Avi Moyal : « Le krav-maga évolue constamment »
Entretien avec le président de la fédération internationale en marge d'un stage à ParisAvi Moyal est, à cinquante-deux ans, le Président de la Fédération Internationale de Krav Maga (IKMF). Cet expert international a été formé dès son plus jeune âge au principe du système de self-défense et « close-combat » créé dans les années 1930 pour la défense des services de sécurité israéliens, le krav-maga (combat sans arme). Passé par le corps des Marines de son pays, puis par la protection rapprochée de hautes personnalités, il est aujourd’hui l’un des experts internationaux les plus réputés de ce système qui a conquis une très large part des services de police et les corps d’armées de la planète. De passage à Paris il y a quelques jours pour un stage organisé par la FFKaraté, il livre son parcours et les exigences de sa pratique.
Comment et à quel âge avez-vous débuté votre pratique ?
J’avais six ans et ma mère m’a amené à la mer pour une sortie. Je me souviens qu’il y avait là un homme qui ne parlait que de nourriture, des trucs d’adulte qui ne m’intéressaient pas. Mais à un moment, il a montré quelques mouvements et j’ai tout de suite été fasciné. Après, c’est le karma. À côté de chez moi, il y avait quelqu’un qui enseignait et j’ai commencé avec Victor Bracha, puis d’autres comme le regretté Eli Avizkar, qui fut la première ceinture noire de l’histoire de krav-maga. Et puis, un jour, on m’a dit « Je vais te présenter un vieux Monsieur ». C’était Imi Lichtenfeld, le fondateur du système dont je suis devenu l’élève. Je suis devenu la plus jeune ceinture noire de l’époque, c’était avant mon engagement militaire.
Pourquoi avez-vous pratiqué cette discipline de self-défense si jeune ?
La passion. Une passion constante depuis le début ! Quand on commence et que l’on est jeune, le krav-maga, c’est comme le coca ou un hamburger, on adore ça ! Mais je crois qu’au fond, ma motivation, c’est que j’étais très doué pour ça. Rapidement, j’ai été obsédé par la dimension scientifique de cette discipline. C’est vraiment une pratique où la science rencontre l’expérience et c’est fascinant.
Quelle différence faites-vous entre le krav-maga et un autre système de self-défense ?
À quoi dois-je le comparer ? Quel autre système ? Je dirais que la plupart des systèmes que l’on dit de self-défense, sont un peu comme une salade. On peut ajouter des choses, on retrouve les éléments qui la composent. Le krav-maga n’est pas un « art martial ». Dans les disciplines martiales, il y a le rituel, une histoire et je trouve cela très bien. Pas chez nous. Je ne dis pas que c’est mieux, mais nous sommes très concentrés sur un seul aspect : l’efficacité.
Vous parlez de « science » dans la pratique du krav-maga, mais un coup de poing reste un coup de poing ?
Sans doute, mais les boxeurs, par exemple, sont considérés comme de bons spécialistes du coup de poing, et c’est le cas. Mais la frappe de la boxe est liée aux gants et au style du combat. La frappe est spécifique parce qu’il faut aussi se protéger de la remise de l’adversaire. En krav-maga, l’expérience nous a dirigés vers une frappe plus rectiligne, très directe et naturelle avec le poing légèrement en biais et un impact qui se fait avec la partie la plus résistante du poing fermé. Les situations sont aussi analysées par rapport au risque. Quand on dit parfois que la meilleure option, c’est de courir, ce n’est pas une plaisanterie, c’est une analyse statistique, le résultat de l’expérience qui nous dit que c’est la solution dans certains cas précis. On a aussi beaucoup travaillé la dimension du sol,. Mais, là encore, nous ne travaillons pas dans l’esprit du jujitsu brésilien avec l’idée de soumettre un adversaire par des techniques de clé, mais de savoir réagir vite et bien pour revenir rapidement en position debout.
En venant ici, en France, que pensez-vous du public que vous croisez et que cherchez-vous à lui apprendre ?
J’aime la France que je connaissais déjà pour y être venu avec ma femme, qui adore y faire des achats ! Je suis là pour aider à faire découvrir ce qu’est vraiment le krav-maga. Le premier principe, déterminé par Imi Lichtenfeld, c’est de « pouvoir marcher en paix ». Il s’agit d’initier aux fondamentaux. Le public est excellent. J’apprécie notamment beaucoup les karatékas qui sont tout à fait bien armés pour cet enseignement. Ils ont des bases remarquables et une discipline mentale très forte avec beaucoup de sérieux et de loyauté.
Comment s’enseigne le krav-maga ?
Nous cherchons le naturel et nous nous appuyons sur les habilités acquises en utilisant les références qu’ont les gens en essayant de « customiser » progressivement leur réaction de base. Nous sommes tous des êtres humains, nous commençons par réagir d’une façon instinctive, ensuite nous agissons. Si un bus arrive vers nous, on lève tous les mains pour se protéger. Un policier n’en lèvera qu’une avec le réflexe de prendre son arme de l’autre. C’est un réflexe acquis. On commence par travailler sur cette base réactive pour la rendre plus pertinente. On sait, par exemple, que ceux qui se font attaquer par un couteau finissent avec les mains tailladées ou transpercées. C’est déjà un acquis de savoir orienter la parade de la façon la plus juste possible.
Le krav-maga n’est-il pas réservé à un public spécifique ?
Il a différents niveaux de pratique. Le krav-maga est effectivement destiné aux corps militaires. C’est la partie « sans arme » d’une pratique globale, celle du guerrier moderne. Mais c’est une partie fondamentale parce que l’on peut toujours être confronté à une agression violente et imprévisible. Nous cherchons à donner aux gens les outils pour contrôler le danger. Les publics ne sont pas les mêmes, mais les civils ont le droit aussi de savoir se protéger eux-mêmes. Les enfants par exemple, pour lesquels nous voulons le meilleur, nous leur apprenons les mathématiques et les lettres, pourquoi ne devrions-nous pas leur donner les moyens de se défendre ? Cette pratique leur est utile et leur donne beaucoup de confiance en eux, ce qui est important. Nous avons parfois des pratiquants, des femmes par exemple, qui ont déjà subi une situation d’agression. L’idée n’est pas de leur fournir des techniques au-dessus de leurs moyens, mais de repartir de zéro sur des choses simples. Aider à ne pas paniquer, se familiariser avec des gestes faciles et utiles, mieux évaluer les situations. Pour ceux qui pratiquent longtemps et de manière assidue, le système se complexifie, mais toujours avec l’idée de répondre de façon automatique et juste à la situation.
Vous avez fait de la protection rapprochée, avez-vous été confronté à des situations d’agression ?
J’ai travaillé au Brésil, un pays souvent dangereux, et j’ai été agressé et j’ai frappé… Ce qui a posteriori était, de mon point de vue, une erreur. J’ai risqué ma vie alors que l’enjeu était l’argent que j’avais sur moi. Cela ne valait pas le risque. Mais les réflexes automatisés ont pris le dessus. J’ai fait de la protection rapprochée pour Michael Jackson ! Le boulot le plus nul de ma vie. J’étais surtout là pour la galerie. Il a fallu gérer des fans en délire, ce qui est tout de même techniquement délicat, car il faut appliquer des techniques de contrôle sans blesser personne. Une fois, Michael a décidé de faire ses courses dans un grand supermarché… à trois heures du matin. Il a fait réveiller tous les commerçants.
Le krav-maga est-il un système fixe ou évolue-il encore ?
C’est un système jeune qui évolue constamment. Il évolue car les habitudes, les situations évoluent. Les gens se comportent différemment. Aujourd’hui, on a constamment son portable sous les yeux par exemple. Nous avons travaillé sur un programme à destination des gens qui ont un handicap. Fauteuil, cécité… En travaillant sur ces techniques adaptées, on a perçu que l’on travaillait aussi pour les valides, parce que finalement, dans notre vie moderne, on est presque toujours handicapé par quelque chose. On est assis, on porte une valise ou un sac, on est peu attentif, concentré sur un écran par exemple. Par ailleurs il y a de très nombreuses spécificités en fonction du statut que l’on peut avoir, qu’on soit policier, agent de sécurité, gardien, videur… Demain, dans ce domaine, ce sera toujours plus complexe, plus précis. C’est aussi pourquoi le krav-maga s’adapte systématiquement aux législations des différents pays. Tout ce que nous enseignons doit être parfaitement légal, totalement adapté.
Propos recueillis par Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Photos Aurélien Morissard