Le kata made in Réunion
Visite au Sporting Karaté Club CarpinÀ Sainte-Suzanne, au nord-est de la Réunion, le Sporting Karaté Club Carpin fait régulièrement la fierté de l’île grâce aux résultats de ses spécialistes de kata. À la tête du club qu’il a fondé en 2006, l’ancien international Joël Carpin s’est pris de passion pour son rôle de formateur, qu’il exerce avec la même soif de succès que lorsqu’il était compétiteur…
Bienvenue sur l’« île intense »
À l’époque où il a enfilé ses premiers kimonos, Joël Carpin n’avait pas autant de distractions à sa portée que les jeunes d’aujourd’hui. À défaut de tablette tactile, de téléphone portable ou même de console vidéo, le gamin de Sainte-Suzanne disposait cependant d’un terrain de jeu naturel particulièrement varié autour de la maison familiale, entourée de champs de canne à sucre, de vanille et de bananiers. C’est dans cette ville de 23 000 habitants, bordée par l’océan et la montagne, qu’il a débuté le karaté à l’âge de six ans, encouragé par un ami de son père responsable d’un club tout proche. C’est aussi là que, 23 ans plus tard, il a ouvert sa propre structure dans une salle de 180 m2 située chez ses parents, dans le quartier rural de Commune Carron qui surplombe la ville. « Ici, on est proche de tout : l’aéroport, le centre commercial (Grand Est) et surtout la nature, apprécie Joël Carpin. On est à deux minutes de la plus belle cascade de l’île (Cascade Niagara), à 25 minutes du Cirque de Salazie et à 30 minutes de la Plaine des Palmistes. On profite de tout le côté montagne avec le Piton des Neiges (3069 m d’altitude) pour s’oxygéner, et de la plage pour se préparer sur le sable. »
«En tant qu’entraîneur, je suis comblé. Il y a du potentiel ici. Notre but est d’aller constamment chercher le maximum .»
Joël Carpin, un parcours de très haut niveau
Avant d’entraîner la relève du karaté réunionnais au sein du Sporting Karaté Club Carpin (SKCC), Joël Carpin a brillé sur les tatamis de l’île, puis de Métropole et bien au-delà. À défaut de pouvoir pratiquer le combat, les compétitions n’étant alors pas ouvertes aux petites catégories d’âge, le « marmaille » s’initie au kata et glane ses premières médailles. Passé à travers les filets du football malgré les sollicitations du RC Lens, celui qui est devenu l’élève de Marcel Romescot au KC Sainte-Suzanne gravit un à un les échelons du haut niveau pour atteindre rapidement ses premiers podiums nationaux et internationaux. Multiple champion de France chez les jeunes, il devient vice champion d’Europe juniors en 1998, peu après avoir intégré l’INSEP. Au sein de l’établissement parisien, Joël Carpin fait partie d’une génération dorée de karatékas, qu’il côtoie au quotidien : Laurence Fischer, Nathalie Leroy, Myriam Szkudlarek, Yann Baillon, Olivier Beaudry, Seydina Balde ou encore David Felix. Passé par le Bataillon de Joinville et l’École interarmées des sports de Fontainebleau, le Réunionnais garnit son palmarès de plusieurs titres de champion de France seniors, de deux médailles de bronze européennes en individuel (2001 et 2003) ainsi que l’or aux championnats du monde universitaire (2003).
L’heure du retour et de la transmission
À la fin de sa carrière en 2007, Joël Carpin a déjà pris le virage d’une reconversion dédiée à l’enseignement. De retour à La Réunion un an plus tôt, le professeur d’EPS au collège Thérésien Cadet de Sainte-Rose crée son propre club et passe ses galons d’entraîneur régional. Les résultats ne tardent pas. « Depuis six ans, nous sommes le meilleur club de l’île en matière de résultats, affirme le père de famille, désormais âgé de 40 ans. En tant qu’entraîneur, je suis comblé. Comme je suis toujours aussi perfectionniste [qu’avant], je me montre très exigeant envers mes élèves pour qu’ils arrivent à mettre en avant leurs qualités physiques en compétition. Il y a du potentiel ici. Notre but est d’aller constamment chercher le maximum pour que ces jeunes intègrent l’équipe de France et réussissent un meilleur parcours que moi. » Lors des championnats de France de kata 2017, le club de près de 70 adhérents est reparti avec trois médailles : l’argent pour Helvetia Taily (juniors) ; le bronze pour Ken Fontaine (cadets) et l’équipe cadettes-juniors. À Lille début avril, l’équipe féminine cadettes-juniors prenait l’avion du retour avec le titre de vice championne de France dans les bagages, les seniors masculins se classaient 5e, comme Gabrielle Fontaine en minimes, laquelle s’était imposée lors de la coupe de France à Lormont cet hiver.
Un club familial, au sens propre
Entouré par sa mère, présidente du club, et son père, trésorier, Joël Carpin tient à préserver l’esprit convivial du SKCC. « On est un collectif, une famille même, confie-t-il. Il y a beaucoup de bonne humeur et de bienveillance. On rigole tout le temps, mais quand on s’entraîne, on s’entraîne ! Il n’y a pas de laisser-aller, les jeunes se donnent à fond. » « L’aspect familial est très développé comparé à d’autres clubs. Tout le monde a sa place. Il y a une bonne ambiance de travail et une émulation saine, qui tirent le club vers le haut, confirme Laurent Dehal, neuf fois champion de la Réunion, qui a rejoint le club en 2009 en tant qu’entraîneur adjoint. Joël est un gros bosseur et un visionnaire. Il arrive toujours à avoir deux ou trois coups d’avance dans le karaté. C’est aussi un nom qui compte énormément ici. Il a beaucoup participé au développement du karaté sur l’île grâce à ses résultats. » Seul bémol propre à la Réunion : le manque de dojos et de gymnases, qui limite à quatre le nombre de compétitions organisées chaque année sur l’île. « L’opposition est restreinte parce que l’on croise tout le temps les mêmes personnes pour les sélections, regrette Joël Carpin, contrairement à la Métropole, où les opens accueillent des participants venus de partout, y compris de l’étranger. »
Un futur complexe sportif pour répondre au manque de dojos
Pour trouver plus d’adversité, les karatékas réunionnais doivent parcourir les 9 400 km qui les séparent de la France métropolitaine, soit près de 11 heures de vol. Lors des championnats de France de kata les 7 et 8 avril à Lille, le SKC Carpin a ainsi fait faire le voyage à neuf représentants dans la capitale nordiste. Afin de couvrir le coût d’un tel déplacement, les aides de la Région, de la Ligue et du club ne suffisent pas toujours. La participation des parents est donc souvent nécessaire. Il en faudrait toutefois plus pour décourager Joël Carpin, qui consacre son peu de temps libre à la construction d’un futur complexe à Sainte-Suzanne dédié au sport et au bien-être. Dans cette future salle de 3 000 m2, le désormais passionné de sports de combat au sens large entend proposer un large choix d’activités : cross-fit, fitness, musculation, piscine, aquabike, sauna, jacuzzi, danse, lutte, boxe thaï, et karaté, évidemment. Destiné à accueillir un public familial, le Domaine de Nayjee (référence aux prénoms de ses enfants) disposera également de vues sur mer et sur le Piton des Neiges. Et ouvrira assurément ses portes aux compétitions de kata et de kumite pour permettre au karaté de progresser encore à la Réunion.
Le karaté cartonne à la Réunion
Quatrième sport le plus populaire de l’île après le football, la natation et le handball, le karaté comptait en octobre 2017 un peu plus de 4 500 licenciés, répartis dans les 144 clubs de l’île. « La Réunion est une terre de champions de karaté à, l’image de Lucie Ignace, championne du monde et dans l’équipe de France combat actuelle qui vient de Saint-Denis, souligne Alix Caro, président de la Ligue. En kata, Joël Carpin n’est pas la seule figure réunionnaise. Nous avons eu par le passé de nombreux champions de France et médaillés internationaux comme Marina et François Chan Liat, Patrick Mazaka, Emmanuelle Fumonde, Latifa Dittoo et bien d’autres. Tous sont d’anciens élèves de Marcel Romescot, qui les a formés au KC Sainte-Suzanne, le club historique de l’Île. Avec le SKC Carpin, ces deux clubs se partagent les titres à la Réunion, mais nous comptons à présent plusieurs clubs capables de les concurrencer dans chaque région de l’île. » Un vivier qui n’est pas près de s’épuiser.
Camille Vandendriessche / Sen No Sen