Laurence Fischer : « aider les femmes à se réapproprier leur corps »
Des cours de karaté à la maison des femmes de Saint-Denis à compter du 8 marsRetirée de la scène internationale depuis 2006, Laurence Fischer mène à présent un autre combat. Avec Fight For Dignity, l’association qu’elle a créée en 2017, la triple championne du monde (1998 et 2006 en individuels, 2000 par équipes) vient en aide aux femmes victimes de viol. Son objectif : leur permettre de se reconstruire grâce à la pratique du karaté. Rencontre avec un caractère d’action aussi déterminé que ses yoko-geri à l’occasion de la Journée Internationale des droits de la Femme ce 8 mars.
« Le karaté m’a aidée à prendre confiance en moi »
Du haut de ses dix-sept médailles décrochées en grands championnats, Laurence Fischer dispose de l’un des plus importants palmarès du karaté français. Les titres, les podiums et les honneurs qui vont avec ne sont cependant pas les premiers éléments qui lui viennent à l’esprit au moment d’évoquer ce que la discipline lui a apportée. « C’est évident, j’ai obtenu une certaine reconnaissance en raison de mes résultats, concède celle qui combattait dans la catégorie des +60kg. Mais le karaté, c’est beaucoup plus que cela. Ce sport m’a avant tout aidée à prendre confiance en moi et à gagner en sérénité, ce qui est primordial. Il m’a aussi inculqué des valeurs profondes, spécifiques aux arts martiaux, comme le respect d’autrui ou le dépassement de soi. Surtout, c’est le karaté qui m’a offert l’opportunité de voyager et de faire autant de rencontres, qui m’a ouvert cette grande fenêtre sur le monde. »
En Afghanistan, un déclic
Son parcours, justement, est jalonné de rencontres marquantes et qui, au fur et à mesure, ont façonné son engagement humanitaire. Le premier véritable tournant a lieu en 2005, en Afghanistan. « Je n’étais jamais allée dans un pays aussi pauvre auparavant, a avoué la combattante originaire de Haute-Garonne. Grâce à Sport Sans frontières, j’ai pu entraîner l’équipe féminine afghane de karaté, nouvellement créée. Dans une société aux libertés restreintes et qui ne leur laissait qu’une place très réduite, ces femmes profitaient du sport pour s’affirmer, s’émanciper. Pour elles, l’enjeu dépassait nettement le cadre de la simple pratique. On était évidemment loin du haut niveau, mais l’essentiel est pourtant bien là. J’ai été impressionnée par leur force mentale et leur extraordinaire capacité d’absorption. Cette rencontre m’a servi de déclic et je pense même qu’elle a eu un impact sur ma dernière année de compétition, en 2006, lors de laquelle j’ai tout gagné. »
Donner des coups pour faire sortir sa colère
En 2013, Laurence Fischer fait la connaissance du docteur Mukwege (photo ci-contre), gynécologue et ardent défenseur de la cause des femmes en République démocratique du Congo. La Française est sensible à son discours et, l’année suivante, elle décide d’aller collaborer avec la Fondation Panzi, située à l’extrémité Est de ce pays d’Afrique centrale. « Je devais intervenir auprès de femmes victimes de viol, raconte-t-elle. Ces filles avaient entre seize et vingt ans, j’en ai même vu une de douze ans. Certaines avaient le Sida, d’autres étaient enceintes et, dans l’ensemble, elles étaient stigmatisées, rejetées par leur communauté. Je leur ai d’abord montré comment elles pouvaient se défendre face à un agresseur, en leur enseignant les gestes de base du karaté, comme les coups de pied ou les coups de poing. Mais, l’idée, c’était surtout de les aider à se réapproprier leur corps, dont elles se sentaient déconnectées à cause de ce qu’elles avaient subi. Le fait de lâcher leurs cris en donnant des coups leur permettait de faire sortir leur colère, leur honte, tout ce qu’elles gardaient profondément enfoui en elles. Je leur ai aussi appris des katas, qu’elles pouvaient répéter quand elles en avaient envie. Le temps aidant, ces femmes ont pu relever la tête et repartir de l’avant. »
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Fight For Dignity, un combat qui s’inscrit dans la durée
« Ces dernières années, j’ai eu l’occasion de mener plusieurs actions à l’étranger, mais il s’agissait toujours d’initiatives éphémères, analyse la septuple championne d’Europe. Au Congo, j’avais vraiment envie de construire un projet stable sur la durée. C’est pour ça que j’ai décidé de créer l’association Fight For Dignity. Sur place, j’ai passé le flambeau à Franck Kwabé, qui s’occupe de donner des cours aux filles en mon absence. De cette manière, nous pouvons travailler de manière pérenne. »Fight For Dignity a donc pour principale mission de permettre aux femmes victimes de viol de reprendre confiance en elles. Mais ce n’est pas le seul objectif. « Nous souhaitons également les aider à se réinsérer dans la société, révèle la fondatrice de l’association. À terme, elles finissent par quitter le centre et retrouvent une activité. Trois de mes anciennes élèves souhaiteraient même enseigner le karaté aux autres femmes de leur communauté. C’est évidemment compliqué, sachant que cela serait mal perçu au sein de cette société, encore très patriarcale. Mais j’aimerais faire en sorte qu’elles y parviennent. »
« Proposer notre modèle au plus grand nombre »
Créée il y a un an tout juste, en mars 2017, Fight For Dignity, compte bien étendre son action au-delà des frontières congolaises. « Notre but final, c’est de dupliquer ce modèle afin de le proposer au plus grand nombre », affirme la très active Laurence Fischer, historiquement engagée au sein de l’association Premiers de Cordée et son programme Sport à l’Hôpital, mais aussi auprès de la candidature de Paris pour les Jeux 2024, pour laquelle elle était membre de deux missions consultatives et a promu dans le monde entier le programme « PL4Y International ». Ce que nous sommes en train de faire au Congo, nous pouvons également le réaliser en Afghanistan, en Colombie, au Soudan du Sud… » Et en France ? « C’est prévu, reconnaît celle qui a été sacrée championne nationale onze fois d’affilée entre 1995 et 2006. Il y a un mois, nous avons lancé un projet pilote avec la Maison des femmes, en Seine-Saint-Denis. En parallèle, nous menons des études afin de savoir comment améliorer notre approche pédagogique. Moi, ma mission reste la même : venir enseigner le karaté, aussi régulièrement que possible, dans un environnement bienveillant pour la femme. La reconstruction passe par là. »
Maison des femmes : inauguration des cours de karaté le 8 mars
Célébrée ce jeudi 8 mars 2018, la Journée internationale des droits des femmes symbolise le point de départ d’une nouvelle étape pour Fight For Dignity. C’est en effet cette date que la Maison des femmes de Seine-Saint-Denis a choisie afin de lancer officiellement son programme karaté, en lien étroit avec l’association créée par Laurence Fischer. « Le karaté permettra aux femmes d’apprendre quelques techniques de défense, de promouvoir leur autonomie mais aussi d’adhérer à un état d’esprit leur permettant d’aller mieux aussi bien dans leur corps que dans leur tête, » précise le docteur Ghada Hatem, médecin-chef et fondatrice de la Maison des femmes. Les cours de karaté auront lieu tous les jeudis de 14h à 15h à la Maison des femmes de Saint-Denis.
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Propos recueillis par Raphaël Brosse / Sen No Sen