« On savait qu’on allait le faire »
Troisième volet de notre série sur les médaillés mondiaux 1998-2000, avec Myriam Szkudlarek, en or à MünichAlors que les Jeux de Tokyo 2020 approchent à grands pas, le Mag’ vous propose un voyage dans le temps et vous entraîne vingt ans en arrière. À cette époque, entre 1998 et 2000, le karaté n’est pas encore olympique mais une génération exceptionnelle installe la France parmi les meilleures nations de la planète. Pour patienter jusqu’aux JO, nous partons donc à la rencontre de ces champions qui sont montés sur le podium mondial il y a deux décennies.
Quatre fois vice championne du monde en individuel de 1998 à 2004, capitaine de l’équipe titrée en 2000 avec les sœurs Buil, Myriam Szkudlarek détient le plus beau palmarès du kata féminin tricolore. Athlète exceptionnelle, dotée d’un mental et d’une confiance inébranlables, elle était l’une des leaders de cette génération dorée. Une expérience qu’elle transmet aujourd’hui au groupe olympique, auprès duquel elle intervient au pôle de Châtenay-Malabry afin d’aider le kata français à retrouver son lustre d’antan. Vingt ans après le début de sa moisson planétaire, entamée à Rio à seulement 21 ans, elle a ouvert la boîte à souvenirs.
Les rouleaux compresseurs et le chef de chantier
« Le titre par équipes à Munich (2000), avec les jumelles Sabrina et Jessica Buil, c’est l’une des plus belles émotions de ma vie. Dès que les notes sont tombées, on a tout de suite compris, et les filles m’ont roulée dessus, sur le tatami. On avait complètement oublié le lieu, le cadre : on a littéralement explosé de joie. Ensuite, on a rejoint Serge (Chouraqui, l’entraîneur national de l’époque, NDLR) pour lui sauter dessus. Il nous avait parfaitement coachées pour arriver à ce moment. Sans trop en dire, il a un don pour mettre l’athlète en confiance. Dans ses yeux, on lisait que ça ne faisait aucun doute, qu’on allait être championnes du monde. Je me souviens qu’il m’avait dit, en tant que capitaine : “tu sais où tu dois aller, je te fais confiance”. Et nous, on était arrivées comme des guerrières, imbattables, avec un moral d’acier. Les filles, c’était deux rouleaux compresseurs derrière moi, je sentais comme une vague dans mon dos ! Et quand on se déplaçait, dans les couloirs ou sur les tatamis, on ne regardait que nous. Visuellement, avec les jumelles et moi, la boule de muscle, devant, on attirait l’attention. »
À jamais les pionnières
« À Münich, les Japonaises étaient favorites, comme toujours, mais on ne faisait de révérence à personne. On se disait : “c’est peut-être écrit qu’elles vont gagner, mais nous, on va écrire l’histoire différemment”. Quelque part, on savait qu’on allait le faire. Pourtant, à cette époque, battre les Japonais en kata, c’était vraiment très fort ! Michaël Milon l’avait fait (triple champion du monde en 1994, 1996, 2000, NDLR) mais, chez les filles, personne n’y était parvenu (seul l’or par équipes 1986 avait échappé aux Japonaises, battues par le Taipeï chinois). Alors, leur prendre ce titre, à une époque où il n’y avait pas les bunkai, où tout était jugé sur le kata pur, c’était un exploit. Cette fierté, je l’avais déjà ressentie deux ans plus tôt. À Rio, je suis certes deuxième derrière la Japonaise (Atsuko Wakai), mais je deviens la première française à monter sur le podium mondial en kata individuel. Il y avait une grosse concurrence avec les Américaines, les Espagnoles, les Italiennes. Ça avait une grande signification de représenter mon pays et de me dire : “ça y est, on a posé un pied sur le podium”. »
Aucun doute
« Ma particularité, c’était de ne jamais douter. Quand j’arrive à Rio, en 1998, j’ai 21 ans, je sors à peine des juniors, mais je suis confiante. J’ai connu une année forte, avec des victoires, donc j’ai une reconnaissance de mes pairs et je fais peur aux filles, je le sens. Les arbitres commencent à me connaître et je ne doute pas d’une potentielle médaille. À aucun moment je ne pense à ma jeunesse ni me donne comme excuse qu’il s’agit de mon premier mondial, et que je dois y faire ce que je peux. C’est vrai que les juges, eux, peuvent penser à l’âge et récompenser les plus expérimentés… mais c’est à nous de les influencer. En kata, et c’est ce que je dis aux athlètes que j’entraîne aujourd’hui, il faut induire les choses et non les subir. Si on débarque sur le tatami en se disant “je suis jeune, j’ai encore le temps, je fais ce que je peux”… les juges vont le sentir. Au contraire, il faut arriver en se disant : “je suis fort, je suis établi et je suis confiant”. Et c’est cette même confiance qui nous habitait deux ans plus tard à Münich. »
L’obstacle Wakai
« La première fois que j’ai croisé (Atsuko) Wakai, c’était à Rio. Je me souviens l’avoir vue passer et m’être dit qu’elle avait une attitude particulière. Je débarquais des juniors et je découvrais petit à petit qu’il y avait chez les seniors une prestance que l’on ne retrouvait pas chez les plus jeunes. Je me suis convaincue que c’était comme ça qu’il fallait faire. Ce jour-là, je fais deuxième derrière elle, mais c’était comme une victoire car elle était un cran au-dessus. Elle avait 27 ans, était logiquement plus mature, davantage établie auprès des arbitres. Son style était aussi plus posé, alors que j’étais plus fougueuse. Lorsque je la retrouve en finale à Münich, on vient de gagner par équipe la veille et je suis plus confiante. J’étais certaine que ça pouvait le faire. Avec du recul, en ayant revu plusieurs fois la vidéo, je réalise tout de même que j’étais encore loin d’elle… Quoi qu’il en soit, sur les quatre finales mondiales où elle m’a battue (de 1998 à 2004), elle avait toujours six ans d’avance sur moi (sourire). À Monterrey, en 2004, je pense que j’aurais dû lui passer devant mais les juges en ont décidé autrement. »
Godzilla et la grande équipe de France
« À Rio, on a senti qu’un groupe extrêmement costaud commençait à se former. Il y avait quelque chose de familial, une force commune qui faisait que l’on avançait tous ensemble. Je me souviens du début de la compétition, lorsque je me suis alignée au milieu des autres, je sentais toute l’énergie de l’équipe derrière moi. Et Munich, c’était grandiose parce qu’on a presque tous gagné (16 médailles dont 6 en or). Par équipes, on fait trois titres sur quatre possibles, seuls les techniciens masculins terminent en argent. Avec les jumelles, à notre sortie du tatami, je revois toute l’équipe en train de nous attendre. Les filles du combat venaient de passer et on s’est retrouvés tous ensemble, on était tous champions du monde : c’est quand même un truc de dingue ! Le dénominateur commun de cette équipe, c’était le leadership. Même quand un nouveau débarquait, il était entraîné par cette vague qui faisait que, lorsque l’on arrivait sur le tatami, on avait un statut à défendre. Et puis l’ambiance était vraiment sympa. Dans le groupe, on avait tous un petit surnom… Je ne l’ai su qu’après mais le mien était “Godzilla”, parce que quand j’arrivais sur le tapis, j’étais comme un dinosaure : tout en puissance et sans le moindre doute. »
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen