Entre de bonnes mains
Les deux vies de Thomas Aubertin-TanguyAncien international, habitué des podiums français, Thomas Aubertin-Tanguy était un compétiteur appliqué et généreux. Des qualités qu’il a mises au service d’un double parcours qui lui permet aujourd’hui de retrouver l’équipe de France, non plus en karategi mais dans le rôle du kiné, au soin des corps et des âmes.
Les massages ont remplacé les coups et les kiaïs. Le geste est plus doux bien que toujours aussi précis. Désormais, il ne s’agit plus de gagner mais d’accompagner. Après des années à combattre sur les tatamis, Thomas Aubertin-Tanguy s’est lancé dans une nouvelle carrière. À l’hôpital de Cholet, où il exerce depuis qu’il a obtenu son diplôme de kinésithérapeute l’année dernière, il intervient dans deux domaines différents. Le matin, il est en pneumologie, avec des patients victimes de cancers ou de pathologies respiratoires. « Le but, c’est de les aider à respirer », explique-t-il. L’après-midi, direction la rééducation, avec des patients à qui il faut parfois réapprendre à marcher.
« Il a le virus de la gagne, c’est un guerrier qui ne calcule pas, très pugnace… c’est aussi ce qui lui a permis de réussir sur les deux plans » S. Chouraqui
L’ancien international tricolore, combattant emblématique du SIK Paris, que ses proches qualifient de « gentil » et « généreux », ne peut cacher une certaine admiration pour ses patients. « Ils sont à fond tous les jours », souffle-t-il. « Pour quelqu’un qui a perdu l’usage de la marche, réapprendre c’est comme si vous, en bonne santé, alliez courir jusqu’à épuisement. » Des moments de soin où son expérience d’athlète est précieuse. « L’énergie que j’avais lorsque j’étais sportif de haut niveau, j’essaye de la transférer dans les exercices que je propose, la motivation que je donne. Parfois, je bouscule un peu les patients, mais ils aiment ça. Le tout est de trouver le bon équilibre, et on peut alors obtenir beaucoup de choses. » Le soignant parle de ses patients mais ces mots s’appliquent tout aussi bien à lui-même, lui qui a toujours évolué en équilibre entre deux carrières.
Un métier « pour se nourrir »
Car cette reconversion dans la santé, il la prépare depuis longtemps. « À cinq-six ans, je voulais déjà travailler dans la médecine, être au service des autres », se souvient celui qui fêtera ses 32 ans en décembre. Enfant, l’école marche aussi fort que le karaté. Son père Jean-Luc, qui l’a formé au Bushido 77 de Souppes-sur-Loing dont sa mère était présidente, au sud de la Seine-et-Marne, raconte un petit « toujours à l’écoute, qui pige très vite, et qui a toujours eu d’excellentes moyennes en classe sans forcément beaucoup travailler ». Adolescent, lorsque Thomas connaît ses premiers résultats, le discours parental reste ferme : « La compétition, c’est un petit passage dans la vie d’un karatéka. Ce n’est pas ça qui va te nourrir, tu ne fais ni du tennis ni du football ». Pensionnaire ensuite du SIK (Sporting International Karaté), à Paris, où il suit l’enseignement de Serge Chouraqui, il continue de tisser le fil de cette double vie.
Quelques mois en médecine – trop compliqués à gérer – avant de filer en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) puis vers une école d’ostéopathe et enfin de kiné. Les formations se succèdent, les choix sont parfois difficiles, mais le résultat toujours brillant scolairement. « C’est un garçon intelligent, abonde Serge Chouraqui. « Quand il fait quelque chose, c’est toujours à fond. C’est quelqu’un de passionné, très exigeant avec lui-même », souligne sa compagne Camille Senelle. « Il a le virus de la gagne, c’est un guerrier qui ne calcule pas, très pugnace… c’est aussi ce qui lui a permis de réussir sur les deux plans », conclut son professeur.
Au service du collectif
Une réussite qui l’a donc aussi accompagné côté karaté, puisque Thomas Aubertin-Tanguy, aujourd’hui 5e dan, a mené une jolie carrière nationale, ponctuée par une troisième place à l’Open de Paris 2012 et plusieurs podiums nationaux, dont une deuxième place aux France 2008 (-80 kg) pour sa première saison chez les seniors. Mais son parcours laisse une pointe de regret à son professeur. « Il aurait mérité beaucoup mieux que ça. Il lui a peut-être manqué un facteur chance », estime Serge Chouraqui. Sa force, c’était surtout les compétitions par équipes. « En club ou en équipe de France, j’ai toujours adoré m’inscrire dans un collectif, et j’ai toujours été un peu plus performant par équipes », concède l’intéressé. Un constat partagé par son formateur, qui pense connaître les raisons de cette particularité. « Il savait qu’il ne pouvait réussir qu’avec l’appui des autres. Donc il motivait ses camarades pour ensuite se nourrir de leur énergie. C’était un vrai leader et un mec très attachant, qui faisait le lien entre tout le monde. » Et qui, après de nombreuses places de dauphin, a permis au SIK de décrocher le titre de champion de France par équipes en 2014. Sans doute sa plus belle médaille.
Cette énergie collective, il l’a récemment retrouvée au sein de l’équipe de France… mais dans le rôle du kiné. En juin, il a en effet accompagné le groupe tricolore aux Jeux méditerranéens. Une aventure nouvelle, une place à trouver au sein du staff, une bonne distance à adopter avec les athlètes, mais un essai selon lui réussi. « Si je peux faire bénéficier l’équipe de France de mon expérience de sportif de haut niveau couplée à mon expérience d’ostéopathe-kinésithérapeute, je le fais avec bonheur. Surtout dans ces années où le karaté devient olympique… », lâche l’intéressé. « Il est revenu de cette expérience ravi, constate sa compagne Camille. Il s’épanouit autant dans son métier que lorsqu’il était compétiteur ». L’histoire est ainsi faite : c’est peut-être cette deuxième carrière qui lui ouvrira les portes du graal des athlètes.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen
Photos Denis Boulanger / FFK et DR