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Décryptage
Depuis une quinzaine d’années, le karaté a fait un véritable choix d’ouverture vers les personnes en situation de handicap. Les structures se développent, des figures émergent. À la veille de la coupe de France de parakaraté, état des lieux et perspectives.
Ne dites plus « handikaraté » mais « parakaraté ». « Para » comme « paralympique », et les Jeux du même nom. Un récent changement d’appellation pour une nouvelle ambition. Car depuis l’inscription du karaté au programme des Jeux olympiques de Tokyo 2020, les athlètes handicapés espèrent eux-aussi pouvoir participer à la plus belle des compétitions. Il leur faudra pourtant patienter encore un peu. « Tokyo, c’est sûr qu’on n’y sera pas », tempère Alain Georgeon responsable de la commission nationale parakaraté. « Par contre, on travaille sur 2024. Si la Fédération internationale (WKF) est maintenue au programme des JO, nous aurons certainement du parakaraté aux paralympiques. Ce n’est pas automatique, mais le dossier sera prêt et solide. Avec l’organisation de deux championnats du monde (en 2014 et 2016), nous avons prouvé que nous avions notre place.»
S’il est encore un peu lointain, l’horizon paralympique devrait tout de même permettre d’accélérer le développement d’un parakaraté qui se structure peu à peu. Le nombre de pratiquants français est difficilement quantifiable, mais Alain Georgeon l’estime « entre 500 et 700 », tous handicaps confondus. Un chiffre en augmentation indique Fatah Sebbak, athlète en fauteuil et membre de la commission parakaraté. « Quand je me suis retrouvé handicapé, à la fin des années 1990, il n’y avait rien. Aujourd’hui, les choses sont sur la bonne voie. » Il a d’abord fallu mettre les préjugés au tapis, puis ouvrir les portes des dojos à tous. La création de la commission handikaraté, en 2001, fut une première étape fondatrice. Aujourd’hui, le Diplôme d’Instructeur Fédéral (DIF) accueille les personnes handicapées.
À Toulouse, Jean-Pierre Bergez encourage depuis longtemps la pratique des handicapés.
Les compétitions sont encore peu nombreuses mais de plus en plus d’Opens s’organisent. La coupe de France de parakaraté, qui se tiendra ce 18 juin à Paris-Coubertin, en est le point d’orgue, avec trois catégories : fauteuils, malvoyants et non-voyants, handicap mental 1re division. « Il faut organiser des compétitions même pour quatre personnes, les pratiquants suivront», assure Fatah Sebbak.
Soins non-médicamenteux
La compétition est certes une indispensable vitrine, mais le parakaraté concerne d’abord et surtout des licenciés à la recherche des bienfaits du sport-santé. « L’activité physique est maintenant reconnue comme un soin non-médicamenteux », explique Jean-Pierre Bergez, responsable de la section handikaraté de l’ASPTT Toulouse. Cet éducateur médico-sportif, ceinture noire 3e dan, s’adresse à des publics très différents. « Je prends des personnes qui sont paraplégiques, tétraplégiques, des non-voyants, des sourds, des déficients mentaux et je leur dis : “vous allez faire du karaté“. On travaille la coordination, les repères spatiaux-temporels, la concentration. Et puis, le karaté a un gros avantage : il y a une dimension physique, mais aussi mentale que l’on ne retrouve pas autant dans les autres sports. » Des vertus pour la santé que confirme Rémy Guillon, l’un de ses élèves. Cet homme de 33 ans a perdu ses deux jambes à 18 ans suite à un accident domestique. En découvrant le karaté il y a quatre ans, celui qui est aujourd’hui ceinture verte a trouvé le moyen de prendre soin de lui physiquement et bien plus encore. « Le karaté me permet de surmonter le handicap, confie-t-il. Alors que c’est parfois difficile au quotidien, dans mes relations, j’ai tendance à me replier. Sur les tatamis, je me lâche, je m’extériorise. »
Plus qu’un sport, le karaté c’est aussi une voie d’accès vers un développement personnel. Une voie si précieuse face au handicap. « Le karaté a littéralement métamorphosé mon fils », souffle André Fontenay. Son fils, Jordan, 22 ans, est atteint de trisomie 21. Depuis qu’il a enfilé un kimono pour la première fois, à 6 ans, il ne cesse de progresser. Aujourd’hui, il travaille même comme stagiaire dans des cantines scolaires. « Il a acquis de l’assurance, de la confiance en lui, et l’envie d’aller vers les autres ». Au Samouraï Toulon, son club, c’est Jean-Noël Biraut qui l’encadre et l’entraîne, quatre fois par semaine. Car Jordan Fontenay s’est pris au jeu au point de devenir l’un des meilleurs mondiaux dans sa catégorie.
Fatah Sebbak, l’un des compétiteurs les plus expérimentés en parakaraté, vient d’obtenir son diplôme d’arbitre national. Une première.
Améliorer l’accessibilité
Malgré un développement rapide ces dernières années, des progrès restent à faire. À commencer par l’accessibilité des lieux pour les personnes en fauteuil. « Toutes les structures de la Fédération sont accessibles en fauteuil », détaille Fatah Sebbak. « Le Centre national d’entraînement (CNE) de Castelnau-le-Lez aussi. Alors automatiquement, si demain il y a une équipe de France handi, elle pourra venir au pôle France s’entraîner sans problème », envisage celui qui se verrait bien coacher les Bleus aux Jeux 2024. Pour autant, tous les dojos ne peuvent pas accueillir tous les athlètes handicapés. L’accessibilité des établissements recevant du public (ERP) devait pourtant être achevée en 2015, selon le calendrier fixé par la loi Handicap de 2005. Mais, deux ans après cette illusoire date butoir, de très nombreux bâtiments ne sont toujours pas aux normes, et le karaté n’échappe pas à la règle. « Il y a des dojos qui ne pourront jamais changer, constate, lucide, Alain Georgeon. Certains vieux bâtiments n’ont pas du tout été pensés pour ça et les travaux coûteraient beaucoup trop cher. Nous attendons de nouvelles structures, c’est un axe de travail. »
Règlement
L’autre grand chantier, c’est celui de l’harmonisation des règles. Gilles Kolfenter, karatéka non-voyant, garde un souvenir assez amer de sa participation aux championnats du monde de Brême (Allemagne), en 2014. « En tant qu’aveugles, nous évoluons contre des mal-voyants. À Brême, certains compétiteurs étaient même capables de lire ! La différence est énorme. C’est pareil en fauteuil, où l’on oppose encore handicapés et polyhandicapés ». Les différentes catégories vont être retravaillées au niveau international. Le comité paralympique et la WKF travaillent main dans la main sur le dossier. Cette nouvelle réglementation, attendue début 2018, devrait définitivement lancer l’ère paralympique.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen
la rédaction