« Biamonti, Cherdieu… ces mecs là nous ont contaminé par leur détermination »
Premier volet de notre série sur les médaillés mondiaux 1998-2000 avec Joël Barst, finaliste à Rio de JaneiroAlors que les Jeux de Tokyo 2020 approchent à grands pas, le Mag’ vous propose un voyage dans le temps et vous entraîne vingt ans en arrière. À cette époque, entre 1998 et 2000, le karaté n’est pas encore olympique mais une génération exceptionnelle installe la France parmi les meilleures nations de la planète. Pour patienter jusqu’aux JO, nous partons donc à la rencontre de ces champions qui sont montés sur le podium mondial il y a deux décennies.
En arrivant à Rio, Joël Barst se faisait presque discret au milieu des tauliers de l’équipe de France. En 1998, le pensionnaire d’Enghien-les-Bains est certes double champion de France, il vient de détrôner Damien Dovy chez les super-légers, mais à 26 ans, il commence seulement à se faire un nom à l’international et ne fait pas partie des favoris. Son premier – et dernier – championnat du monde, Joël Barst va pourtant le terminer avec un bel argent. Une médaille qu’il est allé chercher en puisant force et envie dans un collectif ultra-performant. Vingt ans plus tard, nous l’avons retrouvé dans une grande salle au nord de Paris où il s’adonne au crossfit, sa nouvelle passion depuis deux mois. Entre une séance et un cours – il est aujourd’hui éducateur et enseignant au Sport Élite Sevran – il a pris le temps de plonger dans ses souvenirs.
« À dix secondes de la fin, je suis champion du monde… mais je prends un pion dans les derniers moments. Pour moi, c’était la fin du monde. Et puis, le groupe a su me faire prendre conscience que j’étais deuxième d’un championnat du monde, que sachant d’où je venais c’était formidable, j’ai peu à peu réalisé et commencé à savourer. »
L’outsider
Je n’étais pas favori à Rio mais je m’étais très bien préparé – ce qui était exceptionnel pour moi parce que je ne faisais pas partie des plus sérieux à l’entraînement – et j’y allais pour gagner. À cette époque en France, en – 60 kg, Damien Dovy m’avait toujours battu. Je l’avais rencontré sept fois et il m’avait mis sept raclées. Mais j’ai enfin gagné contre lui lors des championnats de France qui ont précédé les mondiaux. Et le fait d’avoir pris la place d’un athlète comme Damien, je me suis dit que j’avais moi aussi aussi les capacités pour faire des choses plutôt pas mal. David Félix et moi on était un peu les deux outsiders de l’équipe de France. Lui il fait encore mieux puisqu’il est champion du monde (en – 75 kg). Avant la compète il n’y avait pas grand monde pour miser sur nous. Mais tout était réuni, les entraîneurs – Thierry Masci et Marc Pyrée – ont bien senti les choses, nous ont emmené à un gros niveau de confiance sans même qu’on s’en rende compte, et la magie a opéré : tout a bien fonctionné pour quasiment tout le monde.
Victoires d’équipe
Il y avait une cohésion exceptionnelle, un mélange de générations avec des jeunes comme Yann Baillon, qui était déjà un vrai personnage, et des cadres comme Alain Le Hetet ou Gilles Cherdieu. Les jeunes étaient à l’écoute des anciens et les anciens étaient bienveillants vis-à-vis des jeunes. Certains étaient ultra-favoris, à l’image de (Alexandre) Biamonti ou Cherdieu (tous les deux titrés, respectivement en -65 kg et – 80 kg), et pendant les quinze jours passés au Brésil avant la compétition, à l’occasion par exemple des petits jeux qu’on organisait sur la plage, ces mecs là nous ont contaminé par leur détermination et leur assurance. Parfois, on se prenait un peu le bec – je pense notamment à Gillou qui m’avait engueulé lors d’un volley – mais cette ambiance nous aidait, nous les jeunes, car on voulait se mettre à leur niveau. Pendant la compétition, ils étaient tous là, derrière nous, et ils avaient autant envie de gagner pour eux que pour les autres. Ce sont des souvenirs extraordinaires.
Les pleurs puis la joie
Juste après ma demie, Le Hetet était venu me voir et m’avait dit “Profite, détends-toi, mais ce n’est pas fini.” Il me donnait des petits conseils anodins, comme boire lentement. J’étais tellement à l’écoute – je me disais “lui il sait ce que c’est une finale mondiale” – que s’il m’avait demandé de me toucher le crâne ou de faire mes lacets je l’aurais fait (rires). En finale j’affronte l’Espagnol David Luque (tenant du titre) et je crois qu’à dix secondes de la fin je suis champion du monde… mais je prends un pion dans les derniers moments. Pour moi, c’était la fin du monde. J’ai dû rester en larmes au bord du tapis pendant une demi-heure, inconsolable. Michaël Braun (champion du monde par équipes), dont j’étais hyper proche, était aussi triste que moi. Et puis, finalement, le groupe a su me faire prendre conscience que j’étais deuxième d’un championnat du monde, que sachant d’où je venais c’était un résultat formidable, et j’ai peu à peu réalisé et commencé à savourer. Je n’ai pas perdu contre Jean-Claude Dusse non plus (sourire). Luque avait beaucoup d’expérience, c’est ce qui m’a manqué. J’avais eu le malheur de le battre aux précédents championnats d’Europe, il avait retenu la leçon et a pris sa revanche.
Amitié
En arrivant au club d’Enghien-les-Bains au milieu des années 1990, je me suis rendu compte qu’on n’était pas obligé d’être toujours un guerrier, qu’on pouvait aussi avoir des relations amicales, mêmes avec d’éventuels adversaires. Avec des mecs comme Romain Anselmo et Michaël Braun, que j’ai retrouvés en équipe de France ensuite, on mangeait ensemble, on sortait ensemble : je n’avais jamais connu ça avant ! Michaël c’est le mec à part, d’une gentillesse extrême, et un combattant phénoménal, un samouraï que je n’ai jamais vu reculer. Il avait des qualités hors-normes. Un jour, je crois que c’était aux championnats de France, il a battu Alain Le Hetet : je ne savais même pas que Le Hetet pouvait perdre (rire). C’était extraordinaire. Aux championnats d’Europe 96 comme à Rio, il est déterminant dans le titre par équipe. C’était génial de partager ça avec lui.
Du Rio en eux
De ces championnats du monde il me reste en mémoire des sourires, du bonheur, et un esprit de groupe hyper fort. Cette compétition nous a soudé et on est resté très liés. À chaque fois qu’on se revoit, il y a un peu de Rio dans ce qu’on est, dans ce qu’on se dit. C’était une aventure, un peu comme des vacances sportives. J’ai encore l’impression que c’était hier. Parfois j’y repense – pas tous les jours non plus – je réalise que j’en suis fier et j’ai un petit sourire. Après cette médaille mondiale, j’arrivais en compétition avec un peu plus d’assurance, parce que je m’étais rendu compte que j’étais capable de faire de belles choses. Mais ça n’a pas bouleversé ma vie. Les à-côtés étaient beaucoup moins développés qu’aujourd’hui, la plupart d’entre nous n’avait pas de sponsors par exemple. Mais ce plaisir d’avoir goûté un championnat du monde, c’était largement suffisant.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen