Le plaisir est le seul juge
Rencontre avec Franck Picard, de Chevigny-Saint-SauveurPAROLES DE PROF… À tout juste 32 ans, Franck Picard, professeur à l’Académie de Karaté et Disciplines associées de Chevigny-Saint-Sauveur (AKDC), en Côte-d’Or, est plus attaché au chemin dans l’effort qu’au nombre de médailles glanées. Il aime voir son travail porter ses fruits. Sa réussite, il la mesure à la taille du sourire de ses élèves.
La compétition sur le tard
Au départ, rien ne le destinait à la compétition. Lorsqu’il commence le karaté, à 9 ans, il se tourne vers sa forme la plus traditionnelle. Dans le club de Tonnerre, dans l’Yonne, il développe sa passion en même temps qu’un esprit « anti-compétition », selon ses propres mots. C’est dans ce contexte qu’il s’investit l’entraînement des plus jeunes, à 15 ans. L’année de ses 17 ans, le club se retrouve un temps sans professeur, et Franck Picard est propulsé à la tête des cours. « Alors que je n’étais pas formé », précise-t-il. Mais le jeune homme prend alors conscience de son envie de transmettre. Surtout, le coaching lui offre une adrénaline que son parcours ne lui avait pas fait connaître. « Entraîner, c’est quelque chose qui me permettait aussi de me mettre en valeur, ce que je ne pouvais pas faire sportivement », reconnaît-il avec sincérité. Ses études l’amènent ensuite à Dijon, et sa passion pour le karaté à l’AKDC, à Chevigny, en banlieue dijonnaise, haut-lieu du sport en Bourgogne. Petit à petit, sa vision change et il prend goût à l’aventure du combat arbitré. Il commence à encadrer les entraînements et passe le DIF, le Diplôme d’Instructeur Fédéral, devient responsable du karaté sportif au sein du club.
Objectif : « faire kiffer »
Quand on lui demande ce qu’il préfère dans le coaching, la réponse fuse sans hésitation : « Faire kiffer ! Quand mes élèves ont le smile, qu’ils sont fiers d’eux, je suis content. » Les mots du temps, de la jeunesse, pour traduire cette joie au-delà des mots qui unit les générations dans le jeu de la compétition. Le plaisir de ses athlètes, c’est la récompense de son investissement : « Quand je sais que l’entraînement est passé vite, qu’ils ont adhéré à ce que l’on a fait… c’est un peu égoïste, mais j’aime ça ! C’est une forme d’auto-satisfaction. » Des remarques presque négatives sur sa motivation, comme pour s’excuser d’avoir compris, ce qu’il explique par ailleurs, que le professeur tient un rôle fondamental dans l’attachement d’un athlète à son sport. « Quand des gens viennent à l’entraînement, ils n’adhèrent pas à ta discipline, ils adhèrent à ta personnalité. » Partout, Franck Picard cherche une validation de son travail. Dans le sourire de ses élèves à la sortie de l’entraînement, mais aussi dans leurs mines ravies sur les podiums. Car, si ses premières années de karaté traditionnel ont fait de lui quelqu’un « qui n’est pas obsédé par les médailles », il ne boude pas le plaisir des championnats et autres tournois. « Il ne faut pas tomber dans la victoire par procuration, mais lorsqu’un élève gagne, ça montre que tu ne t’es pas trompé dans tes choix de travail. »
Force de travail
S’il cherche une approbation à son investissement, c’est aussi parce que Franck Picard est un gros bosseur. Alors qu’il boucle sa dixième saison à l’AKDC, il tente toujours se renouveler, de proposer un travail différent. Les cours sont planifiés à l’année en prenant tout en compte : des possibles adversaires en compétition jusqu’à l’évolution de l’arbitrage. « En fonction de ça, on évalue, réévalue, et on s’adapte en cours de saison », détaille-t-il Le professeur s’appuie aussi énormément sur la vidéo.
D’abord sur celles de ses élèves en compétition, pour analyser leurs qualités et leurs erreurs « Quand tu es sur la chaise, tu combats avec ton élève. Quand tu le revois à la vidéo, tu découvres un autre combat. Il faut ce recul pour progresser ». Lui qui a grandi avec l’avènement d’internet pioche aussi beaucoup sur le web. Par exemple dans les vidéos de la fédération lors de stages de l’équipe de France. « Il y a des enchaînements, du travail de préparation physique dont je vais pouvoir m’inspirer. » Cette rigueur, cette exigence dans le travail, il tente aussi de la transmettre à ses ouailles. Car c’est pour lui le premier préalable à toute réussite, pour l’entraîneur comme pour l’élève.
Coacher, un travail d’équipe
Franck Picard ne voit pas cet engagement comme un exercice solitaire. L’enseignement se fait en équipe. Une philosophie qu’il tient de Mohamed Akcha, l’entraîneur régional avec qui il travaille beaucoup aujourd’hui. Une ligne directrice appliquée au sein de son club, où les séances sont pensées en équipe, comme au niveau de la Ligue de Bourgogne, où il est chargé de mission. L’émergence de talents régionaux passe par là. « Je porte les couleurs d’un club, je suis fier quand mes athlètes font un résultat. Mais la réussite individuelle d’une personne, c’est le résultat d’un travail d’équipe avec les clubs autour. » À l’écouter, le dojo Alain Le Hétet de Chevigny a des airs de tour de Babel régionale. « On a des gens qui viennent de l’Yonne, d’autres de Côte-d’Or, de Saône-et-Loire ou de la Nièvre, et qui viennent s’entraîner avec nous. À l’inverse, dans certaines grosses régions, les rivalités entre les clubs font que les profs ne veulent pas échanger, travailler en commun, et malheureusement c’est comme ça qu’on tue une ligue », constate-t-il amer. Lui est bien décidé à faire grandir la sienne.
Former la relève
Son rôle de coach, il ne le limite pas à apprendre le karaté aux athlètes. Pour lui, il s’agit aussi de former celles et ceux qui pourront à leur tour entraîner. « Ça fait partie de nos missions », insiste Franck Picard. À l’AKDC, ce sont des étudiants en STAPS qui assurent les séances avec les plus petits. Et puis, dès qu’un élève souhaite se diriger vers le coaching, il va être encadré, accompagné, et en fonction des compétitions, Franck Picard n’hésitera pas à « l’envoyer sur la chaise ». Certes, si le combat s’annonce tactique, complexe, il préférera toujours garder la main. Mais selon le tableau, si l’adversaire a été bien analysé en amont, le professeur délèguera, notamment en fonction de la relation du jeune coach avec l’athlète. « Le but c’est que nous ayons une relève qui puisse assurer l’avenir. Quitte même à ce que les coaches fassent des erreurs, ce n’est pas grave, nous sommes dans un esprit de formation. » Lui a eu sa chance, il ne voit pas de raison de ne pas la donner à d’autres.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen
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Fabrice Bouillez, enseigner sans perdre le Nord. Lié à son club et sa ville de toujours, KC Condé-sur-l’Escaut, Fabrice Bouillez, Nordiste pur jus cherche, sans cesse à enrichir ses connaissances et son message. À lire ici