Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Les championnats de France en ont été le témoin : la pratique du Para-karaté progresse nettement, les clubs qui s’y engagent sont mieux identifiés, des figures émergent. État des lieux.
Trois participants en 2017, vingt-cinq en 2018
Les chiffres sont parfois plus éloquents que les mots. Ceux concernant le nombre d’engagés lors des deux dernières éditions des championnats de France de Para-karaté (voir le reportage vidéo ci-dessous), par exemple, se suffisent à eux-mêmes. En 2017, seulement trois handicapés avaient pris part à la compétition. Le 15 avril dernier, ils étaient vingt-cinq, à Reims. « Et encore, certains n’ont pas pu venir en raison de la grève de la SNCF, » souffle Fatah Sebbak, titré en fauteuil (kata et combat), par ailleurs arbitre national. Cette augmentation significative n’a pas manqué de ravir Jacques Djeddi qui, depuis 2004, entraîne des handicapés mentaux en Charente-Maritime. « La dynamique que l’on a vue à l’occasion des championnats de France est très intéressante, confirme cet éducateur spécialisé. Ces pratiquants, il faut les inciter encore davantage à sortir de leur club, les faire participer à des compétitions, à des stages, les inciter dans leur pratique. L’objectif, l’étape qu’il faut continuer à passer, c’est que le handicap sorte du carcan dans lequel la société le met encore trop souvent. C’est la clé du développement du Para-karaté. »
«Petit à petit, le cercle s’est élargi et la pratique est désormais en progression constante partout en France. »
Mieux communiquer pour sortir de l’ombre
Éviter que le handicap ne soit un « sujet tabou », c’est précisément l’un des objectifs de la FFKaraté. « Nous avançons pas à pas, explique Alain Georgeon, responsable de la commission Para-karaté et engagé de longue date dans ce combat. Au départ, seuls quelques clubs se sentaient concernés par l’accueil des handicapés. Petit à petit, le cercle s’est élargi et la pratique est désormais en progression constante partout en France. » « La Fédération a décidé de davantage communiquer à ce sujet et cela a donné un véritable coup de boost à notre discipline, analyse Fatah Sebbak. Maintenant, les handicapés sont mieux informés et savent qu’ils peuvent rejoindre nos clubs. Les ligues se mettent aussi à organiser des compétitions, c’est de bon augure. » Elle-même karatéka à Brest et habituée à accompagner sa sœur Charlène, déficiente mentale, Céline Odin abonde dans le même sens : « Le Para-karaté commence tout juste à se développer en Bretagne, où les premiers championnats régionaux ont eu lieu pour la première fois cette année ! Des stages de formation se sont aussi déroulés dans le Finistère. Le département a vraiment un rôle à jouer pour soutenir la pratique handicapée mais aussi les athlètes qui pourraient se révéler. D’autres nations l’ont compris il y a de nombreuses années déjà. La France doit aussi se donner ces moyens-là. »
Améliorer l’accueil
Pour l’heure et alors que les Jeux de Paris en 2024 constitueront peut-être un nouveau levier pour la pratiquer para – l’épreuve de karaté n’a pas été retenue pour les JO 2020 à Tokyo -, l’accueil de pratiquants handicapés au sein des clubs reste encore parfois délicat. À commencer par les infrastructures, qui ne sont pas systématiquement adaptées aux personnes à mobilité réduite. « Pour les handicapés moteurs, il n’est pas toujours évident d’accéder à la salle d’entraînement, reconnaît Fatah Sebbak. On sait que tout ne changera pas du jour au lendemain, que ces investissements sont lourds voire parfois impossible selon les configurations. Mais n’attendons pas que les choses arrivent, soyons acteurs ! Moi, j’encourage les professeurs à aller dans les hôpitaux, les centres de rééducation, afin d’être directement au contact des pratiquants et de leur éviter d’avoir à se déplacer. C’est à nous de bouger les lignes et de modifier nos habitudes. Le karaté, c’est d’abord du partage, de l’échange, de l’entraide. C’est ce qui fait la valeur de notre discipline. » Le regard d’autrui est également un élément à prendre en considération, même si l’évolution des mentalités semble indéniablement aller dans le bon sens. « Pour ce qui est des handicapés physiques, cela va encore, mais c’est bien plus compliqué pour les handicapés mentaux, admet Alain Georgeon. On manque de culture du handicap, la différence n’est pas toujours facile à appréhender. Ceci étant, nous n’en sommes plus aux moqueries souvent entendues par le passé. Et puis les nouvelles générations. » Âgé de 39 ans, Fatah Sebbak constate que la situation autour du handicap a beaucoup changé au cours des dix dernières années. « Je pense que les gens ont l’habitude de me voir arbitrer en fauteuil, raconte-t-il. Et puis les nouvelles générations, de plus en plus, ont un regard plus vigilant à la différence. Chez nous, d’une manière générale, les valides côtoient de plus en plus de handicapés dans leurs clubs. »
« Ils doivent être intégrés à la vie de groupe comme un valide qui rejoindrait un club. »
« Les rendre acteurs »
Une fois entrés dans le dojo, valides et handicapés partagent un point commun fondamental : ils sont avant tout karatékas. Toute distinction doit disparaître afin de favoriser l’intégration des pratiquants de Para-karaté. « Attention à ne pas tenir les handicapés éloignés de la vie du club, prévient en effet Jacques Djeddi. Ils doivent être intégrés, participer aux événements festifs, venir encourager les valides pendant les compétitions et vice-versa… Tout cela est très important. Il faut les rendre acteurs. » Un conseil pour la pratique de club et une logique d’intégration qui trouve aussi un écho dans les grandes compétitions, aussi bien nationales – les championnats de France combats seniors et de Para-karaté ont désormais lieu en même temps et au même endroit, qu’internationales – les mondiaux valides et Para se disputant la même semaine également. Car après les Mondiaux de Brême (2014) et de Linz (2016), qui avaient montré la voie, ce seront cette fois les championnats d’Europe de Novi Sad qui, du 10 au 13 mai prochains, rassembleront valides et handicapés. « C’est une excellente chose, s’enthousiasme André Fonteney, père de Jordan, qui participera à cette échéance dans la catégorie kata handicap mental. Être pleinement intégré au groupe France et ainsi pouvoir profiter de moments privilégiés avec les autres athlètes, cela ne peut lui être que bénéfique. » Un jeune compétiteur enthousiaste et attachant que les champions valides ont d’ailleurs pris sous leur aile depuis plusieurs mois maintenant.
Raphaël Brosse, avec Olivier Remy, Antoine Frandeboeuf, Julia Ebel de Castro / Sen No Sen
la rédaction