Oléron, Fenêtre sur l’océan
Particularités insulairesIls n’en sont pas toujours les pièces les plus visibles mais restent essentiels au puzzle qui constitue le karaté français. Eux ? Ce sont les clubs, à la rencontre desquels nous vous proposons de prendre le temps d’aller. Après le KC Châteauroux, l’esprit d’un club, puis l’Okinawa Karaté Club du Havre, Shito Ryu Karaté Do Tarentaise, le club de Saint-Pierre et Miquelon, le Shaolin Toulouse, le Dojo Lantonnais, le KC Vauréen, place cette fois à la ligue Nouvelle-Aquitaine et la thématique insulaire avec l’AMAO Karaté d’Oléron.
En termes de superficie, Oléron est la plus grande île française de la côte atlantique. Avec ses 30 km de long, ses 8 km de large et ce pont de 2,8 km qui la relie depuis 1966 au continent, elle se classe même juste après la Corse au hit-parade global des grandes îles françaises métropolitaines. C’est sur ces 154 km2 que Frédérique et Jean-Charles Vitrac. Madame est 6e dan depuis 2011, Monsieur 7e – ont créé en 2005 l’AMAO Karaté (Art Martial Académie Oléronaise). Sur le papier, ce n’est ni le plus gros, ni le plus ancien, ni le plus en cour des 42 clubs de Charente-Maritime. La constance et la cohérence des convictions pédagogiques de ses cofondateurs pouvaient être bénéfique pour l’île.
Mobilité. Transfuges et piliers de l’ASMB de Montigny-le-Bretonneux – où, bon an mal an et en dépit du creux observé « après 1998 avec l’effet Coupe du monde de football, ce club des Yvelines maintenait depuis le milieu des années quatre-vingt une jauge de 170 à 200 licenciés » –, c’est au moment de la retraite de Jean-Charles Vitrac, en 2005, que le duo décide de concrétiser un rêve caressé depuis trois décennies. Il faut en effet remonter à 1972 pour retrouver la trace du coup de foudre fondateur du mari d’origine vietnamienne pour la région où son épouse avait grandi. Pour patienter, et parce que les fonctions de directeur général dans le BTP de ce disciple de références comme MM. Nanbu, Suzuki, Kellenbach, Nakahashi ou Mabuni contraignaient le couple à une constante mobilité (du Rhône aux Vosges en passant notamment par l’incontournable rue de la Montagne Sainte-Geneviève à Paris), ils mirent en place dès 1977 le stage d’Oléron, devenu chaque année un rendez-vous incontournable du week-end de l’Ascension.
Aubaine. De fait, le lancement de l’AMAO s’effectuera en deux temps. D’abord parce que la retraite de Jean-Charles sera elle-même fractionnée, le sensei profitant finalement du statut de consultant pour scinder sa semaine en deux et continuer neuf années de plus à enseigner à l’ASMB du lundi au jeudi, avant de revenir faire de même à l’AMAO le week-end. Ensuite, parce que Frédérique, qui en profitait au passage pour tourner la page de ses nombreux engagements fédéraux, souhaitait au départ prendre une année sabbatique. Il faudra l’insistance de Jean-Philippe Dodin, un professeur local de capoeira et de nihon tai jitsu conscient de l’aubaine de voir arriver sur l’île un binôme si expérimenté, pour les convaincre de remettre une pièce dans le juke-box. Ce qu’ils feront bientôt sur toute la partie nord d’Oléron, d’abord à La Brée-les-Bains, puis à Saint-Denis, au dojo du Trait d’Union à Saint-Georges et à celui de l’Oumière à Saint-Pierre, la principale commune de l’île.
Articulation. Leur cinquantaine de licenciés de moyenne constitue un triple exploit. D’une, parce qu’il s’agit d’un territoire qui passe de 21 000 résidents à l’année à un pic de 350 000 lors du pont du 14-Juillet, obligeant à composer avec le facteur tourisme d’une économie saisonnière qui vide les dojos à partir du printemps. De deux, parce que l’absence de lycée à proximité est source d’un turn-over important chez les jeunes pratiquants. De trois, parce que le tarif de cotisation abordable et le système de défraiement kilométrique forfaitaire des compétiteurs n’est rendu possible que par une articulation astucieuse avec brocantes, lotos, ventes de calendriers et autres partenariats organisés sans relâche.
Relève. Trois leviers ont également concouru au maintien de cette vitesse de croisière. D’abord la désignation d’un bureau « génial », aux dires de Frédérique Vitrac, longtemps esseulée au four et au moulin et donc d’autant plus sensible à cet appui quotidien ; ensuite une répartition claire et complémentaire des rôles pédagogiques entre « celle qui dégrossit les élèves » (Frédérique), celui « qui affine » (Jean-Charles) et celui qui assure le liant entre chacun (Patrick Montagner, arbitre national et référent départemental) ; enfin, une conscience aiguë, chez ce couple de baby-boomers, du temps qui passe et de la nécessité de préparer la relève entre le DAF du président Emmanuel Amice et le DIF de bénévoles comme Soraya Berro et Jean Le Guern.
Partage : « Échanger, c’est progresser ». Dans ce club où les générations différentes se côtoient et où les vétérans tiennent une place importante, les hauts gradés sont les bienvenus pour partager et transmettre. De g. à droite : Tita Giobata, 7e dan; Jean-Michel Guedjali, 7e dan responsable des grades ZID Poitou Charentes jusqu’en 2016; Régis Jacquet, 7e dan région Aquitaine; Albert Rivas, 6e dan professeur à Dompierre; Frédérique Vitrac, 6e dan Professeur à St-Denis d’Oléron et St-Georges d’Oléron; Jean-Charles Vitrac, 7e dan professeur à St-Georges d’Oléron et St-Pierre d’Oléron; Gilles Cherdieu 6e dan.
Chemin. Du temps pas si lointain du fameux stage estival de Jacques Noris au Château-d’Oléron, les arts martiaux sur l’île étaient souvent phagocytés par le seul judo. Avec l’AMAO – qui espère la sortie de terre d’un nouveau dojo pour fin 2018 -, les coupes de France 2012 et 2017 de shito-ryu se sont tenues sur l’île et le Collège de ceintures noires de Charente-Maritime initié en 2010 par Jean-Charles Vitrac réunit tous les trois mois « vingt-cinq stagiaires en moyenne pour travailler sur des thèmes proposés par la majorité ». Vous avez dit chemin ?
« Garants de la tradition » Axé compétition juste ce qu’il faut pour « motiver les jeunes », l’AMAO s’adresse à une fourchette large allant du bambin de 3 ans au vétéran curieux, à l’instar de Claude, débutante de 78 ans qui s’essaya à la discipline pendant deux ans – au club, la dominante de cette classe d’âge est si prégnante que c’est dorénavant plutôt aux seniors de s’intégrer au groupe vétéran ! Pour une Héloïse Markowski régulièrement appelée à défendre les couleurs oléronaises à l’étranger, le cœur de la pédagogie Vitrac-Montagner reste les katas, la technique et l’attitude. Son rêve ancien ? S’inspirer de la gymnastique et de son programme libre au sol pour inventer des katas plus ouverts, qui ne renieraient rien mais permettraient tout. Un karaté vivant, transmis tel quel et qu’il appartiendrait à chacun d’humaniser.
Anthony Diao / Sen No Sen