L’engagement Samouraï
Rencontre avec Didier Moreau, Le MansChampion d’Europe 1987, Didier Moreau avait un rêve : vivre de sa passion et professionnaliser le karaté. Il s’est donc investi corps et âme dans son club, le Samouraï 2000 et ses 1 300 adhérents, pour permettre à ses élèves d’atteindre le plus haut niveau. Rencontre avec le directeur technique du club sarthois, désormais 7e dan.
Une blessure qui change tout
15 janvier 1988. Sur les tatamis de Coubertin, Didier Moreau se rompt les ligaments croisés d’un genou. Ce jour-là, les ambitions du tout récent champion d’Europe prennent fin brutalement, alors qu’il avait les mondiaux en ligne de mire. Cette aventure qui s’achève trop tôt, à même pas 26 ans, « c’est mon moteur » explique l’intéressé. Ce 15 janvier 1988, débute pour lui une nouvelle aventure, celle d’entraîneur à temps plein. Et un nouvel objectif : amener ses élèves sur le chemin dont sa blessure l’a privé : le titre mondial. Cette blessure est un tournant, mais elle ne dit pas tout de sa vocation de professeur. Car depuis ses 17 ans, Didier Moreau entraîne. Il est encore ceinture bleue au Karaté Club Ouest du Mans lorsqu’il doit remplacer son professeur, parti. « C’était la période où je n’étais pas très bon à l’école et où je me faisais virer de partout. Et, tout à coup, j’existait à travers l’enseignement du karaté » se rappelle-t-il. Parallèlement à sa carrière d’athlète, il a toujours entraîné avec un but : toujours vivre de sa passion quand les combats s’arrêteront.
« Les titres, je m’en fous, c’est l’aventure humaine qui compte. »
Dénicheur de talents
Au Samouraï 2000, Didier Moreau a fait de la détection des talents de demain sa spécialité. À l’image d’une Leïla Heurtault, débarquée de Guyane à 14 ans pour intégrer le centre de formation du Mans. À son arrivée, la jeune athlète se fait sortir rapidement aux championnats de France, mais le professeur accepte tout de même de la prendre sous son aile. « Quand j’ai vu son attitude de petite gamine qui n’avait pas le niveau mais qui n’avait pas peur, ça m’a touché », confie-t-il. Son instinct ne l’a pas trompé. Et les exemples similaires sont nombreux. Son secret ? Didier Moreau perçoit chez les jeunes ce qu’il appelle « une faille », un point parfois fragile, mais à partir duquel il peut travailler. Il ne s’explique pas complètement d’où lui vient cette faculté, mais il la relie à son parcours personnel. « Je sais ce que c’est d’avoir du mal, de ne pas réussir. J’ai eu des grosses difficultés à l’école. J’étais aussi dans un quartier chaud, où je me battais tous les jours, donc je sais ce que c’est que d’avoir une revanche à prendre sur la vie, de vouloir prouver que l’on existe. »
Tout pour l’athlète
Les actes de Didier Moreau entraîneur sont souvent enracinés dans l’histoire de Didier Moreau athlète. Dans les années 1980, le karaté commençait tout juste à se structurer. « Les entraînements étaient très bien, mais, à côté, on n’avait quasiment rien » se remémore-t-il. Pour leur éviter son parcours accidenté, il a voulu donner le maximum à ses élèves. Au centre de formation qu’il a créé, ils ont accès à un large éventail de professionnels : masseur, diététicienne, préparateur mental, psychologue, médecin. Il rêve de faire du karaté une discipline professionnelle, alors il fait tout pour et y met les moyens. Mais il se défend de gérer une usine à champions. « Les titres, je m’en fous, c’est l’aventure humaine qui compte. Les médailles, on ne les a jamais comptées ». Elles sont pourtant là et leur nombre impressionne : toutes catégories depuis 1985, le club a raflé 12 podiums mondiaux dont 6 titres, 26 podiums européens dont 13 titres, 25 titres de champion ou vainqueur de la coupe de France par équipes, et 103 titres en individuels.
Multi-tâche
Il commence sa journée de travail comme chauffeur. Au volant du mini-bus du Samouraï, il conduit ses athlètes de la résidence d’hébergement au dojo. Recruteur, professeur, il enseigne aux jeunes prometteurs qui aspirent au haut niveau ou font déjà partie de l’aventure bien sûr, mais aussi aux enfants et aux anciens. « J’ai énormément de plaisir à entraîner les 60 ans et plus », confesse-t-il. « Certains sont avec moi depuis le début, depuis 35 ans ! ». Directeur technique du Samouraï 2000, il est aussi pionnier dans la structuration du haut-niveau. Il énumère ses succès : première Section Sportive Départementale (SSD), première Section Sportive Universitaire (SSU), premier Pôle espoirs en 97 au Mans avec Francis Didier, premier centre de formation, premier club élite. « J’aime les challenges, défricher les sentiers pas encore parcourus. » Trois de ses élèves, qui ont commencé le karaté à cinq ans avec lui, font aujourd’hui partie des neuf salariés du club. Le professeur se fait aussi conseiller d’orientation, et s’occupe du suivi socio-professionnel de ses poulains « de A à Z ». « Ma fierté c’est que tous mes athlètes sont sortis avec des diplômes ». Gwendoline Philippe souhaite essayer la finance ? Pas de problème, Didier Moreau passe quelques coups de fil et lui décroche un stage.
Le bon mot
Ce sont les deux facettes d’un même professeur. Il y a d’abord l’entraîneur, dont on a longuement parlé. Il détecte, forme, et prépare l’athlète. Et puis il y a le coach. C’est lui qui prend le relais et s’asseoit sur la chaise le jour de compétition. Un rôle tout aussi primordial pour Didier Moreau, un personnage, qui ne mâche jamais ses mots et monte souvent au créneau pour défendre ses athlètes. « Pendant le combat, rien ne sert de beaucoup parler. Ce qu’il faut, c’est trouver le bon mot au bon moment. Le ressort qui va permettre de faire basculer le combat », confie le professeur. Cette faculté à bien choisir ces mots qui vont faire mouche, elle découle du travail effectué en amont, d’une relation patiemment tissée. En fonction des personnalités de chacun, en fonction de la situation, Didier Moreau sait s’il doit hausser le ton, ou au contraire s’adoucir. Idem dans les vestiaires avant les combats. « Sur nos titres de coupe de France par équipes, bien souvent, on ne devait pas la gagner la finale. Et ça s’est joué dans le vestiaire, un quart d’heure avant. Parce qu’on a réussi à trouver les mots, l’habitude qu’il fallait. »
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Gaëtan Delafolie / Sen No Sen