Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Depuis quinze ans, la fédération française de karaté a développé la pratique scolaire en se rapprochant de l’UNSS, de l’USEP et de la FFSU. Avec l’entrée du karaté au programme olympique en 2020 et la désignation de Paris pour accueillir les JO de 2024, toutes les conditions sont maintenant réunies pour faire du karaté un sport majeur à l’école.
De grands rendez-vous en 2018
Le 18 octobre dernier, la rencontre entre Francis Didier et Laurent Petrynka avait un air de déjà vu pour le président de la FFK et celui de l’UNSS (union nationale du sport scolaire), également à la tête de la fédération internationale du sport scolaire (ISSF). Forts de la convention liant leurs fédérations respectives depuis plus de trois olympiades, les deux dirigeants ont notamment évoqué la présence du karaté au programme des Gymnasiades 2018 à Marrakech (Maroc) et 2020 à Jinjiang (Chine), ainsi qu’un projet d’accord entre la fédération mondiale de karaté (WKF) et l’ISSF. De très bon augure pour le développement du karaté en milieu scolaire, d’autant que 2018 rimera aussi avec l’organisation des onzièmes championnats du Monde universitaires, qui se tiendront à Kobe (Japon) du 19 au 22 juillet. En 1998, la première édition de la compétition s’était déroulée à Lille, qui s’apprête à faire de nouveau honneur au karaté scolaire dans quelques mois… Du 21 au 25 mars 2018, la capitale nordiste accueillera successivement les championnats de France UNSS et FFSU, pour plus de 350 participants attendus. L’événement devrait même revêtir une dimension supplémentaire avec la tenue d’une conférence consacrée aux Jeux de Tokyo 2020 et à ceux de 2024. « Nous avons voulu mutualiser les deux championnats pour faire prendre conscience que la pratique sportive ne s’arrête pas après le lycée, explique Alexandre Pavy, arbitre international et responsable de l’organisation. Nous voulons montrer qu’il y a une continuité et une unité parce que nous sommes dans le même esprit scolaire. »
Un révélateur de talents
Depuis la première rencontre inter-établissements organisée à Eaubonne (Val-d’Oise) en 2002, la pratique du karaté scolaire a bien progressé dans l’Hexagone. Chaque année, plus de 150 athlètes et officiels participent aux championnats de France UNSS sur les 400 à 500 inscrits aux différentes compétitions académiques. Pour s’y qualifier, il faut présenter une équipe de deux à quatre compétiteurs, dont au moins une fille, ainsi qu’un jeune officiel. Plus abordable que le rendez-vous national fédéral, l’épreuve enregistre néanmoins la participation de plusieurs des meilleurs jeunes Français. En 2005, le premier championnat de France UNSS à Sens (Yonne) avait ainsi couronné trois futurs piliers de l’équipe de France seniors : Alexandra Recchia, Lucile Breton et Salim Bendiab. « J’étais venu avec quatre autres élèves de mon collège de Condé-sur-l’Escaut. Il y avait une bonne ambiance et beaucoup d’intensité, se remémore le champion du monde (2012) et d’Europe (2013) par équipes. J’avais terminé deuxième en kata et premier en combat. C’était un titre en plus et une bonne compétition de préparation. En France, le niveau en UNSS est vraiment pas mal. On y retrouve des jeunes qui découvrent la discipline et d’autres qui ont déjà de l’expérience. Je me souviens par exemple qu’Alexis Raspilair, mon camarade de club, était venu se régler sur une compétition scolaire quelques mois avant sa troisième place aux championnats d’Europe cadets en 2013. » Au niveau universitaire aussi, les championnats de France révèlent de futurs grands. Victorieuse du titre national à deux reprises, Sophie Bret alors Sophie Gerbet, a également été sacrée championne du monde universitaire en 2000. « Tant en fédéral qu’en universitaire, c’était naturel de mener les deux de front », témoigne l’ancienne membre de l’équipe de France juniors.
