Lucas Jeannot, le savoir est une arme
Sa soif de connaissances semble inépuisable. Lucas Jeannot, 23 ans, est un questionneur compulsif qui empile les savoirs. Une quête de l’excellence qui l’a conduit à une année 2016 exceptionnelle : un titre de champion d’Europe et l’argent mondial en kata par équipes, mais aussi l’obtention de son master II en droit et le début d’une thèse.
LE CALME AVANT LA TEMPÊTE
Même lorsqu’il boit son thé, ses gestes sont lents, appliqués. La première chose qui frappe quand on rencontre Lucas Jeannot, c’est l’apaisante sérénité qui émane de lui. « C’est quelqu’un qui a un tempérament très posé, très réfléchi », confirme Ayoub Neghliz, son entraîneur en équipe de France de kata. Même constat chez Patrick Morvan, son directeur de thèse à Panthéon-Assas. « Il est d’un calme absolument incroyable, jamais un mot plus haut que l’autre. » À écouter le principal intéressé, cette tranquille assurance naît de l’équilibre entre sport et études. « Grâce au karaté, je me surprends parfois à être d’un calme olympien pendant un examen oral. Et inversement, les études m’aident à relativiser le karaté, je me dis que ce n’est pas là que va se jouer ma vie. Et quand j’enlève cette pression-là, je peux me lâcher en compétition. » Et accumuler les victoires.
« Ses connaissances anatomiques et du karaté lui ont permis d’aller beaucoup plus loin » Philippe Leprince, KCVO Villepinte
COUP DE FOUDRE
Ce calme n’allait pourtant pas de soi. C’est pour canaliser le fiston que son papa l’inscrit au karaté, au Samouraï 83 de Toulon, où habite la famille. Lucas Jeannot n’a alors que six ans et demi, mais le souvenir de ses débuts est intact. « J’étais en survêtement alors que tous les autres étaient en tenue avec leurs ceintures blanches. Il y avait tout un cérémonial et un univers qui m’ont tout de suite fasciné. Et la première chose que j’ai dit à mes parents quand je suis sorti c’est “je veux mon kimono“ ». Il aura donc suffit d’un cours d’essai – un cours de kata – pour que le garçon succombe aux charmes du karaté. Adolescent, l’idylle prend la forme de posters qu’il collectionne : les sœurs Buil, Myriam Szkudlarek, Ayoub Neghliz ou Jonathan Plagnol. Aujourd’hui, c’est son tour de se retrouver punaisé sur les murs de jeunes karatékas rêveurs.
LE DROIT CHEMIN
Lucas Jeannot a toujours été un élève brillant. Au lycée, il s’engage dans la filière scientifique, mais la mort de son père bouleverse l’adolescent. « J’ai eu une révolution dans ma tête, mes priorités ont changé. Les maths, les sciences, je ne voyais pas pourquoi je faisais tout ça. » En terminale, il se découvre une passion pour la littérature, l’histoire et la philo. « Une révélation ». Il passe son bac S mais se tourne ensuite vers le droit avec la volonté d’« apporter [sa] pierre à la société. » Il obtient sa licence à Toulon, puis monte à Paris où il intègre le master II criminologie de Panthéon-Assas. Son statut d’international le contraint à un emploi du temps millimétré mais ne l’a jamais empêché d’exceller. « Son dossier était tellement bon qu’il a été sélectionné sans même que je sache qu’il était sportif de haut niveau », se rappelle Patrick Morvan, directeur du master. Sous sa conduite, l’athlète poursuit aujourd’hui une thèse sur la souffrance des victimes. Et se rêve un futur de juge d’instruction.
ÉTUDIANT EN KARATÉ
Ce côté premier de la classe, le vice-champion du monde l’applique également à sa pratique du kata. « Ce n’est pas un instinctif, il est dans le questionnement permanent », analyse Philippe Leprince, son entraîneur au KCVO Villepinte. « Quand il est arrivé au club, on s’est intéressé à la biomécanique et à la physiologie. Son champ de connaissances anatomiques et sa connaissance du karaté lui ont permis d’aller beaucoup plus loin. » Selon lui, l’athlète « aime les sommets » et se donne les moyens d’y grimper. Une approche intellectuelle et une recherche de perfection que confirme Ayoub Neghliz. « Lucas aime bien tout prévoir, tout calculer ». Des qualités qui ont conduit l’entraîneur national à en faire son relais sur le tatami, son « capitaine de parole ».
« Je sais que ça agace parfois les gens mais j’adore réfléchir, théoriser les choses »
LES COPAINS D’ABORD
« C’est comme un frère ! », s’exclame Lucas Jeannot lorsqu’on lui parle d’Ahmed Zemouri. Rivaux lors de leurs premières compétitions jeunes, ils ont commencé à travailler ensemble en équipe de France en 2008, et ne se sont plus quittés depuis. Avec Enzo Montarello, qui les a rejoint ils y a deux ans, la mayonnaise a pris de suite. Deux semaines après leur premier entraînement tous les trois, ils remportent l’Open de Paris 2015. Une alchimie express que Lucas explique avec poésie : « Au théâtre, il y a un exercice où tu fermes les yeux, tu te laisses tomber, et la personne derrière toi te rattrape. Cette première compétition, c’était ça. On n’a pas de repère, on ne se connaît pas, mais à un moment il faut lâcher prise. » Pour le jeune homme, la confiance et l’amitié sont fondamentales dans la réussite d’une équipe de kata. « Ce qui fait leur force aujourd’hui, c’est la complémentarité qu’ils ont, une cohésion que je n’ai encore pas vu dans les autres équipes internationales », analyse leur coach Ayoub Neghliz.
SPORTIF ET INTELLO
« Je sais que ça agace parfois les gens mais j’adore réfléchir, théoriser les choses. » Lors de son parcours scolaire, plusieurs professeurs lui ont conseillé d’arrêter le karaté, arguant que ce n’était pas conciliable avec les grandes études qui l’attendaient. Mais le jeune homme, qui a toujours au moins un livre sur lui, y est parvenu et assume sa double casquette : « sportif et intello ». Il sait que son profil est atypique mais il est loin de se penser exceptionnel. « Certains sportifs ne croient même plus en leurs capacités intellectuelles, à faire autre chose, parce que c’est ce qu’on leur renvoie. On se construit par rapport au regard de l’autre. Il faut arrêter de cataloguer les athlètes. » Peu de risques en tout cas de voir cet inclassable rangé dans une case.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen