Shinkyokushinkai, l’exigence du plein contact
Aux racines d'un style engagé avec son fondateur Kenji MidoriKenji Midori, disciple du créateur du karaté kyokushinkai, Masutatsu Oyama, voulut se prouver qu’il était capable, malgré un gabarit très modeste, de battre les plus forts. Il y est parvenu en 1991 en devenant à la fois champion du monde de sa catégorie, les -70kg, et du toutes catégories. Désormais âgé de cinquante-six ans, il a fondé le shinkyokushinkai. Entretien avec une légende dans la plus pure tradition « plein contact », à l’occasion du stage donné ce week-end à Paris.
Une passion « manga »
À seize ans, comme beaucoup, j’étais passionné par l’idée d’être fort, de pouvoir me défendre dans la rue. Avec mon gabarit, je ne m’y retrouvais pas au judo. Je ne pouvais pas dominer les plus costauds. Avec mon 1m65, j’étais le petit qui voulait battre le grand. Et puis j’étais passionné par un manga célèbre à l’époque qui racontait l’histoire d’un combattant du kyokushinkai. C’est du karaté que je voulais faire, mais c’est ce style qui me donnait une impression de force et d’exigence, qui exaltait mes aspirations au dépassement de moi-même. Je suis monté à Tokyo pour mes études et je me suis précipité au dojo de Masutatsu Oyama. J’ai tout de suite senti que c’était là où je devais être. J’ai commencé rapidement à combattre dans les tournois. J’ai gagné, j’ai perdu, peu importe. Je me suis surtout construit.
De la diversité et de l’unité
Depuis le début de l’histoire du karaté, il y a beaucoup de styles, d’écoles différentes, avec des recherches variées. Cela me convient tout à fait. Ce qui compte de mon point de vue, c’est que chacun s’y retrouve et soit heureux de pratiquer dans la direction qu’il a choisie, qu’il se réalise à travers une discipline riche et qu’il soit fier de son école. Cette fierté que je cherche à transmettre dans la mienne, ce n’est pas anodin, c’est la condition du dépassement et de l’accomplissement de soi. Dans le karaté « plein contact », il y a aussi un mouvement inverse : nous cherchons une forme d’unité à travers l’expérience du combat sportif de plein contact, en nous réunissant pour faire ensemble. Trois cent huit écoles viennent de se regrouper pour participer à un grand tournoi selon des règles communes. Le kyokushinkai ? C’est la recherche de l’ultime vérité, ce qui désigne non pas un secret technique, mais la vérité de l’épreuve du combat et ce que l’on apprend en l’affrontant. Cela dit, il y a toujours une forme de diversité qui vient enrichir l’unité. Par exemple, nous aimons travailler les formes souples du Taikiken que pratiquait aussi Oyama Sensei, qui équilibre notre travail. À l’époque, j’ai même fait des tournois de Yi-Quan chinois avec des frappes paumes ouvertes, c’était très enrichissant.
Du karaté aux Jeux olympiques
Le karaté entre aux Jeux olympiques en 2020 et c’est une très belle réussite pour nous tous. Bien sûr, nous ne travaillons pas dans la même direction, mais il n’est pas question pour moi de dire que ce que je fais est mieux. Le « light contact » n’est pas moins bien que le « full contact », c’est une recherche différente, et elle est représentée par de jeunes sportifs qui s’entraînent avec ardeur et volonté de vaincre. Cela me convient. J’ai beaucoup plaidé à Tokyo pour que le karaté de plein contact soit aussi représenté à cette occasion, ce qui aurait permis de montrer une autre facette de notre discipline. Cela n’a pas été possible. Mais nous allons organiser un grand tournoi peu près les JO. Comme cela, la fête du karaté sera complète.
« Je ne voulais pas être grand chez les petits, mais le plus petit des grands ! En tout cas, il m’a fallu grandir pour me hisser au niveau requis. »
L’ultime vérité du MMA ?
Si on me demande ce que je pense du MMA, je ne peux bien sûr qu’être favorable à une recherche qui nous ressemble, celle de la confrontation réelle, de l’efficacité. Quand je vois les combattants professionnels, je perçois des points communs. Ils sont durs et solides, ils s’entraînent intensément, ils s’approchent autant que possible de l’ultime vérité de l’affrontement. Je me sens tout à fait proche de cela. Pour être sincère, et ce n’est pas un jugement de valeur, je dois dire que je n’apprécie pas beaucoup les phases de combat où l’un des adversaires est au sol et que l’autre tente de le frapper en position dominante. Je préfère la beauté et la dignité de nos postures debout. Mais c’est un point de vue personnel et je respecte l’exigence de leur école et son réalisme. S’ils se réalisent dans cette voie, cela me va tout à fait.
Le petit peut-il battre le grand ?
