Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Vice champion du monde des lourds (2008) et champion du monde par équipe (2012), Ibrahim Gary, 33 ans, est aujourd’hui préparateur mental et sophrologue. Il travaille auprès des champions (Kenji Grillon, Marvin Garin…) mais aussi avec des pratiquants de club, et intervient également en entreprise. Chaque mois, retrouvez ses conseils à la portée de tous pour améliorer votre approche mentale du karaté et vous épanouir dans votre pratique.
La routine ? Un message envoyé à son corps
Le but d’une routine, un terme dont vous avez souvent entendu parler, est d’activer du positif dans le cerveau. L’exemple type de routine de concentration, c’est celui de Rafael Nadal. Vous l’avez peut-être remarqué : avant chaque match, il aligne ses bouteilles de la même manière. Avant chaque point, il fait un nombre précis de rebonds avec la balle, il remet ses cheveux en place, etc. Quand il effectue cette routine, il est en train de dire à tout son corps : « aujourd’hui, tu vas gagner ! ». Pendant que nous sommes en train de nous moquer de sa gestuelle exagérée au possible, lui, c’est comme s’il appuyait sur un interrupteur qui va lui permettre de se concentrer, d’activer de la motivation. Parfois, vous ne vous sentez pas bien et la routine, petit à petit, va vous remettre dedans. Au karaté, le spécialiste du genre, c’était Mathieu Cossou (champion du monde par équipes 2012). Avant chaque combat, il faisait les mêmes gestes, les mêmes petits sauts, « un-deux-trois-quatre ! », il se mettait en Yoi en fixant son adversaire… Et là, il était prêt. Si un jour il ne le faisait pas, on savait qu’il n’était pas en forme, que le combat allait être compliqué. Chaque routine est différente et personnalisée, mais certains éléments reviennent toujours. Première étape, le relâchement total du corps et de l’esprit. Deuxième, l’analyse : « dans quel état je suis ? Où ça ? Avec qui ? ». Troisième étape, j’appuie sur l’interrupteur, j’enclenche le mode « action » en déroulant ma routine.
Ancrer le positif
La routine, même si elle est faite inconsciemment, est une technique de préparation mentale. Elle repose sur le fait d’associer un geste à une ressource, par exemple de la confiance, de la motivation ou du relâchement. Quand vous vous retrouvez dans une situation où vous avez besoin de cette ressource, vous l’activez en effectuant le ou les gestes. C’est quelque chose qui est d’ailleurs désormais beaucoup utilisé par les dirigeants d’entreprises, les managers qui doivent prendre la parole devant une assemblée et qui stressent. On met en place avec eux ce qu’on appelle un ancrage. Ils ont juste à faire un petit signe, par exemple former un cercle avec le pouce et l’index, et les voilà détendus. Pour préparer la personne, on lui fait imaginer des situations de confiance, de bien-être, et on les associe au geste qu’elle a choisi. Cet ancrage, vous pouvez le créer tout seul. Si vous avez envie de sauter à cloche-pied avant d’entrer sur le tatami parce que c’est source de motivation, il faut le faire. Pour les compétiteurs de tous les niveaux, qui ont souvent des gestuelles propres déjà en place, on va les utiliser comme ancres, les associer à des situations positives et faire monter le niveau de confiance. Vraiment, soyez convaincu : ce type de routine peut jouer à n’importe quel niveau de compétition, à n’importe quel âge, et même en dehors du sport. Vous pouvez l’utiliser avant un examen à l’école par exemple. Vous pouvez aussi vous faire une routine au réveil si vous voulez. « J’ouvre d’abord les yeux, je m’étire de telle manière, et hop je me lève d’un coup ! » et associer cette routine au fait d’être en forme dès le matin.
Célébrer la réussite sans retenue
Les pratiquants, et à plus forte raison les compétiteurs, ont parfois du mal à se dire « génial, j’ai réussi ! » et sont dans la retenue. Au contraire, certains athlètes n’hésitent pas à hurler à chaque mawashi qui fait mouche. Je vous le dis, ce sont eux qui ont raison ! Célébrer une action positive crée ce qu’on appelle du conditionnement à la réussite : ceux qui font ça ancrent la réussite en eux, et crier va les motiver encore plus. Fêter chaque réussite est donc très important, même à l’entraînement. On entend souvent parler de culture de la gagne… Eh bien, c’est aussi comme cela que la victoire se cultive. Même en dehors de la sphère sportive. Si vous avez terminé un dossier au travail ou réussi votre permis de conduire : fêtez-le, marquez le coup. Même si pour les gens extérieurs, ce n’est rien, ne vous empêchez pas de savourer. Vous voulez prendre un verre ou faire une sortie pour vous récompenser ? Foncez ! Il faut matérialiser la célébration, associer le succès à une impression positive. Cela va créer un schéma de réussite dans votre tête. Le cerveau va retenir que vous êtes quelqu’un qui réussit. Schématiquement, face à une difficulté, le cerveau s’en rappellera – « Moi je suis quelqu’un qui réussit » – et vous pourrez la surmonter plus facilement.
Adoptez les bons réflexes à l’entraînement
À l’entraînement, vous apprenez à faire des gammes techniques – et c’est très important. Mais il faut aussi adopter de bonnes habitudes mentalement. Par exemple, si vous buttez sur un exercice, arrêtez-vous, fermez les yeux pendant un moment, puis imaginez-vous en train de le réaliser. Imprégnez-vous en avant de repartir le faire, d’abord lentement, puis en accélérant petit à petit, jusqu’à ce que ça devienne automatique. À la fin de l’entraînement, il faut aussi se ménager un moment de calme. Votre cerveau est ouvert et vous pouvez en profiter pour, par exemple, visualiser la compétition qui arrive (voir ma chronique précédente, sur comment aborder la compétition). Profitez-en aussi pour refaire la séance dans votre tête, corrigez mentalement ce que vous n’avez pas bien réussi. J’ai mis en place cette routine de fin d’entraînement avec le club de combat mixte d’Arnouville. Je leur dis de fermer les yeux, allongés, puis de se repasser la séance qu’ils viennent d’effectuer, de visualiser leurs défauts et de reprendre mentalement les exercices, en les refaisant de manière positive. Au début, les pratiquants rigolaient, se moquaient… mais, très vite, ils sont devenus demandeurs de ce moment. Pourquoi ? Parce qu’il apporte de la confiance, de la justesse technique – c’est l’entraîneur qui en fait le bilan – et une vraie progression en quelques séances. Essayez !
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen
la rédaction