Des valeurs communes
Professeur d’EPS de formation, Sophie Bret est aujourd’hui pleinement investie dans le développement du karaté scolaire en tant que directrice de l’UNSS au sein de l’académie de Lyon. Parmi la trentaine de sports qu’elle coordonne sur son territoire, le karaté occupe forcément une place de choix. « Ce sport possède un code moral très fort, avec des valeurs de solidarité, de respect, de vivre ensemble et de bienveillance qui sont communes à l’Éducation nationale, rappelle-t-elle. Que l’on soit issu d’un milieu défavorisé ou non, on ne monte pas sur un tatami si on n’a pas effectué le salut, il y a ce respect de l’adulte ou du senseï,… En termes de valeurs, je pense que le karaté a un train d’avance. C’est quelque chose qui fait partie de la pratique. » Pour promouvoir la discipline de cœur dans son académie, Sophie Bret peut notamment compter sur l’association sportive créée par l’ancienne internationale Neda D’Angelo-Tavassoli à la Cité scolaire internationale de Lyon. Les deux jeunes femmes organisent aussi chaque année les championnats académiques avec leurs voisins de Grenoble, qui recensent en moyenne une quarantaine de participants. Comme elles, l’ancienne vice championne d’Europe de combat Nathalie Benoît s’associe à l’académie de Sens (Yonne) pour les compétitions académiques. La professeure d’EPS au collège Évariste Galois de Sevran (Seine-Saint-Denis) a lancé une section sportive karaté en 2007, «pour changer un peu l’image des sports dans les quartiers populaires ». Chaque semaine, entre 40 et 55 élèves de la sixième à la troisième s’exercent au kata et au combat pendant trois heures, en plus de leur pratique de l’EPS. « Pour certains, cela offre la possibilité de pratiquer un sport qui, culturellement, n’est pas dans leurs habitudes. Cette pratique leur permet de s’ouvrir à autre chose. Certains enfants ont réussi à rester au collège grâce au karaté. L’objectif est de les amener vers la compétition sportive via le sport scolaire, mais aussi de les former à l’arbitrage et au coaching. »
Des avantages concrets
Lors de la dernière rentrée, une ancienne élève de Nathalie Benoît est ainsi revenue la voir pour poursuivre sa formation de jeune officielle nationale au lycée. Le but : prétendre à une note minimum de 16 à l’épreuve facultative d’EPS au baccalauréat, attribuée à tous les jeunes arbitres détenteurs d’une certification nationale en UNSS. Un avantage également accessible aux élèves ayant accédé à un podium national entre la seconde et la terminale, les quatre points restants relevant d’une présentation orale devant un jury. D’autres passerelles existent entre les systèmes scolaire et fédéral : un jeune officiel national de l’UNSS peut ainsi s’inscrire à l’examen d’arbitre départemental sans passer par l’étape de stagiaire, quand un jeune entraîneur qui officie aux championnats de France UNSS peut bénéficier d’une prise en charge financière de la FFK pour passer l’attestation fédérale d’assistant (AFA). « En tant que parents, c’est intéressant de savoir que l’activité sportive de son enfant peut être valorisante pour ses études », souligne Alexandre Pavy, professeur d’EPS au lycée professionnel Antoine de Saint-Exupéry d’Halluin (Nord). Dans l’Yonne, Gilles Venet, professeur de mathématiques et professeur 7e dan de karaté, insiste lui aussi sur la formation des jeunes officiels et des entraîneurs au sein de la section sportive de seize à vingt élèves qu’il a ouverte en 1999 au collège Montpezat. « Plusieurs jeunes ont obtenu des podiums nationaux et rejoint le pôle espoirs de Dijon, mais il n’y a pas que l’aspect kimono qui compte, rappelle le président du comité départemental de l’Yonne, membre de la commission mixte nationale (CMN) qui pilote depuis huit ans le développement du karaté scolaire en France. La formation est aussi importante. Aujourd’hui, ce sont les anciens du collège qui donnent les cours. Ils ont pris le relais, ont passé leur diplôme d’État ou sont devenus arbitres nationaux. »
Le karaté, acteur du sport partagé
Lors des derniers championnats de France de kata, la participation de Nohan Dudon, pratiquant malvoyant de quinze ans, a mis en lumière les bienfaits du sport partagé. Développé par l’UNSS, ce concept permet aux jeunes valides et à ceux en situation de handicap de concourir au sein d’une même équipe. C’est dans ce cadre que Nohan Dudon a pu effectuer ses premiers pas en compétition, encouragé par David Rossi, son professeur au Karaté Club Spirit Bushido de Vins-sur-Caramy (Var). Membre de la CMN, l’enseignant d’EPS dans l’académie de Nice a élaboré une méthode d’entraînement spécialement adaptée à son élève. David Rossi est également à l’origine de la création du challenge national de karaté au sein du sport partagé.
Identifier de nouveaux relais
Pour poursuivre cet apprentissage sportif et citoyen à travers le karaté, la CMN cherche à identifier les professeurs d’EPS susceptibles de monter une association sportive au sein de leur établissement scolaire. Un appel à candidatures était d’ailleurs en cours jusqu’à fin novembre afin de nommer des référents dans chaque académie où la pratique scolaire est encore faible, voire inexistante. « Il y a des régions comme le Sud-Ouest où l’on sait pertinemment que l’on a d’excellents compétiteurs, mais où l’on a rarement des équipes, regrette Alexandre Pavy. C’est impressionnant le nombre de licenciés fédéraux qui sont scolarisés, mais qu’on ne voit ni en championnat universitaire, ni scolaire. Nous avons besoin de relais dans ces régions pour relancer cette dynamique. » Les conditions n’ont jamais été aussi favorables. Depuis la signature d’une convention entre la FFK et l’USEP (union sportive de l’enseignement du premier degré) en 2015, le karaté peut se pratiquer tout au long du cursus scolaire. « Tous les étages de la fusée sont en place. On est présent de la maternelle à l’université, confirme Gilles Venet. Pour une fédération comme la nôtre, développer le karaté au niveau scolaire est un gage de reconnaissance et de promotion. C’est là où il faut être. D’autant qu’à chaque fois que l’on présente notre discipline en terrain « inconnu », on reçoit toujours un accueil formidable. Notre sport mérite d’être connu et reconnu. »
Camille Vandendriessche / Sen No Sen
la rédaction