Ce lundi 20 mai 2019, la Fédération Française de Karaté dévoile son nouveau site internet ffkarate.fr «relooké» et restructuré afin…
UNE SAISON AVEC… AU COEUR DU QUOTIDIEN DES CLUBS
Troisième épisode de votre feuilleton avec les quatre structures que vous allez suivre toute l'annéeLe temps de cette saison 2018-2019, Le Mag’ FFK va tâcher de prendre le pouls du karaté français, à travers le regard de quatre clubs répartis sur l’ensemble de l’Hexagone. Quatre quotidiens, autant d’enjeux et d’attentes qui convergent vers une seule et même espérance : transmettre la discipline.
Houdan Karaté Do (Yvelines)
Dimanche 3 février 2019, il se pourrait bien que la vie de Jessica Hugues, professeure locomotive du Houdan Karaté Do aux côtés de son compagnon Romain Lacoste, ait basculé pour la troisième fois en moins d’un quart de siècle de présence en ce bas monde. La première fois, la Toulonnaise de naissance avait « entre six et huit ans ». C’est à cette époque que les médecins lui confirment une maladie génétique de naissance qui la conduit, deux décennies plus tard, à n’avoir « plus qu’1/10e à chaque œil, des migraines à répétition et ne plus discerner au-delà d’un mètre de distance » – un mal qu’elle taira longtemps au-delà du cercle de ses proches, par pudeur. Le deuxième tournant se situe en mars 2015. À la réception d’une banale projection lors d’une épreuve de kata par équipes, Jessica se brise les cervicales. Elle a vingt-et-un ans et reste immobilisée quatre semaines. À son chevet, sa famille déclenche le plan Orsec. Emeline Nguyen et Joyce Maruani, ses deux partenaires au moment du drame, la veillent aussi, dévastées mais « là comme des sœurs ». Vis dans la tête, halo crânien, corset : les rêves dorés de la précoce championne d’Europe et médaillée mondiale du karaté français semblent avoir vécu. Et pourtant…
Dimanche 3 février 2019, donc. Stade 2 consacre un reportage à l’accident et à ses suites. Jessica le regarde une fois – « pas plus. Trop dur ». Côté téléspectateurs, sa capacité de résilience impressionne. Son podium aux France de… fitness, quatorze mois après son accident, puis sa finale, le 1er avril 2017 aux France de karaté, laissent entrevoir un mental peu commun. « Un jour, je me suis levée et j’ai montré à mon chirurgien ce que c’était qu’un kata, ce que ça représentait pour moi et le vide qu’il y aurait dans ma vie, en plus de mes problèmes de vue, si la médecine m’interdisait ça. » Tokyo 2020 ? « Trop tôt », même si elle avait en début de saison lâché à contrecœur ses cours à Houdan pour intégrer pendant quelques mois le pôle olympique. « Je ne veux pas participer pour participer. En fait, je ne me ferme aucune porte, d’autant que le reportage de France 2 m’a fait recevoir plein de messages et de propositions qui me font réfléchir. » Should I stay or should I go : à vingt-quatre ans, l’élève formée au Samouraï Toulon Var par Guy Berger en est là. Avec une certitude en forme de baume au cœur : le soutien « à mille pour cent » des adhérents du Houdan Karaté Club, quoi qu’il arrive derrière celle qui, trois mois de juin d’affilée, malgré ses doutes existentiels, leur aura mis des étoiles dans les yeux le temps de galas de fin d’année chaleureux comme autant de bougies dans (sa) nuit.
Académie de Karaté et Disciplines associées de Chevigny-Saint-Sauveur (Côte d’Or)
C’est en symbiose totale avec la volonté politique locale de subventionner en priorité les actions menées à l’attention des publics ruraux que l’AKDC, quatre ans après sa création officielle en 2009, a ouvert en septembre 2013 une antenne vingt-trois kilomètres plus à l’Est. Celle-ci se situe sur la commune de Villers-les-Pots, 1077 âmes selon le dernier recensement INSEE et une salle des fêtes baptisée « Cité de la joie », où se relaient les associations sportives et où – ô bonheur ! – le karaté compte l’infime privilège, après une bonne décennie d’absence en ces lieux, de bénéficier aujourd’hui de deux fois deux créneaux d’entraînements, les lundi et mardi soir. Pourquoi une antenne ? « Parce que cela simplifiait les démarches au niveau administratif et nous évitait d’avoir à constituer un nouveau bureau, élire un président, etc. » explique le tout frais 5e dan Arnaud Cubells, en charge de cette section avant d’être épaulé par Alexis Dépée, lui-même arbitre national et coach national B.
