Ce lundi 20 mai 2019, la Fédération Française de Karaté dévoile son nouveau site internet ffkarate.fr «relooké» et restructuré afin…
Kata, la recherche de l’équilibre
C’est une discipline qui aime le grand écart. Tiraillé entre les temps longs de la position et les temps courts du mouvement, le kata l’est également dans sa préparation physique, entre puissance et souplesse. Les champions tentent de résoudre au quotidien cette équation à deux inconnues : le physique et la technique
Il fait évidemment partie du patrimoine du karaté et l’école française, à l’image du titre européen et de la dernière finale mondiale des « katamen ». Un kata pluriel, comme en parle Lucas Jeannot : « Contrairement au combat, qui se pratique sur les mêmes bases, les katas supposent des qualités différentes, explique le champion d’Europe 2016. Il y a des katas très physiques, très cardios comme kanku-sho. Alors que goju-shiho-dai comprend des phases statiques très lentes et des sursauts d’explosivité impressionnants.»
Le kata, dans son enchaînement de postures quasi-statiques, de gestes très lents et d’accélérations, sollicite le muscle dans toute sa longueur. « Dans mon club à Villepinte, poursuit Lucas Jeannot, on enchaîne les positions figées, plutôt basses, et d’un seul coup, on redémarre très rapidement pour habituer le muscle à l’effort violent. Pour le combattant, rester en position, c’est juste horrible ! » Pour se préparer dans les meilleures conditions, le technicien de 23 ans ne s’enferme pas dans son dojo. Lucas Jeannot fait du tennis « pour travailler les appuis et les démarrages rapides », du vélo « pour le cardio » et beaucoup de natation « pour le souffle et le taux d’oxygène ».
Les gabarits ont évolué
D’autres penchent davantage pour la musculation : un incontournable pour son coéquipier Enzo Montarello. « Comparé aux deux autres (NDLR : Lucas Jeannot et Ahmed Zemouri), je suis un peu plus frêle, reconnaît-il. Je travaille ma rapidité mais aussi ma prise de masse. Le karaté va dans cette direction. Tout le monde s’y met.» Le champion de 22 ans alterne ainsi les séances de musculation et de karaté pur. Sous le regard de sa préparatrice Jessica Buil (NDLR : trois fois championne du monde et six fois championne d’Europe kata par équipes), Enzo a adopté le CrossFit. « Contrairement à la musculation où j’avale les répétitions de développé-couché, je change d’exercice à chaque fois. J’enchaîne les pompes, les abdos, la muscu, les squats… Cela se rapproche énormément du kata parce qu’il faut enchaîner les mouvements et tenir la cadence.»
Pour le Marseillais, le CrossFit permet surtout de trouver le bon équilibre entre prise de masse et vitesse. « J’ai pris quatre kilos en un an, mais je ne veux surtout pas perdre ma rapidité. C’est un grand dilemme pour moi. C’est pour ça que je laisse de côté la musculation classique : en CrossFit, les kilos se prennent sur le long terme tout en conservant la vitesse de démarrage.»
Place au CrossFit
Il y a quelques années, la musculation pure était encore rare. « Je n’ai jamais été un fou de la fonte, confie Jonathan Plagnol. « Avec Ayoub Neghliz et Julien Dupont (NDLR : équipe championne du monde en 2008 à Tokyo), les abdos, les pompes et le gainage étaient intégrés dans l’entraînement. » Le champion privilégiait également le footing : « Je courais deux à trois fois par semaine avec des changements de rythme et beaucoup de fractionné pour récupérer du physique très rapidement. »
Jonathan Plagnol suit de près l’évolution de sa discipline et le gaillard de 33 ans en est conscient : les gabarits de la nouvelle génération ne sont clairement plus les mêmes. « Je l’avais déjà remarqué en 2012 à mon retour : les techniciens sont très affûtés. Désormais, la différence en kata se fait sur le physique, la taille et la puissance. Il suffit de regarder Enzo, Lucas et Ahmed : ce sont des athlètes et c’est cela qui a permis de prendre la relève.» Mais le Lyonnais met en garde : la solution ne se trouve pas uniquement dans la préparation physique. « La technique ne doit surtout pas être mise de côté : le champion de kata est celui qui atteint ce compromis entre physique et technique. »
« Le kata reste une discipline technique »
L’ancien coach de Jonathan Plagnol en équipe nationale confirme que la préparation a changé de nature. Yves Bardreau regretterait presque la dernière décennie. « Je déplore cette insistance sur le physique quand elle se fait au détriment de la technique. Taper fort, c’est simplement ce que l’on dégage. Le kata reste une discipline technique, il ne faut pas l’oublier ! »
Le triple vice champion du monde rappelle que le karaté était réservé, il y a une dizaine d’années, à une poignée de nations : les Japonais, les Français, les Italiens et les Espagnols. « Aujourd’hui, il y a ce nouvel angle de vue mondial. On est beaucoup moins dans l’exécution technique. On privilégie l’apparence physique : ce qu’on laisse transparaître au juge. Avant, pour gagner un dixième, il fallait une coordination des temps lents. Le champion n’était pas forcément celui qui sautait le plus haut. Aujourd’hui, cette base technique est révoquée. » Pour gagner ce dixième, certains n’hésitent plus à utiliser de nouveaux moyens technologiques.
Des athlètes testés
Olivier Maurelli, ancien préparateur physique des vice-champions du monde de kata Sandy Scordo et Minh Dack, n’hésite pas à tester ses sportifs. « J’essaie toujours de décortiquer l’athlète sur ses différentes capacités physiques. Par exemple, Sandy et Minh affichaient un indice de force relativement bas. Il était difficile de mettre de la puissance dans leur kata. Il fallait donc travailler sur cet indice en particulier. »
Dans sa valise de préparateur, Olivier Maurelli dispose ainsi d’un accéléromètre et de plusieurs applications pour en tirer des droites de progression. « Je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un que l’on ne teste pas, affirme l’ancien arrière gauche de handball. C’est obligatoire si on veut être pointu avec des gens qui sont déjà au plus haut niveau. Mais je n’oublie jamais de discuter. Il ne faut pas se focaliser sur ces indices sans écouter l’athlète et sans écouter son corps. »
Et celui qui est désormais préparateur physique au sein du club de handball de Montpellier et de l’équipe de France de volley-ball, de conclure : « Le vrai champion de kata est peut-être justement celui qui affiche le plus bel équilibre entre physique et technique, non pas sur une feuille de statistiques, mais toujours sur le tatami un jour de finale.»