Combattant, j’ai vite été obsédé par l’idée de vaincre plus lourd et plus puissant que moi. Je n’étais pas satisfait par les victoires dans ma catégorie de poids. Et perdre contre les plus grands, je ne l’acceptais pas. Je ne voulais pas être grand chez les petits, mais le plus petit des grands ! En tout cas, il m’a fallu grandir pour me hisser au niveau requis. J’ai compris que cela ne passerait que par le travail. Il fallait que je m’entraîne plus que les autres. J’ai bâti mon entraînement pour les championnats du monde sur l’endurance, qui allait me permettre de rester constamment actif, capable de me déplacer et d’anticiper, et la vitesse pour être le premier à frapper, trouver plus de puissance et finir les combats avant la fin autant que possible.
Je me suis aussi toujours souvenu de l’adage transmis par Oyama Sensei : « La véritable force se trouve dans la technique ». Ce qui veut dire que pour frapper fort, il faut surtout frapper juste et précis. J’ai développé les techniques de jambe qui compensaient mon déficit de force, pouvaient me permettre d’obtenir le KO ou de repousser l’adversaire. Mais il fallait aussi que je travaille mon physique. J’ai fait de la musculation jusqu’à cinq fois par semaine et je faisais aussi régulièrement du sumo, pour travailler mon enracinement au sol et l’impact physique des plus lourds. J’avais aussi choisi de travailler la puissance des jambes avec des squats sautés. J’en faisais environ deux cent cinquante. Mais je m’étais mis dans la tête que si je n’augmentais pas à chaque fois le nombre, j’allais perdre ! Dans les derniers jours avant le championnat, j’en ai fait plus de trois cent cinquante. Maintenant, si j’en fais cinquante, c’est bien.
Ce que j’ai appris
En faisant ces grands défis, en pratiquant régulièrement le karaté de plein contact, j’ai surtout appris une chose : ne jamais abandonner. C’est la principale leçon de ce championnat du monde Open gagné en 1991. Avec mon gabarit, c’était vraiment une gageure, un gros risque. Je ne savais pas si c’était possible. Non seulement d’aller au bout, mais de faire face à ça sans céder. C’est en demi-finale que j’ai su clairement que je n’abandonnerai plus jamais. Je ne doutais plus de mon cœur. Cela m’a préparé à faire face à toutes les épreuves de la vie. Aujourd’hui, c’est sans doute le point central de l’enseignement que je donne en shinkyokushinkai : ne jamais céder devant l’obstacle, même apparemment insurmontable. C’est le sens du mot « shin » que j’ajoute à kyokushinkai, le cœur combatif constamment renouvelé dans la recherche de l’ultime vérité.
« En France, vous avez compris l’importance du combat comme un moyen de se trouver soi-même. »
Le plus important
À mon âge, ce qui compte désormais, c’est de me construire une bonne santé pour les années à venir. Pour moi, la bonne façon, c’est de continuer à pratiquer comme je l’ai toujours fait. Je n’ai pas de séquelles de mes combats passés, de douleurs aux hanches ou au dos. C’est comme les « relevés de buste ». On dit souvent que ce n’est pas très bon pour les lombaires. Mais j’observe que c’est quand on arrête d’en faire qu’on commence à avoir mal ! Les gens qui regardent de l’extérieur le karaté plein contact me demandent parfois comment on gère la douleur et si je n’en ai pas assez à mon âge de prendre des coups. D’abord, la douleur, c’est relatif. On apprend à moins la craindre. Sur un championnat, je me suis brisé la main sur une casse. J’ai appuyé dessus pour ne pas que cela ne se voit trop et j’ai encore fait cinq combats en utilisant l’autre ! Aujourd’hui je continue donc à pratiquer le plein contact, mais, bien sûr, il faut le faire intelligemment. J’ai développé très tôt des stratégies pour éviter de subir et cela me sert bien aujourd’hui. Et puis il faut des partenaires raisonnables. Dans mon organisation, il y a un combattant toujours actif qui a 78 ans ! Alors j’ai encore du temps devant moi. Et puis, maintenant, c’est aussi aux autres de combattre. Quand c’est au tour de mes élèves, de mes fils, je me sens plus tendu, plus nerveux que pour moi. Et les coups qu’ils prennent me font plus mal.
Et les Français ?
J’aime bien la France. Je crois qu’ici, vous avez compris l’importance du combat comme un moyen de se trouver soi-même. Vous avez une très grande organisation de karaté, on sent la réelle importance que vous accordez à cette culture. J’ai beaucoup de respect pour les combattants français. Voici ce qu’il faut retenir de toute cette pratique. Elle n’a de sens que si elle vous permet de chercher à être plus fort et, par ce moyen, d’aller à la rencontre de vous-même. Une fois que vous avez développé cette force du cœur, il faut la mettre au service des autres. La gentillesse, être là pour les gens, ce sont les qualités qui doivent accompagner notre accomplissement personnel. Un dernier message ? Il est simple, mais important. Masutatsu Oyama y tenait et je le transmets à mon tour : On ne peut pas progresser si on ne respecte pas ses parents.
Pour découvrir l’organisation française du shinkyokushinkai, la FSKO (France Shinkyokushinkai Karaté Organisation) :
Recueilli par Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Photos Denis Boulanger / FF Karaté