Saint-Pierre-et-Miquelon
Le karaté, côté Atlantique nordIls n’en sont pas toujours les pièces les plus visibles mais restent essentiels au puzzle qui constitue le karaté français. Eux ? Ce sont les clubs, à la rencontre desquels nous vous proposons de prendre le temps d’aller. Après le KC Châteauroux, l’esprit d’un club, puis l’Okinawa Karaté Club du Havre, puis le Mont-Blanc et Bourg Saint-Maurice, direction l’un des bouts de France les plus reculés.
À près de 4 000 km des côtes bretonnes, la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon intrigue autant qu’elle déroute. « Mes amis en métropole, pour ceux qui en avaient déjà entendu parler, pensaient que c’était un pays où il fait très chaud, sourit Naomi Haran, karatéka de 20 ans originaire de l’archipel. Ils n’y étaient pas du tout au niveau de la localisation ! » Niché à l’extrême sud-est canadien, le seul territoire français d’outre-mer situé en Amérique du Nord a longtemps servi de base permanente aux marins normands, bretons et basques en quête de baleines, puis de morues. Malgré la baisse des activités de pêche, ce petit bout de France aux portes du Canada abrite encore un peu plus de 6 000 âmes. Dont une centaine de karatékas, répartis dans les deux clubs locaux : le Karaté Club Saint-Pierrais et le Miquelon Karaté-Do.
« Les échanges avec la France sont très bénéfiques, quel que soit le style de pratique. Cela nous permet de voir d’autres méthodes de travail.»
Une population très sportive
Sur ce confetti au climat océanique, froid et humide, la pratique du karaté s’est essentiellement développée à Saint-Pierre, qui concentre près de 90 % de la population. Tout a démarré en 1992 avec l’arrivée de Louis Gazo, un agent des douanes en provenance d’Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques). Muté sur l’archipel, le maître-chien y a fondé une section de wado-ryu, qui s’est rapidement étoffée. « J’ai été l’un de ses premiers élèves, se souvient Xavier Largerie, professeur 5e dan du club saint-pierrais. Je me suis pris d’une passion incroyable, qui ne m’a jamais quitté. Quand Louis est reparti en métropole en 1997, j’ai naturellement pris la relève.» Sous l’impulsion de son successeur, le Karaté Club Saint-Pierrais a rapidement trouvé sa place parmi la cinquantaine d’associations sportives que dénombre Saint-Pierre-et-Miquelon. Près de la moitié des habitants est licenciée dans un club, soit environ deux fois plus que la moyenne française. « Les Saint-Pierrais sont très sportifs. Ils viennent en masse pratiquer les activités nouvelles, assure l’entraîneur. C’est très petit ici, tout est facile d’accès. Le dojo est à 300 m du stade de football, qui est à 300 m de la piscine, elle-même à 500 m de la patinoire… »
Échanges réguliers avec la métropole
Aux côtés de sa femme Céline, professeure 3e dan, Xavier Largerie enseigne le karaté du lundi au vendredi aux quelque 80 adhérents du club. Essentiellement des jeunes « baby », enfants et adolescents, mais aussi des adultes, dont une quinzaine de pratiquants de body-karaté. Après plusieurs années de cohabitation avec d’autres disciplines dans une salle scolaire, les adhérents jouissent depuis 2007 d’un espace dédié, à deux pas du port et du bureau des douanes. De 17h à 20h30, le dojo soigneusement décoré et équipé par leurs soins ne désemplit guère. « Cela faisait plusieurs années que je demandais à avoir un petit endroit à nous, explique Xavier Largerie. Finalement, la mission catholique nous a prêté ce bâtiment inutilisé. » En presque un quart de siècle d’existence, le club s’est aussi adapté au flux continu de Métropolitains venus sur l’archipel pour raisons professionnelles. « En général, nous en accueillons toujours un ou deux par an, surtout des infirmiers, reprend Xavier Largerie. Et chaque année, nous faisons aussi venir des examinateurs de métropole comme Albert Rivas, Michel Kervadec et Jean-Pierre Lavorato pour les passages de ceintures et les formations. Ces échanges avec la France sont très bénéfiques, quel que soit le style de pratique. Cela nous permet de voir d’autres méthodes de travail. »
« Très jeune, j’ai commencé à suivre l’actualité du karaté français et à avoir des idoles comme Alexandra Recchia, Steven Da Costa et William Rolle.»
De coûteux déplacements
Afin de trouver de l’opposition, les compétiteurs doivent évidemment s’éloigner de l’archipel pour se rendre au Canada. Chaque année, trois à quatre déplacements sont ainsi organisés à Saint-Jean, capitale de la grande île voisine de Terre-Neuve, à quarante-cinq minutes en avion. Une fois par an, les meilleurs éléments disputent également un tournoi sur le continent, dans les provinces maritimes de la Nouvelle-Écosse ou du Nouveau-Brunswick, à environ deux heures de vol. Pour une seule journée de compétition, il faut néanmoins partir le vendredi matin et rentrer le lundi après-midi, faute de liaison quotidienne vers Saint-Pierre. « On essaie de sortir le plus souvent possible, mais les billets d’avion coûtent cher, reconnaît Xavier Largerie. Heureusement, nous sommes bien aidés par le Conseil territorial et le CNDS (Centre national pour le développement du sport). Cette saison, nous devrions effectuer six à sept déplacements. C’est une grosse année ! On envisage même d’emmener pour la première fois deux jeunes à la Coupe de France wado-ryu (les 10 et 11 février à Strasbourg, NDLR). »
De Saint-Pierre au STAPS de Caen
« Ces voyages au Canada étaient pour nous le moyen d’évaluer notre niveau, mais aussi de sortir de l’archipel et de découvrir des grandes villes », se souvient Naomi Haran, qui a rejoint le Karaté Club Saint-Pierrais à l’âge de neuf ans après avoir entendu une publicité à la radio locale. « J’ai été attirée par les coups de pied, l’aspect spectaculaire et la technique, décrit l’ancienne élève de Céline et Xavier Largerie. Très jeune, j’ai commencé à suivre l’actualité du karaté français et à avoir des idoles comme Alexandra Recchia, Steven Da Costa et William Rolle. » À 16 ans, elle obtient son 1er dan, avant de suivre le parcours typique des enfants de Saint-Pierre-et-Miquelon. Sans université sur place, nombreux sont ceux qui rejoignent la métropole pour continuer leurs études. Après le baccalauréat, la karatéka a donc posé ses valises à Caen en 2014 afin d’entamer des études en STAPS. Tout en continuant le karaté au Centre de Karaté Normandie Caen, où elle a passé son 2e dan et décroché sa première qualification aux championnats de France en 2016. « Quand je dispute une compétition en métropole, je suis toujours en contact avec la station de Saint-Pierre pour donner les résultats et répondre aux interviews. Cette reconnaissance est valorisante, elle me pousse à faire évoluer mon niveau, confie Naomi Haran. J’éprouve une certaine fierté de venir de Saint-Pierre-et-Miquelon. J’y retourne tous les étés pour retrouver ma famille, mes entraîneurs et mes amis d’enfance, qui sont éparpillés un peu partout en métropole. » La future professeure d’EPS envisage d’ailleurs de revenir sur son île natale pour y travailler pendant quelques années. Et à Saint-Pierre, le dojo n’est jamais bien loin…
La passion du Miquelon Karaté-Do Constituée des presqu’îles de Grande Miquelon et de Langlade, Miquelon (600 habitants) compte une petite dizaine de licenciés âgés de cinq à huit ans au sein du Miquelon Karaté-Do. Les cours sont dispensés par Christine Nourry, monitrice de sport à la Maison des loisirs, qui a relancé l’activité de ce club fondé en 2001. « Avant, nous avions plusieurs adolescents, mais ils sont partis sur Saint-Pierre ou en métropole pour les études, regrette André Vigneaux. J’espère cependant que cela continuera dans le bon sens. »
Camille Vandendriessche / Sen No Sen
Remerciements – Photos : Chantal Briand / Studio Briand