La confiance est la clé
Ouvrez le livre de Lê Huu NghiaÀ bientôt 43 ans, Lê Huu Nghia, sixième dang de Vovinam Viet Vo Dao, est l’un des plus haut gradés français. Compétiteur réputé, formé au Vietnam auprès des grands maîtres, il est aujourd’hui entraîneur auprès de l’équipe tricolore. Un parcours singulier et une inépuisable envie de faire grandir son savoir et sa discipline.
Harcelé
Je suis né au Vietnam en 1975, et j’ai grandi à Saïgon dans une famille de neuf enfants : j’ai six sœurs et deux frères. Mon père voulait que l’on apprenne les arts martiaux pour être forts dans la vie et autonomes. La guerre était finie depuis une dizaine d’années, mais les rues de Saïgon n’étaient pas toujours très sûres et il fallait pouvoir se défendre. Mes grandes sœurs ont pratiqué les arts martiaux mais se sont rapidement davantage tournées vers leurs études et leur travail. Quant à mes frères aînés, l’un faisait du kung-fu, l’autre du judo et de l’aïkido. À cette époque, j’étais souvent harcelé et mes frères étaient obligés de me protéger. Un jour, à la sortie de l’école, un jeune m’a fait un balayage et je suis tombé par terre. Ça a été un choc et ça m’a donné envie d’apprendre les arts martiaux. Je ne voulais plus dépendre de mes frères, et je voulais faire quelque chose de différent d’eux. Et puis, lors de la rentrée au collège, en 1986, je suis tombé sous le charme d’une démonstration de viet vo dao. J’avais onze ans. Je n’ai plus jamais arrêté.
À la dure
Mes premières années de pratique étaient extrêmement dures. Nous étions plus de 200 à participer aux cours débutants et on n’avait pas assez de matériel. On s’entraînait parfois sur du béton, sous la pluie. Quand on faisait des combats, c’était sans protection, avec de légers gants en cuir qui ressemblaient à ceux que l’on utilise aujourd’hui en musculation. Le maître Nguyen Van Chieu, figure mondiale du Vovinam, était très dur, très exigeant. Il voulait qu’on soit prêts en cas de combat dans la rue, il nous disait que c’était le chemin pour réussir dans la vie et qu’il ne fallait pas lâcher. Mais c’était dangereux. Je m’entraînais avec des élèves plus grands et plus âgés et, si je ne tenais pas le combat, je risquais de me faire casser les dents ou briser les côtes. On s’entraînait le mardi et le jeudi, et le samedi était réservé aux combats. Chaque semaine, c’était comme passer un diplôme. Si on ne réussissait pas ces combats, la honte s’abattait sur nous. Pour tenir, je me suis beaucoup entraîné chez moi, à la maison.
Chasser la peur
L’une des premières choses que je dis aux compétiteurs que je rencontre, c’est que le but principal n’est pas de gagner des médailles d’or. L’important, c’est de puiser dans les principes qui vont vous accompagner toute votre vie. Les podiums viennent après. Et le premier, c’est la confiance en soi. Elle vous servira dans votre travail, dans vos relations. La peur est présente dans notre corps, on peut la sentir, et si on n’arrive pas à enlever cette peur, on aura des problèmes toute notre vie. Bien sûr, c’est aussi très vrai en compétition. Au niveau international, le stress mange 70 à 80 % de votre énergie. Et la peur vous coûtera souvent la victoire. En 2011, j’ai eu un compétiteur en finale du championnat du monde au Vietnam. Au moment d’enfiler les gants, il me dit qu’il a peur de son adversaire. Je lui ai répondu que, dans ce cas, il ne fallait pas y aller. Le combat a commencé, boum, il a pris un K.O. au bout de quelques secondes… La solution, c’est d’abord de bien se préparer, et ensuite de se faire confiance. Si on ne croit pas en soi, on ne peut aller nulle part.
Au service de son art
J’ai été compétiteur, j’ai gagné des médailles mondiales jusqu’en 2003. En parallèle, j’ai commencé à enseigner, auprès des jeunes d’abord, puis en tant qu’assistant de l’équipe du Vietnam et comme entraîneur de l’équipe militaire de Saïgon. J’ai toujours voulu approfondir ma connaissance, et pas seulement des arts martiaux. J’ai été diplômé en économie, mais j’ai aussi fait des recherches pour mieux connaître le corps humain : comment améliorer la nutrition, la récupération… J’essaie de renouveler mes compétences pour continuer à être pertinent dans mon enseignement. Enseigner, c’est chercher, on ne doit jamais rester sur ses seuls acquis. Mon objectif ? Atteindre le meilleur niveau possible pour pouvoir aider les autres. J’ai toujours organisé ma vie – et les différents métiers que j’ai pu faire – en fonction de cette passion. Je me suis toujours arrangé pour avoir le temps de pratiquer et d’enseigner. Chaque week-end, du début à la fin de la saison, je donne des stages en France ou à l’international. Aujourd’hui encore, lorsque j’ai du temps libre pour aller voir mes enfants, si un club m’appelle pour un stage ou si l’équipe de France me sollicite pour préparer un championnat, c’est ma passion qui risque de prendre le dessus.
Amoureux de la France
Je suis venu en France par amour, en 2004. C’était avec mon ex-femme, une Française qui pratiquait aussi le Viet Vo Dao. Nous nous sommes rencontrés à la fin des années 1990, au Vietnam. Nous avons vécu là-bas ensemble pendant quelques années avant de venir nous installer en France. J’avais très envie de découvrir ce pays et sa culture très riche. En 2010, l’équipe de France a commencé à faire appel à moi. D’abord en tant qu’arbitre – je donnais des conseils et formais au règlement international – puis en tant qu’entraîneur, notamment technique. J’aime transmettre ce que j’ai appris au Vietnam auprès des meilleurs maîtres au monde. Et quand mes compétiteurs sont champions d’Europe ou champions du monde, je ressens un bonheur sincère pour eux et pour la France. La fédération de karaté nous a donné les moyens de nous développer et on a pu rassembler toutes les forces et mettre en place une préparation très exigeante. Entre 2011 et 2014, on était dans le top 2 ou 3 mondial derrière le Vietnam. Aujourd’hui ce n’est plus le cas parce que la concurrence a augmenté et que l’on manque de compétiteurs. C’est pourquoi il faut lancer une grande campagne de stages pour préparer les prochaines échéances, notamment les championnats du monde au Cambodge l’année prochaine. Il faut inciter, entraîner les jeunes générations pour qu’elles continuent de porter haut les couleurs et le drapeau français. Ça me tient à cœur.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen