Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Enseigner le karaté à un public handicapé requiert une approche particulière de la part des professeurs. Ceux qui ont déjà pris cette responsabilité ont appris sur le tas et partagent aussi souvent leurs expériences. La suite ? Un vrai projet de formation, pris à bras-le-corps par la FFKaraté, pour développer la pratique à destination des handicapés moteurs, mentaux et non-voyants dans un maximum de clubs sur le territoire.
S’adapter aux besoins et aux capacités de chacun
Pratiquants en fauteuil, déficients mentaux, non et malvoyants : telles sont les trois grandes catégories présentes lors des compétitions de Para-karaté, des handicaps que l’on retrouve potentiellement à l’entrée des dojos et auxquels il faut faire en sorte de franchir le seuil. Accessibilité, aménagements pédagogiques, singularités, il incombe aux professeurs de tout prendre en compte. Cela n’a pas échappé à Christian Cousson qui, de 2004 à 2014, est régulièrement intervenu dans des hôpitaux afin d’enseigner la pratique à des handicapés. « Même si j’étais déjà intéressé par la psychologie, je n’étais ni psychiatre, ni médecin, précise-t-il. J’ai donc dû m’adapter aux différents publics, en prenant en considération les capacités motrices et intellectuelles de chacun. On peut le dire : j’avais un peu une démarche à la Mac Gyver, parce que j’étais obligé de tester en permanence. »
« Progrès, confiance en soi, satisfaction, existence dans le regard des autres, chacun repart avec un peu de tout cela… »
« Un rendez-vous centré sur l’humain »
Éprouver les méthodes et les approches, en privilégier certaines plutôt que d’autres, c’est également ce qu’a fait Jacques Djeddi, qui enseigne actuellement la discipline à une trentaine de handicapés mentaux. « Sur le plan pédagogique, l’idée est avant tout de proposer aux pratiquants une activité physique leur permettant de se dépenser, explique le professeur basé en Charente-Maritime. C’est la priorité, leur priorité pour trouver un épanouissement. L’aspect purement technique, lui, passe au second plan. » Très impliqué auprès de ce public depuis 2004, le président de l’Océan Karaté Club de la Flotte en Ré sait comment procéder. « J’aborde mes élèves en ayant une démarche bienveillante à leur égard, explique-t-il. J’ai l’habitude de proposer des exercices similaires à ceux effectués en baby karaté. Pour eux aussi, les formes, les couleurs ou encore les points de repère matérialisés sont très importants. C’est un rendez-vous d’une heure et demie centré sur l’humain et, à la fin de la séance, tous s’applaudissent. » Progrès, confiance en soi, satisfaction, existence dans le regard des autres, chacun repart avec un peu de tout cela… après avoir souvent dû se lancer dans ce qui est pour beaucoup une première vraie expérience sportive, le karatégi, le tatami en plus.
Un besoin de formation spécifique
Christian Cousson et Jacques Djeddi le reconnaissent volontiers, s’adresser à un public handicapé comporte son lot de difficultés. Pour y faire face, l’un comme l’autre ont appris « sur le tas », en s’appuyant sur leur expérience. Mais, au niveau national, le manque d’une formation spécifique au Para-karaté se fait ressentir. « La principale entrave au développement de notre discipline réside dans le fait que les profs n’y sont pas formés, affirme même Fatah Sebbak, fer de lance du karaté fauteuil. Il faut vraiment mettre l’accent sur cet apprentissage spécifique dans les années qui viennent, afin d’ouvrir au maximum et de donner les clés de l’enseignement aux personnes handicapées. Pour les pratiquants en fauteuil et les malvoyants, on peut s’en sortir avec du matériel adapté et des choses assez simples, mais c’est plus complexe pour les déficients mentaux pour lesquels il faut des connaissances spécifiques. L’idée, c’est d’accueillir, mais aussi de faire passer les messages. On est, comme pour les valides, dans une recherche de transmission et il faut identifier les bons canaux. » Christian Cousson va même plus loin : « Idéalement, ce devrait être un passage obligatoire dans la formation des enseignants. Il est nécessaire d’engager une dynamique dans ce domaine, pour inciter les professeurs à se pencher sur les spécificités du public handicapé. Qui sait, cela pourrait même susciter des vocations ! Quand on a la passion de transmettre, c’est un challenge excitant en tout cas. »
La FFKaraté a pris la mesure de l’enjeu
La Fédération, de son côté, est bien consciente du chantier à mener. « Il y a encore tout un travail à effectuer de ce point de vue, reconnaît Alain Georgeon, responsable de la commission Para-karaté. Des sessions existent déjà, dans le cadre des diplômes d’État mais, c’est vrai, cela ne suffit pas. Il faudrait permettre aux professeurs d’acquérir une formation supplémentaire, avec un nouveau diplôme. C’est un projet en cours d’élaboration et nous pensons nous inspirer de ce qu’a fait le judo dans ce domaine. » Ce chantier n’est donc pas laissé en jachère, loin de là, et la FFKaraté veille à ce que les choses évoluent dans le bon sens. « Avant, nous avions par exemple des journées de formation avec des instructeurs, mais cela restait limité à certains territoires, précise Alain Georgeon. Nous devons généraliser ces initiatives à l’ensemble des ligues. Je suis très confiant, Dominique Charré (le Directeur technique national, ndlr) est très sensible à toutes ces questions et nous avançons bien.
Le repère familial, un pilier indispensable
Eux ne sont pas professeurs de karaté, mais leur rôle demeure prépondérant. Bien plus que des supporters, ces membres de la famille sont des points d’ancrage au contact quotidien du handicap, sur lesquels les pratiquants souffrant d’un handicap mental peuvent toujours compter.
André Fonteney, père de Jordan (23 ans)
« Faire passer le message d’une autre manière »
« À Toulon, nous avons la chance d’avoir un entraîneur, Jean-Noël Biraut, qui s’occupe uniquement de Jordan. Mais je dois quand même m’impliquer à 100%. Je participe à toutes les séances et j’assure, en quelque sorte, le lien entre mon fils et son professeur. Je connais mon enfant comme personne. Par conséquent, s’il n’arrive pas à comprendre une consigne, j’essaie de lui faire passer le message d’une autre manière, avec d’autres mots. Le courant passe extrêmement bien entre nous deux. »
Céline Odin, sœur de Charlène (26 ans)
« Je connais ses limites »
« Je faisais déjà du karaté à Brest au moment où Charlène a souhaité s’y mettre. Nous avons voulu lui trouver une autre structure, car nous ne voulions pas être en comparaison permanente. Le club de Guipavas remplit parfaitement ce rôle et la prof, Sylvie Beautour, sait gérer le handicap de ma sœur. Malgré tout, je ne suis jamais très loin d’elle. Je la connais, je sais où sont ses difficultés et ses limites. C’est donc plus facile pour moi de l’aiguiller, de l’aider à s’améliorer. »
Raphaël Brosse / Sen No Sen
la rédaction