était pas technique, il s’était simplement convaincu que les grands étaient pour lui un problème insurmontable. On a travaillé en imaginant combattre contre des grands, en visualisant des affrontements où tout se passait bien. Aujourd’hui, il est même plus à l’aise avec les grands que contre des compétiteurs de son gabarit ! Pour procéder à cette visualisation, il faut mobiliser tous les sens : la vue, l’audition, le toucher, il faut essayer de tout ressentir. C’est mieux de fermer les yeux. Le côté pratique, c’est que vous pouvez le faire à tout moment, mais c’est bien de le faire après l’entraînement, car c’est un moment de calme, propice à la concentration. La fatigue physique fait tomber les barrières mentales et vous avez plus facilement accès à votre cerveau, vous pouvez aller plus loin dans votre imagination.
Rester concentré sur son chemin
Une fois que l’objectif est fixé et la compétition lancée, il faut rester concentré sur les moyens que l’on va se donner, et non pas sur le résultat brut. Par exemple, si votre objectif est d’être sur le podium, restez focalisé sur ce qu’il vous faut appliquer pour y arriver. Si vous vous dites juste « je dois absolument être sur le podium », vous allez créer de la pression et vous rendre plus sensible aux facteurs extérieurs. Si une décision de l’arbitre va en votre défaveur, et que vous n’êtes concentré que sur l’objectif de résultat, vous risquez de disjoncter dans la tête car vous n’accepterez pas que cette décision puisse vous priver de votre but. Il faut rester concentré sur vos qualités, sur le chemin que vous avez choisi d’emprunter jusqu’à cet objectif. Vous arriverez ainsi beaucoup plus facilement au bout. Si vous êtes concentré sur les moyens, lorsque vous perdez, vous n’allez pas vous dire « je suis nul », mais analyser ce que vous avez bien fait, mal fait, et pouvoir définir ensuite de nouveaux objectifs et de nouveaux moyens à mettre en place pour la prochaine compétition.
Les principes à suivre avant une compétition
1. Avoir confiance en soi. Trouvez votre niveau de confiance optimale – ni trop, ni pas assez – et la motivation qui va avec.
2. Fixez-vous un objectif réalisable mais qui vous sort de votre zone de confort. Challengez-vous, travaillez votre envie.
3. Apprivoisez vos émotions, vos ressentis, à travers notamment les techniques de respiration. Visualisez la compétition, imaginez-vous en train de surmonter d’éventuelles difficultés.
4. Quelle que soit la nature de l’objectif – même les Jeux olympiques ! – ne perdez pas de vue le plaisir, dédramatisez les enjeux.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen
la rédaction