Une pionnière jamais rassasiée
Rencontre avec Mauricette Roig, première experte fédérale 7e danPAROLES DE PROF… Intégrée en fin d’année dans le sérail des experts de la FFKaraté, cette Dauphinoise de soixante-cinq ans est un témoin privilégié de l’évolution du karaté féminin depuis qu’elle a découvert, par pur hasard, la discipline en 1973.
Récupérée à temps
Garçon manqué au tempérament très sportif, Mauricette Roig n’est pas tendre au moment d’évoquer son adolescence. « Je voulais devenir prof de gym, mais ma mère n’en avait pas les moyens. Ce qui a contribué à faire de moi une adolescente révoltée, une petite délinquante même, qui a longtemps cru trouver dans sa bande de copains une famille sur laquelle s’appuyer. Mais ce n’était pas du tout le cas… Heureusement pour moi, j’ai eu la chance de me marier à seize ans pour trouver un début d’équilibre dans ma vie. » Une première grossesse plus tard, le goût de la dépense physique se fait trop fort pour cette ancienne footballeuse, la vingtaine triomphante. Direction le dojo du coin pour se remettre au judo mais, sur le tatami à ce moment-là, il n’est pas question de projections mais de frappes pied-poing. « En rentrant dans la salle, j’ai découvert quelque chose qui m’était complètement inconnue, mais qui m’a aussitôt happée par la rigueur. C’était le karaté. Et j’ai accroché tout de suite, vu que l’environnement social s’appropriait parfaitement à mon caractère. Aujourd’hui, je peux le dire, j’ai été récupérée à temps par mon destin. » En quête de repères et d’un cadre dans lequel s’épanouir, Mauricette Roig, nourrie d’origines allemandes et d’un « grand grand oncle japonais », suit assidûment l’enseignement d’Edmond Chassigneux au SKC Isère, tout en multipliant les stages faute de compétition féminine pour éprouver sa technique naissante.
1981, le tournant
L’erreur fut corrigée en 1981, avec l’organisation, à Coubertin, des premiers championnats de France féminins. « À l’époque, pas de qualification régionale ni de sélection, se remémore l’Iséroise, poussée par les siens à monter à la capitale pour défendre ses chances. J’ai donc débarqué à Paris sans rien connaître à l’arbitrage, et me suis faite disqualifiée parce que je tapais vraiment. Dure au mal, je ne sentais pas les coups à l’entraînement, donc c’était naturel pour moi d’y aller toujours franco. » Avec une médaille de bronze dans les bagages à son retour en Dauphiné, l’expérience se révèle fondatrice pour la jeune femme qui multiplie les contacts et les discussions pour lancer une commission féminine dans la ligue. Feu vert des dirigeants et carte blanche pour développer la pratique. D’abord sous la forme d’un entraînement mensuel, qui perdurera douze années durant. Sous son impulsion, les premiers championnats de ligue féminins verront le jour dans la foulée, en individuels, par équipes et en Open, avec rapidement plus de deux cent cinquante participantes, mais aussi des triangulaires trimestrielles avec la Normandie, le Lyonnais ou la Lorraine. Un investissement qui s’inscrit en parallèle dans le tissu associatif de sa commune de Saint-Vincent-de-Mercuze, à l’Est du Massif de la Chartreuse, avec la création du Shotokan Karaté Club du Dauphiné en 1981. Michel ne peut que suivre le mouvement, emporté dans le sillage de son épouse qui se plaît « à pousser les portes qu’il faut pour arriver à ses fins et tout mettre en œuvre pour que ce qui est mis en place fonctionne ».
Une karatéka, pas une compétitrice
3e dan shotokan en 1983, Mauricette Roig prend part aux épopées de la première équipe de France féminine, cornaquée par Serge Chouraqui. « Il nous réclamait beaucoup de rigueur, mais n’en était pas pour autant sévère, souligne celle qui a validé son DEJEPS en 2009. Il a constamment protégé notre superbe esprit de groupe, à la solidarité extraordinaire malgré le fait qu’il y avait à chaque fois deux sélectionnées par catégorie. En -60kg, je me retrouvais donc avec Nicole Sarkis, qui s’est avérée une bonne copine au-delà de notre rivalité (au cours de sa carrière, Mauricette Roig terminera à six reprises vice championne de France combat, tandis que Nicole Sarkis s’offrira, sur la même période, huit titres nationaux, dont cinq en combat, NDLR). Elle m’a beaucoup aidée en m’encourageant en éliminatoires pour que l’on se retrouve une fois de plus en finale. Mais le règlement restait toujours ma bête noire, au point que Serge me dit un jour que je serai une très bonne karatéka, mais jamais une bonne compétitrice. J’ai bien participé à deux championnats du monde et d’Europe, mais il est vrai que le karaté traditionnel a très vite repris le dessus. En fait, quand je me présentais en compétition, j’étais mal à l’aise vis-à-vis de mes entraîneurs car je ne savais pas faire ce qu’ils me demandaient. »
« Une petite mère pour tous »
Après avoir culminé à plus de deux cent cinquante adhérents sur trois structures du Sud-Grenoble, ce sont cent vingt licenciés qui suivent les séances du couple à Saint-Vincent-de-Mercuze, à raison de trois entraînements par semaine. « Telle que je la conçois, ma mission est de donner à qui le souhaite un maximum de mon savoir et de ma connaissance », enchaîne Mauricette, qui reconnaît avoir fait évoluer sa pratique au contact de Bernard Bilicki ces dernières années, « pour ne pas se traîner et rester dans le circuit ». « Ce fut le cas de mon mari et de mes filles (Nathalie fut championne de France kata en cadettes avant de décéder à l’adolescence, Mallorie s’adjugeant pour sa part deux coupes de France combat en cadettes avant de ravir le titre national juniors en 2010, NDLR) mais il en va de même pour toutes les personnes motivées, comme lors des cours départementaux de kata et du DAF dont j’ai repris la charge dernièrement. J’ai beau apprécier mes entraînements de kata en solitaire dans la nature, en étant tout à fait capable de ne pas parler pendant deux jours, je reste attachée au contact humain. Le fait d’être devenue la première femme experte de la fédération ne va rien changer de ce point de vue, je resterai toujours la même. La rigueur ne doit pas empêcher de rigoler ! À leur façon d’évoluer techniquement, mes élèves sont parfois identifiés comme travaillant « à la Mauricette », et ça ne peut que valoriser ma volonté d’enseignement qui ne s’est jamais épuisée. Je suis un peu une petite mère pour tous mes jeunes, et si je peux leur faire comprendre de ne jamais baisser les bras sur le tapis comme dans leur vie de tous les jours, ma tâche sera accomplie. » Une boulimique de la pratique qui vient donc grossir, avec une fraîcheur et une dévotion demeurées intactes, les rangs des experts fédéraux, qui pourront compter sur une force vive bien décidée à faire, en toute humilité, sa place aux côtés des grands noms du karaté français.
Antoine Frandeboeuf / Sen No Sen
Photos DR