Compétiteurs actifs, les deux hommes ont pris soin de conserver quelques créneaux pour s’entraîner le reste de la semaine du côté de la maison-mère AKDC, tout en permettant à leurs ouailles les plus mordues, déjà boostées par la tenue à chaque vacances de la Toussaint d’un stage chapeauté par Richard Manfredini (cf. épisode 2), d’éventuellement les y accompagner. Après cinq années d’existence, l’antenne a vu ses effectifs enfants passer de dix la saison dernière à dix-sept en 2018-2019, tandis que le cours adulte maintient bon an mal an sa dizaine d’assidus. La première ceinture noire formée à l’antenne a été remise à la fin de la saison dernière, et ce n’est pas la moindre des fiertés de l’équipe pédagogique que de voir la fidélité, la régularité et l’esprit de camaraderie de leurs adhérents ainsi encouragés. « Pour les cinq ans du club, la mairie de Villiers-les-Pots nous a permis de financer la location d’un minibus et d’emmener ainsi nos élèves assister à l’Open de Paris, poursuit Arnaud Cubells. Un jalon important pour une section encore en construction comme la nôtre ! »
Association Culturelle et Sportive Chuong Qwan Khi Dao La Seyne-sur-Mer (Var)
Elle forme un binôme incontournable à la tête de l’ACS depuis plus d’un quart de siècle avec la trésorière Micheline Appat-Funès. Incarne au plus près « la famille, l’engagement et la transmission », soit les trois vertus constitutives de l’ADN du club selon les mots de Serge-Emmanuel, son 4e dan et professeur de fils, au premier épisode de cette série. Et épelle en riant les mots compliqués en mode Oscar Papa Tango… Elle, c’est Marie-Antoinette Chaudy. Avec Micheline, elle fait à la fois office de présidente de fait, de secrétaire, de régisseuse, de confidente, de four et donc de moulin du club varois.
Trois soirs par semaine, l’âme de la salle Langevin lui doit beaucoup – bien qu’elle s’en défende, évidemment, arguant du fait qu’il s’agit « avant tout d’un dérivatif ». Mari marin, quatre enfants, autant d’activités sportives et d’études de marché en accéléré… ou plutôt, en bonne Corse qui n’a pas de temps à perdre, de ce qui ne marche pas. Sollicitée pour son sens organisationnel et son charisme capable de faire fondre le moindre fonctionnaire municipal, « Ninette » (que beaucoup de compétiteurs appellent « Maman ») prend sa licence en 1992 et n’accepte de s’investir qu’à trois conditions : un, les erreurs de management du passé, pas de ça avec elle ; deux, les minots agités, soit ils s’adaptent au lieu, soit il s’en vont ; trois, c’est aux anciens, par la bienveillance de leur accueil, de donner envie aux novices de revenir. Il faut croire que la formule marche. Lorsque, à dix-sept ans, son fils Serge passe le DIF et s’investit à son tour sur le tapis, le club compte sept adhérents. Il est depuis passé à cent-quatorze.
Dans un environnement où chaque sou compte, l’ACS applique des tarifs dégressifs à tendance compréhensifs – « méfie-toi quand même que la gratuité ne devienne pas un dû, m’a un jour soufflé mon mari », sourit-elle. Les déplacements sont le prétexte à de savants calculs pour tirer les prix, remplir les minibus et profiter des sites du calendrier pour « se fabriquer de beaux souvenirs tous ensemble » (les visites de Venise et du Futuroscope de Poitiers restent quelques-uns des meilleurs moments de ces dernières années). « Et n’oubliez jamais que, tout ça, ça reste du bénévolat. Si nous étions payés en argent, nous serions riches. Or nous sommes payés en sourires… et c’est encore meilleur ! »
COS Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Parmi les multiples sources de fierté de Pierre Bichard-Bréaud et ses troupes, le leadership régional en matière de nombre de ceintures noires n’est pas le moindre. Au-delà de l’aspect strictement comptable (« une cinquantaine sur 120 adhérents, quand le club lorrain suivant culmine à 38 », se félicite le 7e dan qui « tient à ce record »), c’est surtout un état d’esprit qui se fait jour ici. « Le passage de grade, chez nous, est un moment solennel. Christian Vallée, notre directeur technique, offre leur ceinture noire aux candidats reçus. Notre philosophie, c’est de ne jamais cesser de progresser dans sa connaissance du karaté, que vous soyez ceinture blanche ou haut gradé. Et quoi de mieux que la ceinture pour sanctionner cette progression ? » Bien sûr, le COS compte son lot de combattants davantage attirés par le simple plaisir de la pratique que par l’obsession du kyu suivant. Mais ces réfractaires restent minoritaires, a fortiori lorsque le club peut s’enorgueillir de voir les parents de certains de leurs jeunes athlètes se piquer au jeu jusqu’à, à leur tour, ceindre leur taille de la précieuse bande sombre – tel fut le cas récemment de la maman de Laura Cruaux ou, plus symbolique encore parce que l’événement eut lieu le même jour, de la double championne de France minimes Margaux Duval et son papa Dominique.
Autre critère, même fierté : le nombre de diplômés d’Etat du club (« vingt, dont trois des cinq DESJEPS de la Ligue ») le situe, là aussi, tout en haut du panier lorrain. Est-ce en lien avec l’ADN des fondateurs du lieu dont, il y a bientôt un demi-siècle, plusieurs se trouvaient être médecins dans le civil – jusqu’au docteur Jean-Pierre Pertek, actuel secrétaire général de la fédération, licencié au COS et anesthésiste au CHRU dans le civil ? Ou la longue expérience de Pierre Bichard-Bréaud, arbitre mondial et formateur de plusieurs générations de confrères qui, à défaut de susciter des vocations immédiates dans sa branche de prédilection, a transmis avec son équipe pédagogique le goût de l’investissement longue durée ? « Tout ça participe d’une volonté globale de bien faire, tranche l’intéressé. Là encore, le diplôme n’est pas gage de perfection mais de connaissance. Comme beaucoup d’enseignants qui ont poussé la réflexion sur ce sujet, nous croyons fermement que l’élève contribue tout autant à la progression du professeur que l’inverse. Avant d’ouvrir notre section krav-maga par exemple, nous avons attendu trois saisons que notre enseignant se forme à cette discipline. Un club, c’est d’abord un rapport au temps. »
Anthony Diao / Sen No Sen
Photos FFKaraté et DR