Sang pour sang
Rencontre avec Christophe Bouchet, du Dojo LantonnaisPAROLES DE PROF… Christophe Bouchet, 50 ans, a fait du travail acharné sa marque de fabrique. Au Dojo Lantonnais, sur les bords du bassin d’Arcachon, il a dédié sa vie au karaté et entraîné sa fille dans ses pas.
Ex-futur comptable
La compétition, l’élite nationale, Christophe Bouchet était loin de s’y projeter il y a trente ans. 1988. À peine adulte, le Girondin termine son service militaire au Gabon. Il rembobine : « J’avais une formation de comptabilité. Quand j’étais en Afrique, j’ai commencé à penser à ce que j’allais faire, et je me suis imaginé huit heures par jour dans un bureau avec des chiffres. Je me suis dit que c’était impossible. » C’est le déclic. Désormais, il consacrera sa vie au karaté. Retour en France. Au Dojo Lantonnais, qu’il a rejoint à la faveur d’un déménagement familial, celui qui avait passé son premier DIF « pour enrichir [son] CV » donne de plus en plus de cours. Pendant un temps, il tente de concilier le sport avec son travail dans un supermarché. Ses journées commencent bien avant l’aube, il passe ses matinées à faire du rayonnage, avant d’enchaîner avec une deuxième journée dédiée au karaté à partir de midi. La situation finit par ne plus être tenable. Au-delà du rythme infernal, il doit poser des jours de congés le week-end pour accompagner ses élèves en compétition. Il finit par obtenir un statut de salarié de son club, et se consacre aujourd’hui – et ce depuis vingt ans – à 100 % à sa passion.
Tel père, telle fille
« On s’est fait grandir mutuellement ». Christophe Bouchet a appris le métier d’entraîneur en même temps que sa fille, Pauline, découvrait la compétition. Les deux racontent leur histoire commune avec le même accent chantant du sud-ouest et un débit de mitraillette. Le professeur a fait monter sa petite sur les tatamis pour la première fois à l’âge de trois ans. « Mes enfants devaient passer par la case karaté dans leur éducation. » Mais la gamine ne se contente pas de suivre papa au dojo, elle performe rapidement lors de ses premières compétitions. Comme elle présente des facilités en kata, lui, pourtant combattant pur jus, se met à frénétiquement étudier la technique. Et comme sa fille en veut et passe les étapes, le paternel se retrouve rapidement à coacher au niveau national. « C’est mon plus grand kif » souffle-t-il, gourmand. Pauline a grandi, en âge et en pratique, raflant plusieurs titres dans les catégories jeunes. Le tout sous l’égide d’un papa omniprésent qui lui a toujours « donné l’envie de [se] surpasser ». Le point d’orgue, c’est l’argent aux championnats du monde juniors 2013 en kata par équipes avec Lila Bui et Perrine Mortreux. Dans le sillage du duo familial, le Dojo Lantonnais – « au départ un petit club sans prétention » dixit le professeur, se met à grandir et à sortir des graines de champion. Dernier exemple en date, le bronze en kata par équipes décroché par Marine Ozanne (avec Emma Sanchez et Ines Ulric) aux Europe juniors début février.
Sans relâche
Le professeur, aujourd’hui 6e dan, le reconnaît lui-même : il est excessif et sévère. Son enseignement est intransigeant, et les mots « travail » et « sacrifice » reviennent sans cesse dans sa bouche. Le cadre idyllique du club, avec vue sur le bassin d’Arcachon et sable qui s’étend jusqu’au pied du dojo, invite au farniente sous le soleil. Mais c’est tout le contraire. C’est sur cette même plage que Christophe Bouchet aime donner rendez-vous à ses ouailles pour des séances physiques les dimanches matin sans compétition. Vacances, après-midi libres, chaque occasion est bonne pour reprendre une dose de karaté, affiner, aller plus loin. « Même quand il pourrait passer du temps avec ses amis ou sa famille, constate sa fille Pauline. En fait, il n’arrête jamais. » Perfectionniste, compétiteur, l’homme met toute son énergie dans ses entraînements et l’organisation de son club. « J’ai la tête dans le guidon, concède-t-il, au point parfois d’oublier un peu ce qu’il y a autour. » Cet investissement qu’il met, il attend le même en retour de ses athlètes qui visent le haut niveau. Seule solution pour se donner une petite chance de l’atteindre.
Une athlète pas comme les autres
Son exigence, sa passion, des sentiments décuplés quand s’ajoute un troisième élément : l’amour. Celui qu’il porte à sa fille, Pauline, son aînée, et l’envie de la voir réussir. « J’étais très dur avec elle pendant sa carrière », admet-il. Pas de cinémas, d’anniversaires ou de sortie entre amis. Seulement karaté, karaté et encore karaté. « C’est compliqué parce que, quelque part, vous savez que vous privez votre enfant de son adolescence. Le haut niveau est impitoyable. » L’intéressée, 22 ans aujourd’hui, a repris récemment l’entraînement à Lanton, après un passage à Sarcelles et des dernières saisons tronquées par les blessures. Elle évoque une relation fusionnelle avec son père. « Un regard nous suffit pour nous comprendre. » Mais cette complicité sans pareille s’accompagnait aussi souvent d’engueulades à faire trembler les murs du dojo. « Parfois, on ne se parlait plus et il refusait de m’entraîner pendant plusieurs jours. » Les deux ont depuis évolué, mûri, et les relations se sont apaisées. Pauline assure d’ailleurs ne rien regretter de cette jeunesse particulière. Les voyages, les titres, les rencontres : « Tout ce que j’ai vécu, je ne l’échangerai pour rien au monde ». Lui hésite davantage. « Avec mon recul de père de famille, je me demande si je referais la même chose aujourd’hui. Je suis incapable de le dire. »
Payé en larmes de joie
C’est qu’il a compris le prix à payer pour atteindre les sommets. Que ce prix était élevé, mais que la contrepartie, la réussite sportive, restait incertaine. Il oscille, mais se rappelle aussitôt le bonheur quand l’objectif est atteint. Un bonheur partagé collectivement avec celles et ceux qui transpirent à grosses gouttes sur les tapis du dojo. « Lors des compétitions, quand je suis au pied du podium et que je prends mes élèves en photo, il y a ce moment où l’on se regarde. Là, on sait ce que l’on a traversé pour y arriver. » Sans emphase, avec la même sincérité que celle avec laquelle il reconnaît ses excès, il livre l’un de ses principaux moteurs : le bonheur de ses élèves et de leur famille. « Quand je vois des parents pleurer dans les bras de leurs enfants parce qu’ils ont fait champion de France, je suis payé au centuple. »
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen