Objectif ceinture noire, épisode 8
Nathalie Lamotte
(Var)
Michael Weil
(Meurthe-et-Moselle)
Christophe Mouriks
(Nord)
Jean-Marc Boutaut
(Pyrénées-Atlantiques)
Ils (et elles) ont obtenu leur 1er dan il y a quelques mois. Une étape importante dans leur vie de karatékas, et souvent dans leur vie tout court. Rencontres avec les nouvelles ceintures noires du karaté français à travers toute la France. Une série de témoignages avec, en creux, leurs motivations, leurs doutes, leurs espoirs, la relation à leur professeur, leur club et leur partenaire. Le karaté et eux, épisode deux de cette nouvelle rubrique du MAG’ que vous êtes de plus en plus nombreux à consulter.
Nathalie Lamotte
« Les choses ne se font pas par hasard »
« Lorsque j’étais jeune, mes parents achetaient toutes les semaines un magazine télé. Dedans il y avait à chaque fois la photo d’un sportif. Dominique Valera fut une fois l’un d’eux. Lorsque, avec ma sœur, on a vu ce qui était dit sur le karaté, on a eu envie, tout de suite, de s’y mettre ! Malheureusement, nous habitions trop loin du club le plus proche. Puis le temps est passé. J’ai déménagé dans le Var, etc. mais l’envie de pratiquer le karaté est toujours restée dans un coin de ma tête. Vers 43 ans, je me suis dit : « allez, je vais enfin essayer ». Il n’y avait qu’un seul club dans le coin, à trente kilomètres de mon domicile, mais cela ne m’a pas découragée. Ça a été un coup de foudre immédiat… même si je me disais que je n’y arriverais jamais. Tout de suite j’ai été dans mon élément : la gestuelle, la gestion de la force, les valeurs comme le respect de soi et de l’autre, le mental, le relâchement, le bien-être… Depuis que je pratique, j’ai beaucoup amélioré ma posture et ma respiration. Cela m’a rendue plus calme. Et puis nous avons la chance d’avoir des cours personnalisés puisque nous sommes entre dix et quinze élèves à chaque cours. Et je suis sûre d’être tombé sur un bon prof. Ce qui me plaît particulièrement, ce sont les katas : c’est complexe, chaque geste est utile, chaque détail a son importance. Tout est bien à sa place. Cela m’a ouvert les yeux : un détail plus un détail, cela fait, finalement, un gros détail. Les choses ne se font pas par hasard. Pour mon examen, j’ai travaillé six mois à fond, en particulier sur les bunkai. Je m’entraînais chez moi, en répétant ce que nous faisions en cours, en plus des quatre heures hebdomadaires d’entraînement. J’ai connu un échec à ma première tentative, car je n’avais pas assez travaillé mes katas. La seconde fois, je ne pensais pas non plus l’avoir. Lorsque j’ai appris que j’étais reçue, j’étais à deux doigts de pleurer. Maintenant, je veux passer mon deuxième dan pour être sûre de mériter le premier, car parfois j’ai un doute encore sur ma valeur et je veux être vraiment sûre que l’on n’a pas été indulgent avec moi. La compétition ? Cela ne m’a jamais intéressé. Je n’ai pas envie de me mesurer à quelqu’un d’autre. »
Sempaï Dojo de Régusse (Var), 50 ans, 7 ans de pratique, aide-cuisinière
L’avis de son prof – Roland Noël, 7e dan
« Le rôle de révélateur »
« Depuis qu’elle est devenue ceinture noire, Nathalie a pris conscience de ses qualités, a pris confiance en elle. Ce premier dan a joué le rôle de révélateur. Elle s’est mise à plancher pour devenir aide-vétérinaire… c’est ce qu’elle a toujours voulu faire ! Le karaté l’a motivée, lui a donné un cadre. Son comportement a changé, elle est devenue plus posée. Il faut aussi saluer son envie puisqu’elle fait trente kilomètres, sur les routes sinueuses des gorges du Verdon, pour venir d’entraîner.
Nathalie n’avait pas trop le choix en fait puisqu’il ne restait que deux ceinture marron dans le cours « adultes ». Elle avait donc la pression pour devenir « comme tout le monde » (sourire). Maintenant, elle va passer son deuxième dan quand elle le pourra. Elle a vraiment envie de s’investir dans le club. J’ai ouvert ce dernier en 2005. Nous avons autour de 40 licenciés, parmi lesquels je suis heureux de compter un quatrième dan et deux troisième dan. Avec tous, mon message est simple : « tout le monde peut y arriver, le plus dur, c’est de prendre son sac et de sortir de la maison ».
Michael Weil
« Envie de revenir aux bases »
« Mes deux enfants étaient inscrits au club. Je les avais inscrits car un copain de l’un d’entre eux en faisait et avec ma femme nous étions d’accord sur le fait qu’ils devaient faire du sport. Un art martial, c’était encore mieux. Les voir pratiquer et l’excellente ambiance qui règne au club m’ont donné envie d’essayer. Une fois, deux fois. J’ai tout de suite accroché ! D’autant que le professeur, Florent Goncalves, est un excellent pédagogue. Il est juste, sait être dur lorsqu’il faut. Je ne fais du karaté que depuis trois ans et demi mais, dès que je me suis inscrit, j’ai eu dans l’idée de monter en grade et de devenir ceinture noire. Nous étions deux ceinture marrons et, du coup, j’ai préparé mon examen avec un copain. Nous l’avons préparé à fond deux mois avant, insistant beaucoup sur les kihon, notamment lors d’un entraînement spécifique au passage de grade qui avait lieu le samedi matin. Cette préparation s’ajoutait aux quatre heures hebdomadaires d’entraînement, mais n’a pas empêché d’être très tendu dès la veille de l’examen ! En fait, on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Puis le jour J, comme il n’y avait que 23 candidats, les jurys ont d’abord fait passer les plus jeunes. Nous avons donc attendu deux heures avant notre première épreuve. De quoi bien cogiter (rires). À cause du stress, je n’ai pas réussi comme je le voulais certaines épreuves. Avec le recul, il y a plusieurs ateliers où on aurait dû, grâce à notre préparation, être bien meilleurs. Lors des résultats, j’ai été appelé le premier… Gros moment de stress, puis le soulagement en apprenant que j’étais reçu. Tout de suite, j’ai pensé à mon copain, en espérant que la réponse serait aussi positive pour lui. Ce fut le cas. On a même appris que nous avions été classés 1er ex-aequo au classement de ce passage de ceinture noire. Une vraie fierté pour laquelle je ne remercierai jamais assez mon professeur et mon épouse, elle-même ceinture marron. En fait, je ne réalise toujours pas vraiment. Peut-être que ce sera le cas lorsque j’aurais autour de mon karategi ma propre ceinture noire. Pour l’instant, mon professeur me prête l’une des siennes. Ce premier dan me donne envie de revenir aux bases, de « confirmer » ce nouveau grade, avant d’envisager le 2e dan dans deux ans. Le karaté m’a apporté à la fois au niveau corporel et au niveau de ma personnalité. Avant, je faisais de la musculation, j’avais tendance à être un peu raide. Depuis que je pratique, je suis devenu plus souple et avec un meilleur cardio. De même, j’ai plus confiance en moi, pour une meilleure gestion de potentiels conflits, ce qui peut arriver dans mon métier. Avant, j’aurais peut-être réagi de manière spontanée et un peu agressive alors que, maintenant, je recherche en priorité l’apaisement. »
KC Joeuf (Meurthe-et-Moselle), 42ans, 3 ans et demi de pratique, conducteur de bus
L’avis de son prof – Florent Goncalves, 6e dan
« Un exemple maintenant »
« Michael est un homme gentil, dévoué et qui s’implique dans ce qu’il fait. Lorsqu’il a commencé le karaté, j’ai tout de suite remarqué sa puissance. Je me souviens l’avoir convaincu de commencer en lui disant : « si tu en fais, ça motivera tes enfants à rester ! » (rires).
Lorsque je lui ai annoncé que je voulais qu’il passe l’examen pour le premier dan, sa réaction a d’abord été d’avoir peur après avoir compris que je ne plaisantais pas (rires). Tout de suite, il a préparé ça de manière très sérieuse, se mettant dans un coin lors des cours pour préparer le programme du grade. Lorsqu’il l’a obtenu, j’ai été très fier pour lui et pour le club. C’est une vraie réussite car je me suis dit que nous avions réussi à le garder et à le motiver. Il est maintenant un exemple. D’autant plus que cela fait un an qu’il me seconde lors des cours des 12-14 ans. Je pense d’ailleurs que son prochain objectif sera de passer un DAF, DIF ou CQP. Il est vraiment pédagogue. Une qualité liée à son métier, étant en contact quotidiennement avec des enfants.
Notre club ? Il compte 102 licenciés, et propose du karaté traditionnel et compétition. Récemment, l’un de nos licenciés, Lyes Babaci, a terminé troisième des championnats d’Europe seniors universitaires l’année dernière. Mais au-delà des résultats ,le plus important reste pour moi que les pratiquants se fassent plaisir et pratiquent le plus longtemps possible, avec le respect comme valeur à la base de tout. »
Christophe Mouriks
« Je suis très vite devenu accro »
« C’est le constat d’une agressivité de plus en plus grande dans la société qui m’a fait venir au karaté. Je me disais : « si je suis agressé, comment vais-je réagir ? ». Et puis, d’un naturel plutôt sanguin, je cherchais une manière de me canaliser. Au départ, j’ai pensé au judo. Mais ayant été opéré d’une hernie discale, les chutes étaient exclues pour mon dos. Du coup, je me suis dirigé vers le karaté. J’ai donc débuté à 45 ans. Pas forcément l’âge idéal pour commencer un art martial, j’ai cru être tombé chez les fous durant les premières semaines ! (rires) L’intensité des entraînements, les mawashi-geri, les mae-geri,… tout me paraissait impossible à réaliser. Pourtant, très vite, je suis devenu accro ! Plus sérieusement, les professeurs et les ceintures de couleur ont été d’une patience et d’une aide extraordinaires. Il y a six mois, avec quatre autres vétérans (nous avons tous plus de 40 ans), nous avons commencé à préparer l’examen pour la ceinture noire. Outre les deux entraînements par semaine avec les adultes, nous avons eu droit à deux-trois heures hebodmadaires en plus pour travailler en vue du passage de grade. Y compris pendant les vacances scolaires. Le but ? Se rassurer et peaufiner les détails. Les professeurs ont toujours été là. Du coup, je travaillais en me disant que cette ceinture noire serait aussi pour eux, je voulais les rendre fiers d’avoir réussi à préparer quatre vétérans ! Le jour de l’examen, je crois que j’étais plus stressé que lors du Bac… Ma première épreuve fut, du souvenir que j’en ai, une catastrophe. Mais cela m’a paradoxalement libéré. Pensant l’avoir loupée, j’ai ensuite lâché les watts (sic) lors des cinq autres épreuves. Lorsque j’ai ‘appris que je devenais ceinture noire, ce fut un très grand moment de joie, un sentiment intense que j’ai extériorisé (sourire). Je suis fier d’avoir réussi pour mes professeurs, d’autant plus que nous l’avons tous eue du premier coup. Je suis aussi content pour mon beau-père, lui-même karatéka. Mais je ne compte pas m’arrêter là ! Je pense déjà à mon deuxième dan et à participer à des compétitions de kata car j’adore cette exigence de maîtrise totale de son corps et de recherche de la perfection du geste. Grâce à cette discipline, j’ai appris à relativiser l’échec et à améliorer mon self control, ce qui m’apporte énormément dans ma vie personnelle. »
Karaté Club de Mouvaux (Nord), 52 ans, 6 ans de pratique, directeur d’exploitation dans le domaine du transport
L’avis de son prof – Bruno Baussart, 5e dan
« Le plus de présence à l’examen »
« Lorsque Christophe a poussé la porte du dojo, il venait dans un but « loisir ». Mais très vite, il a été mordu. C’est quelqu’un qui s’applique énormément et qui a amené beaucoup de cohésion au sein du club. Il est devenu passionné et s’est engagé au sein de la structure. Il a préparé son examen longtemps à l’avance. Ce que j’en retiens ? La manière dont lui, et les quatre autres candidats se sont comportés lors du passage de grade. Ils se sont montrés très concentrés, sérieux et, s’ils étaient physiquement éprouvés, le mental a compensé. Les amener à ce grade est pour moi une vraie fierté puisque je les ai tous eus ceinture blanche ! Selon moi, Christophe fut celui qui a eu le plus de présence lors de l’examen. Mais au-delà de la ceinture noire, le karaté lui a apporté non seulement plus de confiance en lui mais surtout de la maîtrise de soi. Nous sommes vraiment heureux de le compter dans le club, où j’essaie de transmettre aux enfants des valeurs qui peuvent paraître évidentes pour notre discipline, à savoir le respect et la persévérance. Nous nous attachons enfin à surfer sur la motivation de nos jeunes karatékas en les poussant à passer leur diplôme fédéral ou devenir arbitre. Aux adultes, l’idée est de prendre du plaisir, de trouver dans le karaté une source de bien-être et d’aller jusqu’au bout de ce qu’ils ont entrepris. »
Jean-Marc Boutaut
« De la sérénité »
« Autant que je me souvienne, j’ai toujours aimé les arts martiaux. J’ai commencé par le judo mais, assez vite, je suis mis au karaté car, même si les valeurs prônées sont les mêmes, je trouvais cette discipline plus réaliste et plus esthétique. Du coup, me voilà devenu karatéka à 38 ans ! Comme j’ai toujours été quelqu’un d’assez sportif, j’ai vite adopté le rythme. Surtout, j’ai été immédiatement enthousiaste. Du coup, j’ai décidé de m’entraîner le plus souvent possible, ce qui donnait quatre à cinq entraînements hebdomadaires. J’ai préparé longtemps à l’avance cet examen de ceinture noire. On travaillait avec mon professeur avant et après les entraînements, ainsi que le mercredi matin quand je n’avais pas de cours. Je dois d’ailleurs le remercier pour sa disponibilité. C’est une personnalité pour qui j’ai le plus grand respect, notamment de par le charisme qu’il dégage.
Lorsque le jour J est arrivé, j’étais assez serein, car j’ai passé pas mal d’examens et je sais comment aborder ce genre d’épreuves. Lorsque l’on m’a appris que j’étais ceinture noire, j’ai réussi à voir mes notes et aucun n’était en-dessous de 12-13, ce qui m’a rendu particulièrement fier et… soulagé (sourire). Ce qui a joué ? La détermination et l’attitude, je pense. Le karaté est devenu une passion, une addiction qui m’a apporté une certaine sérénité, m’a appris à relativiser le stress et à… garder la ligne car, comme tout bon Basque, j’adore manger ! (rires).
Maintenant que je suis devenu ceinture noire, un de mes objectifs est de pouvoir utiliser le karaté dans mon activité professionnelle, comme un vecteur de remobilisation, pour ces jeunes en rupture avec lesystème scolaire. Avec ses valeurs, le karaté est une discipline très encadrante. »
Section Paloise de karaté (Pyrénées-Atlantiques), 46 ans, 9 ans de pratique, professeur des écoles spécialisé
L’avis de son prof – Alain Canet, 5e dan
« Déterminé et volontaire »
« Jean-Marc arrivait de Tours et je pense qu’il a apprécié l’accueil qui lui a été réservé. Il s’est intégré très vite car le club est une famille. C’est un homme très engagé, volontaire et assidu, ce qui lui a permis d’avoir très vite un niveau intéressant. C’est d’autant plus respectable qu’en venant chez nous, il a dû apprendre un nouveau style de karaté ! Sa réussite à l’examen de ceinture noire n’est pas le fruit du hasard puisque nous avons commencé à préparer ce passage il y a maintenant plus d’un an et que Jean-Marc possède, par nature, deux qualités essentielles selon moi : la détermination et l’engagement. Même s’il avait bien travaillé, le doute l’assaillait parfois, alors que l’examen approchait. J’ai alors dû le rassurer. Finalement, le jour du passage de grade, tout s’est très bien passé car le travail effectué en amont lui avait donné confiance en lui. Lorsque nous avons appris qu’il était reçu, ce fut une grande satisfaction puisque Jean-Marc est non seulement un élève mais désormais un ami. J’étais donc ravi, à double titre, de sa réussite.
Maintenant qu’il est ceinture noire, il va pouvoir vraiment approfondir le karaté. Selon moi, ce grade symbolique représente les fondations, la reconnaissance de l’acquisition du travail de base d’un karatéka. C’est en tout cas l’idée que j’essaie de véhiculer, avec mes collègues, au sein du club, où nous proposons du karaté traditionnel, mais aussi prochainement un cours « handisport ». Tout en espérant être labellisé par la fédération pour devenir un pôle départemental. »
Propos recueillis par Thomas Rouquette / Sen No Sen