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Pascal Poitevin : l’éloge de la pédagogie
Cap sur les championnats de France kata à Lille ce week-endAncien champion d’Europe et médaillé mondial en kata, Pascal Poitevin est, à 56 ans, un formateur reconnu dans son club du Mabushi Veigné, en Indre-et-Loire. Pour faire éclore ses élèves sur la scène nationale et internationale, le technicien a développé une pédagogie singulière. À la veille des championnats de France kata à Lille, portrait d’un des professeurs qui font la qualité des techniciens français.
Du combat à la technique
Les mots sont soigneusement choisis. Et les silences qui ponctuent certaines de ses phrases, donnent encore plus de poids au propos. Dans ses paroles comme dans sa mission d’entraîneur, Pascal Poitevin recherche en permanence la précision. Un passage obligé dans sa quête de perfection, celle qu’il enseigne depuis près de 35 ans. Originaire du Loir-et-Cher, ce fils de militaire a « beaucoup voyagé jusqu’à l’adolescence ». Il débute le karaté à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire) à l’âge de 14 ans, juste pour suivre les copains. Initié au combat par Pierre Mansais, professeur 7e dan, le jeune homme est contraint de changer de pratique au bout de quelques années, suite à quatre opérations du même genou. Désirant continuer la compétition, il découvre alors la technique, qu’il part perfectionner à Paris. Dans la capitale, Pascal Poitevin rencontre notamment Yves Bardreau et Laurent Riccio, avec qui il fait équipe. Ensemble, les trois techniciens remporteront plusieurs titres nationaux en kata, ainsi qu’une médaille de bronze mondiale en 1992 à Grenade (Espagne) et l’or européen en 1993 à Prague (République Tchèque).
« Je suis davantage passionné par l’enseignement et la pédagogie que par le fait d’avoir été compétiteur. »
Formateur de champions
Plus de vingt années après la fin de sa carrière internationale, l’ancien champion met un peu de temps à se rappeler les lieux et dates exactes de ses exploits. Et pour cause, il s’est trouvé une passion encore plus dévorante que la compétition : l’enseignement. À Veigné, commune d’environ 6 000 habitants située à une douzaine de kilomètres au sud de Tours, l’éducateur sportif a fondé le club du Mabushi Veigné en 1983, à l’âge de 22 ans. « J’avais une réelle envie d’enseigner. La pédagogie m’a toujours fasciné, tout comme le rapport à la technique et la recherche constante d’amélioration, explique-t-il. Je suis davantage passionné par l’enseignement et la pédagogie que par le fait d’avoir été compétiteur. Transmettre aux jeunes les vertus du karaté et ses valeurs d’effort et de partage, c’est un vrai plaisir pour moi. » En quelques années, le club qui comptait au départ une quinzaine de licenciés grandit vite et envoie rapidement ses premiers représentants sur la scène nationale. Aujourd’hui, plus de 160 pratiquants s’y réunissent dans les sections baby, loisirs, compétition et élite, et le tableau d’honneur recense de nombreux anciens et actuels internationaux comme Lucas Gabillet, Ludovic Keuterick, Mathilde Barbotin, Maël Rakotoson, Sorey Morassi ou encore Micky Mrozek.
« Mettre en place un environnement favorable »
Parmi eux, Julien Piscione, aujourd’hui responsable du département performance à la Fédération Française de Rugby, se souvient avec enthousiasme de ses années karaté au sein du club tourangeau. « La rencontre de Pascal a été pour moi la découverte du haut niveau, avec tout l’investissement qu’il induit : la pratique assidue, le dépassement de soi, l’exigence au quotidien…, raconte l’ancien champion de France et vice-champion du monde universitaire. Très vite, une relation très forte s’est instaurée entre nous, basée sur le partage à travers la relation entraîneur-athlète dans tous ses aspects. C’est ce qui fait qu’il a pu former et sortir de grands karatékas en kata par son investissement au quotidien. Il a fait partie de ma vie pendant toute ma carrière et nous sommes toujours en relation. » Le lien entre les deux hommes dépasse à présent largement la dimension sportive, Julien Piscione étant le parrain du fils de Pascal Poitevin. Aujourd’hui associé à Teddy Fort, professeur 2e dan, l’entraîneur du Mabushi Veigné traite ses élèves quasiment comme des membres de sa famille. « On marche beaucoup sur l’affectif, confie-t-il. On essaie non seulement de former des jeunes, mais aussi de les fidéliser. On a des moyens sympas : un dojo, une piste d’athlétisme et une salle de musculation. Et on est bien aidé des collectivités. Les jeunes qui sont obligés de changer de département en raison de leur cursus scolaire veulent généralement rester au club. Je les accueille à la maison pendant les week-ends et les vacances scolaires. J’ai aménagé cinq chambres de façon à les avoir le plus souvent possible sous la main. Je les amène souvent effectuer des stages d’oxygénation en altitude, du côté de Chamonix, et à la mer, sur le sable. J’essaie de mettre en place un environnement favorable à leur préparation physique et technique, en concertation avec les parents et les enseignants. »
Quête de la perfection
Derrière cette complicité avec les athlètes se cache une exigence de performance, qui caractérise également le technicien. « Pascal se posait beaucoup de questions et cherchait toujours à être innovant, se souvient Julien Piscione. Il s’intéressait aux méthodes d’entraînement des autres sports et m’a fait goûter à tout un tas de pratiques sportives, qui m’ont permis de progresser en karaté. Avec lui, j’ai découvert la préparation physique dans toutes ses dimensions : le développement musculaire, le travail énergétique, l’athlétisme, les préparations d’intersaison et de présaison. Il m’a fait me construire en tant qu’athlète et m’intéresser à l’entraînement et la performance, ce qui m’a donné envie de poursuivre mes études et de travailler dans ce domaine. » « Je suis constamment à la recherche du détail qui va faire la différence, confirme Pascal Poitevin, également ancien arbitre national et ex-entraîneur de l’équipe du Luxembourg. À l’entraînement, je veux que les jeunes sortent de la salle avec un acquis. Sinon, je change de discours ou de démonstration. Face à l’échec en compétition, je ne mets pas en cause le jeune, le public ou l’arbitrage, mais moi-même. J’essaie de comprendre pourquoi, quitte à passer quelques nuits à réfléchir ! La technique est fondamentalement très difficile à acquérir. Il faut des prédispositions physiques, mentales et de la persévérance. Le kata peut se pratiquer de façon très simple, mais aussi très complexe physiquement et intellectuellement. Cela passe par une recherche et un travail hyper-complets. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être un bon technicien. Il faut être dans la performance physique en termes de puissance et de vitesse. Ces cinq dernières années, on est passé d’un niveau amateur à quelque chose de beaucoup plus professionnel. »
« Il réussit à capter et à amener jusqu’au bout des sportifs qui réussissent aussi à l’école et dans la vie.»
Projet olympique
Grâce au travail minutieux réalisé depuis 35 ans par Pascal Poitevin, le Mabushi Veigné fait désormais partie des tout meilleurs clubs de France, souligne Franck Chéreau, président du Comité départemental d’Indre-et-Loire et arbitre international. « Tous les ans, il forme des champions de France et des internationaux. Il a sorti des médaillés européens et mondiaux. Y arriver depuis aussi longtemps, c’est assez extraordinaire. Aujourd’hui, on n’a pas l’équivalent en combat. Il a vraiment le truc !, rend hommage le dirigeant. Ce qui est intéressant, c’est qu’il forme des jeunes pour qui le karaté n’est pas qu’une échappatoire. Il réussit à capter et à amener jusqu’au bout des sportifs qui réussissent aussi à l’école et dans la vie. C’est un bon formateur parce que l’éducateur de karaté ne doit pas seulement apprendre les techniques de karaté, mais aussi former les jeunes pour les accompagner dans la vie de tous les jours. » Pour continuer à obtenir des résultats sur les tatamis comme en dehors, Pascal Poitevin a obtenu depuis l’an dernier d’être détaché par son employeur (Communauté de communes Touraine Vallée de l’Indre) afin d’entraîner ses élèves, et en particulier Micky Mrozek, le champion d’Europe juniors 2017 de kata, qui vise le top niveau mondial. Le professeur 5e dan consacre également beaucoup de son temps à la détection et la formation des plus jeunes, estimant qu’il faudrait leur donner plus de moyens à l’échelle nationale. « Les enfants d’aujourd’hui sont les compétiteurs de demain, plaide-t-il. Il faut vraiment investir sur eux. C’est criant : lors des derniers championnats internationaux, les jeunes sont devenus excessivement forts. L’effet olympique a été immense sur la performance. » Un élan dont Pascal Poitevin est bien décidé à faire partie.
Camille Vandendriessche