Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Ils (et elles) ont obtenu leur 1er dan il y a quelques mois. Une étape importante dans leur vie de karatékas, et souvent dans leur vie tout court. Rencontres avec les nouvelles ceintures noires du karaté français à travers toute la France. Une série de témoignages avec, en creux, leurs motivations, leurs doutes, leurs espoirs, la relation à leur professeur, leur club et leur partenaire. Le karaté et eux, épisode 5 de cette nouvelle rubrique du MAG’ que vous êtes de plus en plus nombreux à consulter.
Samia El Idrissi
« Tout pour comprendre mes erreurs »
« À cinq ans et demi, mes parents ont dû me trouver un sport dans lequel je pouvais me défouler et c’est ainsi que j’ai suivi mon frère, de deux ans mon aîné, au karaté. J’ai de suite vu la complémentarité entre kumite et kata, qui me permettait de trouver de nouvelles techniques. Puis, petit à petit, j’ai privilégié le côté sportif et le combat de compétition. Ce n’est qu’en changeant de club que j’ai vraiment pris goût au kata, en en découvrant de nouveaux, plus spectaculaires, et en me sentant progresser sur mon kime, mes positions et ma précision. Ce qui a fait que je n’ai pas eu trop de doutes quand j’ai décidé de passer ma ceinture noire, alors que mon précédent professeur n’était pas forcément pour que je la tente. De plus, si ce n’était pas un objectif fondamental pour moi au départ, le fait d’être ainsi un peu sous-estimée m’a beaucoup motivée. J’ai beaucoup travaillé au club, mais aussi chez moi, avec mon frère, en lisant des livres et en regardant des vidéos sur Internet, pour mettre toutes les chances de mon côté. Toute cette expérience m’a permis de vaincre pour de bon ma timidité, pour plus facilement m’imposer devant un public, ce qui était tout bonnement impossible avant. Je me sens désormais davantage leader dans mon cours, notamment auprès de ceux qui préparent leurs grades, et, en même temps, j’apprécie de me faire toujours corriger quand ça ne va pas. Ce n’est que le début de mon parcours en karaté, auquel l’arbitrage est venu s’ajouter, puisque je suis devenue arbitre départementale en juin dernier. Là aussi, il s’agit d’un autre moyen efficace de comprendre mes erreurs. »
L’avis du prof – Romain Agrare, 5e dan
« Que le karaté reste un jeu »
« Après avoir rencontré en compétition plusieurs filles de notre club d’Oisemont, Samia est arrivée avec un double projet : performer en compétition et mieux se préparer pour sa ceinture noire. Avec son frère et sa petite sœur, qui nous également rejoints, ils ont rapidement vu le niveau d’exigence, physique et mental, qui était le nôtre. C’est peut-être ce qui manquait à Samia, qui a gagné en rigueur dans sa pratique. Elle a bien compris que s’il fallait qu’elle bachote pour obtenir ce sésame, c’était également le moyen d’enrichir et de parfaire son karaté, dans cet objectif d’exemplarité que ne doit pas oublier celui ou celle qui obtient sa ceinture noire. Parce que si cela ne veut plus dire grand-chose pour les plus aguerris, ce grade représentera toujours beaucoup pour ceux qui ne l’ont pas encore. Au club, nous nous attachons à multiplier les cours avec des thématiques précises, comme la compétition, le kihon, le kata, les bunkaïs traditionnels ou supérieurs… Et dès leurs débuts, nos jeunes œuvrent aussi bien en kata qu’en combat, car sinon ce serait comme se couper une jambe, en se privant d’une partie de la richesse du karaté. On n’impose rien à personne, mais on donne envie car, pour que le karaté reste un jeu, ce ne doit pas être l’entraîneur qui décide à la place du pratiquant. Ce qu’a progressivement compris Samia, qui est sortie de sa zone de confort en venant chez nous, où elle n’est désormais plus parmi les plus expérimentés, mais qui a gagné en stabilité dans sa façon d’être et a su trouver sa place dans le groupe. Ne lui reste plus qu’à se donner vraiment les moyens de performer en compétition, en redoublant d’efforts à chaque séance, et je suis sûre qu’elle serait surprise de voir ce que ça pourrait donner vu son véritable potentiel. »
Funakoshi Karaté Oisemont (Somme)
14 ans et demi, 9 ans de pratique, lycéenne en seconde générale
Marc Dupèbe
« Je partais de loin »
« J’ai toujours eu un intérêt pour les arts martiaux puisque que, plus jeune, j’ai fait du judo et j’avais déjà testé le karaté. En fait, mon retour à la discipline s’est fait par le biais de mes enfants. J’ai inscrit ma fille et puis, à force de la suivre à l’entraînement ou en compétition, cela m’a donné envie de m’y remettre. Je me suis senti très vite à l’aise puisque je connaissais bien le club et j’appréciais son ambiance. Dès que j’ai repris, notre professeur a su me motiver pour faire de la compétition kata. J’ai choisi de présenter le « shinta » (kata du 5e dan), alors que j’étais ceinture jaune, car je trouvais qu’il m’allait bien. Il m’a permis de finir 3e aux championnats régionaux en vétérans 2. Le kata m’a aidé à gérer mon stress. Depuis que j’ai repris, il y a six ans, je m’entraîne deux fois par semaine puis le dimanche matin, qui est dédié à la préparation des passages de grade et des compétitions. Je me suis aussi investi dans le club (je suis président depuis une olympiade) et comme bénévole au niveau du département, puisque je suis infirmier sur les compétitions départementales et régionales, ainsi que responsable départemental de la commission médicale. Cette ceinture noire est une immense fierté que j’ai partagée avec beaucoup de monde : ma famille, et notamment ma fille aînée, ceinture noire avant moi et qui a fini 2e aux championnats de France kata dans sa catégorie d’âge. Je suis heureux car je l’ai sentie fière de moi. Je partais de tellement loin ! Je suis aussi content pour mon prof et mes collègues de club et satisfait d’avoir atteint un objectif important. Au niveau professionnel, moi qui travaille en psychiatrie, avec des situations complexes à gérer quotidiennement, je me rends compte que le karaté m’a apporté plus de sérénité. Si je suis serein, mes collègues le sont aussi, ce qui entraîne un effet d’apaisement sur les patients lorsque des situations de tension surgissent. Dans peu de temps, ma famille et moi allons déménager en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa. L’une des premières choses que j’ai faite a été d’appeler le comité départemental pour trouver un club là-bas (rires) ! »
L’avis du prof – Jean-Christophe Pacaud, 5e dan
« Le karaté est devenu une passion pour Marc »
« J’ai connu Marc par l’intermédiaire de ses enfants, qui se débrouillent plutôt bien puisque l’aînée est montée sur deux podiums nationaux ! Si je devais définir Marc, à travers sa pratique de ces six dernières années je dirais : persévérance, ténacité et travail. Quand il est arrivé, il avait déjà confiance en lui, mais je pense qu’il a trouvé une véritable passion. Au fil des saisons, il a aussi réussi à faire évoluer son attitude sur le tatami en adoptant désormais immédiatement une posture et un état d’esprit de combat. Il dégage quelque chose, est tout de suite présent. Une passion qui l’a conduit à aller au Japon pour pratiquer à la source ou à s’investir en tant que bénévole au sein du comité départemental comme au club. Un club qui s’est créé en 2008, avec aujourd’hui 148 licenciés pour une ville de 4350 habitants. C’est donc un club familial, mais orienté compétition (combat pour les jeunes et kata pour les vétérans) avec de jolis résultats : notre équipe masculine a fini cinquième aux championnats de France kata, alors qu’Alain Sauzeau a été champion de France dans la catégorie d’âge vétérans 4, à 68 ans. En fait, j’essaie d’embrasser tous les aspects du karaté : kumite, kata et karaté traditionnel tout en essayant d’enrichir l’offre du club avec la mise en place de cours de baby-karaté ou de séances spécifiques de renforcement musculaire. Cette saison, nous aimerions mettre en place des cours de karaté défense training. »
Kenzen Club de Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique)
48 ans, 6 années de pratique, infirmier-cadre de santé dans un hôpital psychiatrique
Benjamin Aumeunier
« Voir jusqu’où je pouvais aller »
« Depuis mes années baby-karaté à partir de trois ans, je n’ai jamais pu m’arrêter, surtout que j’ai vite rejoint le club de mes cousins, avec mon père et mon frère. Rapidement, j’ai eu cette volonté de voir jusqu’où je pouvais aller, en compétition, où j’ai fait deux fois médaillé de bronze de la coupe de France minimes, comme en technique. C’est pourquoi il m’a semblé important de passer ma ceinture noire, afin de pouvoir passer à autre chose, aller au-delà des basiques du karaté. C’est d’autant plus utile pour moi que je souhaite devenir policier, un métier pour lequel le karaté ne pourra que m’aider, en développant mes capacités physiques bien sûr, mais aussi mon état d’esprit martial, calme et posé, qui m’a fait gagner en assurance et en confiance. Je ne me fixe plus jamais de limites, et je compte bien aller loin dans tout ce que j’entreprends. Rien que pour le karaté, cela passe par un maximum de compétitions, pour essayer de me classer aux championnats de France, d’autres passages de grade, mais aussi l’expérience de l’arbitrage qui commence tout juste pour moi. À côté, trois fois par semaine, je cours, je fais du vélo ou de la musculation avec mon père et mon frère. J’ai vraiment envie de tout ça, et surtout je me suis rendu compte que j’en avais besoin, pour me détendre déjà, mais aussi pour me sentir mieux sur le tapis. Je vois la différence à l’entraînement, et c’est tant mieux car mon petit frère grandit et je ne dois pas me reposer sur mes lauriers si je ne veux pas qu’il me rattrape trop vite ! »
L’avis du prof – Olivier Pijat, 4e dan
« Sa ceinture noire ne lui a pas fait tourner la tête »
« J’ai récupéré Benjamin d’une autre structure où il stagnait et était même proche d’arrêter le karaté. Nous l’avons mis à la compétition, en kata et en combat, ce qui lui a permis de vite s’aguerrir. Sa ceinture noire apparaît donc comme une suite logique dans sa progression, pour laquelle il a travaillé en conséquence pour l’obtenir du premier coup. Contrairement à son père qui possède une forte personnalité, ce nouveau grade va permettre à Benjamin de sortir de sa réserve, lui qui n’est jamais du genre à se mettre en avant. Pour continuer à le faire progresser, il est important qu’il donne la main sur quelques cours, en expliquant par exemple les bases à un débutant, ce qui l’incite à bien travailler pour être juste techniquement. D’ailleurs, sa ceinture noire ne lui a pas fait tourner la tête, comme cela pourrait arriver à des adultes arrivés sur le tard qui y verraient un aboutissement : il l’a prise comme un simple examen de passage, ouvrant aussitôt sur quelque chose d’autre. Et il a gardé la même recette qui est la nôtre à l’entraînement : un mélange de bonne humeur et de sérieux. »
Karaté Club Fussy (Cher)
14 ans, 11 ans de pratique, collégien en troisième
Nathalie Le Blon
« Une combinaison complexe mais exaltante »
« Si j’ai débuté le karaté en 1998, la naissance de mes trois enfants a fait que je n’ai pu reprendre, très doucement, qu’en 2012, puis plus sérieusement l’année suivante. Douze ans sans pratiquer qui, rétrospectivement, m’ont donné quelques regrets puisque je me suis souvent dit : « quel dommage, je n’aurais jamais dû arrêter ». Pourquoi ? Parce que j’ai ça dans le sang. Une passion qui est née chez moi en voyant des compétitions de kata et de combat. Le karaté me permet de me défouler, de canaliser mon énergie. Il faut être à la fois puissant, léger et précis. Une combinaison complexe mais dont la recherche est exaltante. Je m’entraîne deux fois par semaine. Quand je suis revenue sur les tatamis, il y a maintenant quatre ans, obtenir ma ceinture noire était mon principal objectif. Le jour de l’examen, j’étais très stressée, n’ayant plus l’habitude de ce genre de situation et ayant l’impression d’avoir oublié tout ce que j’avais appris et révisé. Finalement, le passage de grade est passé très vite. J’en suis sortie épuisée, cela fut particulièrement intense. Mais être ceinture noire ne me fait me sentir différente maintenant. Dans ma tête, je suis toujours une débutante. Mes objectifs ? Mon deuxième dan bien sûr. Et puis continuer à assister l’une des professeures du club durant un cours de karaté santé. Une personne à qui je dois beaucoup d’ailleurs car c’est elle qui m’a « reprise en main » lorsque je suis revenue. J’ai beaucoup d’admiration pour la passion et la volonté qu’elle dégage. J’apprends beaucoup avec elle et avec ce public aux caractéristiques bien particulières (personnes atteintes de lourdes pathologies, NDLR), car je cherche en permanence les bons leviers pour leur donner l’envie de pratiquer. Il faut s’attarder sur chaque cas, trouver les exercices adéquats. C’est un gros challenge. »
L’avis du prof – Thérésia Anton, 2e dan
« Nathalie aime apprendre, comprendre et transmettre »
«Les qualités de Nathalie ? Sérieuse, assidue, tenace. Il y a chez elle une volonté claire de s’approprier les conseils pour réussir, sans pour autant vouloir brûler les étapes. Je pense que son âge joue clairement dans cette maturité puisqu’elle connaît très bien son corps et ses limites, et adapte ainsi au mieux l’enseignement que nous lui dispensons. De même, si elle est très attentive et à l’écoute, le fait qu’elle soit mère fait qu’elle a toujours un œil sur les plus jeunes lors des cours. C’est la première élève que j’ai accompagnée jusqu’à la ceinture noire. C’est donc une grande fierté pour moi. Ayant commencé moi-même le karaté très tard, je sais parfaitement les difficultés qu’a eues à rencontrer Nathalie pour décrocher son premier dan. Je pense qu’elle devrait maintenant se lancer dans l’enseignement. Elle m’assiste lors de mon cours hebdomadaire de karaté santé et je la trouve très pédagogue, avec un vrai « œil » pour donner le bon conseil à la bonne personne, elle aime apprendre, comprendre et transmettre. Développer le karaté santé est d’ailleurs un véritable objectif pour notre club puisque nous sommes convaincus que notre discipline peut être positive pour des gens malades, en les aidant notamment à accroître leur force « intérieure », mentale ou morale. »
Laval Karaté 53 (Mayenne)
48 ans, six ans de pratique, mère au foyer
Pour (re)lire les quatre premiers épisodes d’ »Objectif ceinture noire », cliquez ici.
Antoine Sen No Sen