Docteure Bui et Miss Marie
Championne du monde espoirs en kata par équipes en 2011, Marie Bui a le karaté inscrit dans son ADN. Son père est son entraîneur, ses deux sœurs, Lila et Maï-Lyn arpentent elles-aussi les tatamis. Du karaté, mais pas que. En quatrième année de médecine, cette brillante étudiante voit son avenir en blouse blanche plutôt qu’en kimono.
Le travail en souriant
Elle pousse avec entrain les portes du dojo Alain-Le-Hetet. « Elle arrive toujours avec le sourire, on n’a jamais besoin de la motiver », apprécie Frank Picard, qui entraîne la jeune femme lorsqu’elle est à Dijon. Marie Bui s’est installée dans la cité des Ducs de Bourgogne pour y faire son cursus de médecine. Des études exigeantes qui n’entament pas sa bonne humeur naturelle. Et peu importe si l’entraînement, lui-aussi est dur, et répétitif. « Le karaté, ça me libère, ça me déstresse », avance la jeune femme de 23 ans, concentrée dès le début de séance. Le geste est précis, appliqué, quasi chirurgical. « Elle a aussi un certain charisme », renchérit son père, Jean-Luc, qui l’a formée à Annecy, là où réside toujours sa famille et où elle rentre chaque week-end. « Elle en impose, il y a une fierté dans sa tenue. » Chez ce professeur de père aussi.
Le karaté comme une évidence
S’il lui a beaucoup appris, son entraîneur de père ne l’a « jamais forcée » à suivre ses pas. Petite, Marie Bui s’est d’ailleurs d’abord essayée à la danse classique. « J’en ai fait un an, mais ça ne me correspondait pas, j’y allais à reculons », se rappelle-t-elle. « Je me suis dit : “moi aussi je veux faire du karaté !“ » À 7 ans, elle rejoint donc le club de son père, le Annecy Dojo Karaté. Les débuts sont timides. « Je ne parlais pas, je pleurais pour un rien. » « Elle se laissait marcher sur les pieds », confirme son père. Puis, à force d’entraînements collectifs et de compétitions, elle a pris de l’assurance. » « Le karaté ça a été un déclic, ça m’a permis de m’ouvrir aux autres », analyse Marie. « Au point aujourd’hui d’avoir parfois un sacré caractère ! » sourit son entourage
La fille du coach
Marie a toujours suivi l’enseignement de son père. « C’est plutôt un avantage d’être avec lui, car il y a un vrai franc parler entre lui et moi », explique la jeune femme. Quand ils montent ensemble sur le tatami, Jean-Luc Bui quitte son costume de père pour enfiler celui d’entraîneur. L’aînée des sœurs Bui – ses deux cadettes Lila (18 ans) et Maï-Lyn (10 ans) s’entraînent aussi au Annecy Dojo Karaté – ne bénéficie d’aucun traitement de faveur, bien au contraire. « Si elle ne travaille pas comme je le souhaite, je vais oser lui dire “c’est nul !“ Elles ont le même entraînement mais je peux dire des choses plus dures à mes enfants. »
Jamais sans sa sœur
Malgré leurs quatre ans et demi d’écart, impossible de séparer Marie de Lila. « On se ressemble beaucoup dans notre façon de parler, de penser », constate la plus jeune, qui considère son aînée comme un modèle. Deux sœurs fusionnelles qui partagent tout, à commencer par leur passion pour le kata. Lorsqu’elles font équipe, comme en équipe de France, la connexion est un atout évident. « On se sent véritablement, on sait quand l’autre va partir », précise Marie. « Pendant le bunkaï, il y a des chutes que je ne suis capable de faire qu’avec Lila, parce que j’ai une confiance totale en elle », ajoute-t-elle. Lors de la coupe départementale de kata, en décembre dernier, elles se sont affrontées pour la première fois en compétition. Un titre était en jeu. « C’était rigolo, on n’aurait pas dit un duel », s’amuse pourtant Lila. « Avant le match, on était plutôt en train de se coacher. » La cadette l’emporte 4-1 mais qu’importe. « Si elle gagne ou si je gagne, c’est la même chose pour nous deux », assure Lila.
Future docteure
Marie Bui a beau briller dans les dojos, son « rêve d’enfant », c’est de manier le stéthoscope. Elle a attrapé le virus auprès de son oncle, angiologue (spécialiste des vaisseaux sanguins) à Dijon. Après un stage de troisième dans le cabinet de celui qu’elle considère comme « un deuxième papa », son choix est fait : elle sera docteure. Pour expliquer sa passion, elle cherche la métaphore : « La médecine, c’est un peu un travail d’énigme. Il y a des symptômes, et il faut trouver le fin mot de l’histoire. C’est un métier qui pousse à toujours réfléchir. Et puis pouvoir aider les autres, c’est une belle perspective de vie ». Après un bac S mention bien, elle rejoint donc son oncle en Côte-d’Or pour faire médecine. Aujourd’hui, cette acharnée du travail est en quatrième année. « Quand il faut se lever de 5 h du matin et réviser jusqu’à 2h du matin le lendemain : elle le fait », souffle son père impressionné. La neurologie l’intéresse mais elle n’a pas encore découvert toutes les spécialités.
Priorité aux études
« Le karaté, c’est bien, mais ça reste un loisir », pose d’entrée le papa. Si mener de grandes études et une belle carrière en Bleu est possible – Alexandra Recchia l’a prouvé – ce n’est pas simple. Surtout lorsque l’on suit un cursus aussi exigeant et chronophage que médecine. Jusqu’alors, Marie Bui a réussi à concilier les deux. Mais s’il faut choisir, ce sera les études. « Je sais que ce n’est pas le karaté qui me fera vivre plus tard », anticipe-t-elle, lucide. Si elle est sélectionnée, elle veut continuer en équipe de France jusqu’aux championnats d’Europe, en mai prochain en Turquie. Mais elle arrêtera en 2018 pour préparer au mieux l’internat. En 2014, elle avait déjà mis la sélection entre parenthèses pour assurer son passage en deuxième année. « En choisissant médecine, elle a fait un choix stratégique, logique », constate Franck Picard. « C’est dommage pour le karaté, mais je la comprends. » Le rêve de Marie une fois son diplôme en poche ? Ouvrir un cabinet à Annecy… avec ses deux sœurs.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen