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Décryptage
C’est l’un des nouveaux rendez-vous autour de la pratique : nous avons demandé à des experts de la FFKaraté de s’exprimer sur des concepts fondamentaux. Ce mois-ci, Georges Hernaez, 8e dan de nihon tai-jitsu et de karaté aborde la notion de contrôle. Un regard notamment marqué par sa longue expérience dans l’arbitrage pour lequel il a été responsable national.
La notion de contrôle est essentielle dans la pratique. Qu’est-ce qu’elle évoque en vous en premier lieu ?
C’est en pratiquant le karaté, dans lequel je me suis révélé – un peu aussi à moi-même – beaucoup plus dur, plus « méchant » que je ne l’étais intrinsèquement, qu’il a fallu que j’apprenne le contrôle. C’est d’ailleurs sur une histoire de contrôle que s’opère un tournant de ma vie de pratiquant. Compétiteur à l’époque, j’ai cassé la mâchoire de mon adversaire, qui était champion d’Italie, l’arbitre m’a disqualifié, ce qui ne m’a pas convenu parce que nous avions déclenché en même temps et qu’il me semblait qu’il était venu s’empaler sur mon tsuki. Il y a d’ailleurs une notion essentielle dans le contrôle, c’est celle que nous appelons « Mubobi », c’est-à-dire la nécessité que l’on a de contrôler en attaque sa propre initiative. De ne pas être pris en défaut de charge excessive qui renverserait la responsabilité sur vous d’une éventuelle blessure. C’est une idée très importante. Le meilleur exemple de maîtrise à ce niveau qu’il me vient à l’esprit, c’est Thierry Masci. Il pouvait s’engager avec beaucoup de détermination dans l’attaque tout en restant capable d’enchaîner les coups sans jamais tourner la tête, toujours dans le contrôle de la situation. Ça, c’est le karaté et c’est d’un niveau bien supérieur à celui qui se jette dans l’attaque en tournant la tête comme un kamikaze qui ne pouvait pas revenir en arrière. Quant à ma disqualification, c’est à cause de cette aventure que j’ai commencé à m’intéresser à l’arbitrage, pour mieux comprendre comment l’arbitre pouvait interpréter le plus finement possible cette notion de contrôle, de ses coups, de son attitude, et j’en ai fait une passion.
Le contrôle, c’est la marque de l’excellence. C’est aussi le rapport à l’autre que l’on apprend à moduler en fonction de lui.
Georges Hernaez
Quelle importance donneriez-vous à cette notion dans le karaté ?
Le contrôle est primordial. C’est un constat général dans tous les Budo. En nihon-tai-jitsu, c’est l’enjeu supplémentaire et crucial des luxations. On ne peut pas être dans l’à-peu-près si on ne veut pas blesser durablement. Le débutant veut essayer de marquer, de montrer. Le contrôle, c’est la marque de l’excellence. C’est aussi le rapport à l’autre que l’on apprend à moduler en fonction de lui. On est dans une relation différente avec un débutant ou avec un chevronné. Avec le chevronné, on peut lâcher un peu plus, avec un débutant, on doit contrôler pour deux, et on doit contrôler doublement : ce que l’on fait, pour ne pas lui faire mal, ce qu’il fait, pour ne pas se faire surprendre par un geste mal dosé, ou un déplacement raté.
Comment évolue la notion de contrôle dans le temps ?
On ne se lance pas sans bagage en karaté. Si vous ne savez rien du système technique, si vous n’avez pas les codes et les attitudes, ce sera peut-être du combat, mais pas du karaté. On reconnaît un karatéka à sa capacité à maîtriser la technique, l’espace et le temps dans une seule unité d’action. En compétition, on dira que c’est « marquer le point ». D’une façon plus générale, c’est la manifestation réussie du contrôle que l’on exerce sur tous les éléments. Le bon placement, le geste qui convient, dans le rythme qui convient. C’est pour cela que j’ai tant aimé, et que je continue à aimer l’arbitrage. Car, au-delà des enjeux de déterminer qui est le vainqueur, l’arbitrage, c’est aussi une tentative pour comprendre l’invisible, pour saluer comme ils le méritent les gestes parfaits.
Recueilli par Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Olivier Remy