Light contact, bien plus que du pieds-poings
Quand la pratique trouve un écho magistralLe contact et le goût des autres. Reportage au club « Pôle Boxe 77 » à Melun, à soixante kilomètres au sud de Paris, où Mohamed Dehimi tend la main aux jeunes en situation d’échec scolaire.
« Désolé, c’est un peu la pagaille ! » Quand il ouvre la porte de son bureau, l’un des premiers réflexes de Mohamed Dehimi est de s’excuser pour le désordre très relatif qui règne dans la pièce. Employé par la mairie de Melun, celui que tout le monde surnomme « Momo » est ici comme chez lui. Vêtu d’un survêtement aux couleurs de l’équipe nationale de Russie (sa femme est Russe), l’éducateur sportif de cinquante-six ans n’est pas avare en bons mots lorsqu’il faut évoquer l’histoire de son club, le Pôle Boxe 77. Une histoire riche en succès, comme en attestent les trophées posés sur les étagères et les coupures de presse placardées sur un mur voisin. Mais il ne faut pas s’y tromper : ces victoires ne sont pas que sportives.
Reprendre confiance par le sport
Dans une salle située de l’autre côté du couloir, une vingtaine de pratiquants montent en température tout au long de leur échauffement. Ce sont des élèves de « l’école de la deuxième chance », comme l’indique l’imposante plaque accrochée en face de l’entrée. À sa création en 1996, le club était un programme d’insertion par le sport, destiné à aider les jeunes en situation de rupture scolaire à s’en sortir. Vingt-trois ans plus tard, la raison d’être du club n’a absolument pas changé. « Les jeunes que nous accueillons sont en manque de repères, explique Mohamed Dehimi. Au départ, ils ne comprennent pas que le sport peut leur fournir des qualités techniques et humaines qui leur seront ensuite utiles dans la vie. Ils ont quitté l’école très tôt, n’ont pas leur Bac ? Ce n’est pas un souci. Nous pouvons les aider à passer de l’ombre à la lumière, à obtenir la reconnaissance des autres… et de l’État. » Comment ? En s’alignant en compétition, tout d’abord. « Je leur dis toujours qu’il vaut mieux apparaître dans la page des sports que dans celle des faits divers, raconte l’entraîneur melunais. Remporter des combats leur permet de reprendre confiance en eux, de retrouver l’espoir qu’ils avaient perdu. Et le regard que les autres portent sur eux évolue considérablement. »
Mettre le pied à l’étrier
La participation à des compétitions (voire l’accès au meilleur niveau pour certains) n’est cependant pas le seul axe qui compte aux yeux de Mohamed. Le directeur technique souhaite aussi accompagner ses protégés hors de la salle, dans leur parcours universitaire comme au moment d’entrer dans le monde du travail. « Une gamine est venue me voir car elle aimerait suivre des cours à l’université Paris II, qui dispose d’une antenne à Melun, révèle « Momo ». Je vais l’aider à faire les démarches nécessaires et je vais appuyer son dossier. Quand je recommande l’un de mes élèves à un employeur, j’engage ma responsabilité. Je me porte garant du sérieux de la personne en question. C’est une sorte de label. » Grâce à ses bonnes relations avec les collectivités locales, les sponsors du club ou encore les commerçants du coin, Mohamed n’est jamais à court de solution. Il incite également ses licenciés à prendre part aux cérémonies commémoratives, telles que celles du 11 novembre ou du 8 mai. « Je suis très à cheval sur la nécessité d’honorer le devoir de mémoire, assure cet ancien policier. De plus, cela permet à nos jeunes de montrer qu’ils font partie intégrante de la vie de la commune. Ils ne doivent pas rester à l’écart. » Des droits, des devoirs, des efforts…
Modèles à suivre
Pour mener à bien sa mission, Mohamed a besoin de modèles à mettre en évidence. « À chaque fois qu’un de ces gamins réussit, il sert de lièvre pour les autres », justifie-t-il en regardant le portrait d’Herbert Danois, multiple champion du monde de boxe française. « Lui, c’est le summum, la locomotive du club » souffle le coach francilien. Actuellement, la structure de Seine-et-Marne peut se féliciter de compter dans ses rangs non pas un, mais deux éléments moteurs. Il y a d’abord Chahinesse, devenue championne de France light contact six années après avoir rejoint le club. « À cette époque, je manquais cruellement de confiance en moi, et j’ai pu y remédier en mettant les gants », affirme l’étudiante de dix-neuf ans, qui porte un regard très positif sur le côté omniscient de son entraîneur. « Momo est tout le temps derrière nous, à regarder ce qu’il y a dans notre assiette ou à s’assurer qu’on ne fasse pas de bêtises, sourit-elle. C’est aussi lui qui m’a aidée, indirectement du moins, à entrer à la préfecture. » Et puis, il y a Hassan, sacré champion de France de karaté full contact l’an dernier. « Ce qui m’a motivé, ce sont les modèles que nous avions, se souvient-il. Je m’entraînais avec certains d’entre eux, ce qui m’a donné la hargne et l’envie de toujours progresser. Je n’ai pas encore réussi à atteindre leur niveau, mais j’espère bien y arriver ! » Issu d’une famille de réfugiés politiques syriens, le jeune homme a été naturalisé français en 2018, après trois années d’attente. « C’est en partie grâce à mon coach que j’ai obtenu ma nationalité française, que j’ai reçu la médaille d’honneur de la ville de Melun et que j’ai trouvé un boulot à la mairie », résume le combattant de vingt-deux ans.
L’intérêt du light contact
S’il enseigne différentes disciplines à ses quelque quatre-vingts licenciés, Mohamed Dehimi met l’accent sur le light contact. « J’apprécie particulièrement le light parce que j’ai toujours privilégié la technique à la puissance, souligne-t-il. Je ne veux pas avoir des bœufs sur le tapis, mais des jeunes qui maîtrisent les bases de leur art, avec une belle gestuelle. » Les combattants melunais peuvent d’ailleurs mettre leurs qualités en exergue à l’occasion des compétitions fédérales. « La pratique pieds-poings à beau être d’une grande richesse, avec beaucoup d’influences, des vécus et des histoires différents, j’aime le côté sérieux et protocolaire de la fédération, avoue Mohamed. La manière dont l’entrée sur le tapis est codifiée, le respect hérité de la plus pure tradition des arts martiaux… Le cadre est clairement établi. » À la fin du cours, Chahinesse, Hassan et les autres se saluent avant de rentrer chez eux. Leur entraîneur ferme la porte à clé, tout en continuant de réfléchir à ce qu’il pourrait faire pour aider tel ou tel élève. Car il en est ainsi : « l’école de la deuxième chance » requiert un investissement à plein temps.
Texte et Photos : Raphaël Brosse / Sen No Sen