Le virus de la liberté
Le Yoseikan Budo par le prisme de Jean-Pierre PichereauPur produit du Yoseikan Budo, Jean-Pierre Picherau a été profondément marqué par l’esprit de liberté qui flottait lorsque cette discipline, alliant combat pied-poing, projections et armes, s’est développée. La liberté d’essayer, d’aller voir ailleurs, pour revenir plus fort et aider le Yoseikan à grandir. Un message qu’il continue de diffuser, à soixante-quatre ans.
« Je ne suis pas un gourou. » Il lâche cette phrase en riant, comme s’il trouvait l’idée parfaitement saugrenue. Pour Jean-Pierre Pichereau, le rôle de professeur est tout sauf celui d’une figure tutélaire. Et quand on lui demande son grade, il se défausse, modestement : « septième, mais ça ne veut pas dire grand-chose. On monte en grade pour que les plus jeunes aient des perspectives d’évolution et puissent monter à leur tour. » Aider les autres à progresser, les guider vers une connaissance toujours élargie, tel est son leitmotiv. « Le Yoseikan, c’est d’abord la liberté », souffle-t-il. Refuser les carcans, innover, chercher encore. Trouver l’inspiration partout et emmener ses élèves sur tous ces chemins. Aujourd’hui c’est à Lescar, dans la banlieue de Pau, au club Sakura qu’il a aidé à remonter en 1999-2000, que ce professeur de soixante-quatre ans œuvre pour le Yoseikan Budo.
« Il n’agit pas comme un mentor, confirme Thierry Bardot, l’un de ses élèves de toujours. Il se met à la portée de tous alors qu’il a un bagage technique extraordinaire. » Ce bagage technique qui fait de Jean-Pierre Pichereau un professeur respecté, c’est cette faculté à trouver des liaisons entre le travail de boxe, de pied, de projection, et de passer au maniement des armes en conservant les mêmes mouvements. Un savoir qu’il continue d’alimenter en parcourant les stages, notamment ceux de maître Hiroo Mochizuki, le fondateur du Yoseikan Budo, dont il est proche. « Lorsque je vais en stage, je prends la connaissance, je l’amène au club et on la dissèque ensemble. » Si la théorie du ruissellement existe, elle est peut-être à chercher ici. Le professeur insiste sur l’entraide, le travail à deux des techniques avant de passer aux randoris. « Il mouille son kimono, ce n’est pas le genre à se mettre sur le côté et à donner des ordres », glisse Thierry Bardot, qui enseigne désormais lui aussi, à Tarbes.
Partager les richesses
Tarbes, c’est là que Jean-Pierre Pichereau a fait ses premières armes comme professeur. C’était au début des années 1970. Il avait commencé par s’inscrire au judo mais a rapidement monté un club de Yoseikan avec quelques amis. Sept au départ. Bientôt cent-quarante-cinq. Et c’est naturellement que le jeune homme, vingt ans alors, a pris la direction des cours. « C’est à cette époque que j’ai découvert que j’avais en moi ce besoin d’aider les gens à évoluer, à s’enrichir et à se perfectionner. Ce besoin m’anime toujours d’ailleurs. »
Il se définit lui-même comme « un pur produit » du Yoseikan Budo. Avant de s’installer dans le sud-ouest, c’est à Paris qu’il a découvert la discipline alors encore balbutiante, à la fin des années 1960. Rue Montorgueil, sous la direction d’Hiroo Mochizuki, il a pris goût à la liberté : celle de s’essayer à toute forme d’arts martiaux pour améliorer sa pratique – et cette synthèse – qui ne prendra officiellement le nom de Yoseikan Budo qu’en 1975. Une soif de liberté qui ne l’a depuis jamais quitté. Il a touché au kendo, au judo, à la boxe anglaise, toujours pour se perfectionner, lui et son enseignement. « On peut toujours progresser », croit-il encore. « Grâce à lui, on a une incroyable ouverture d’esprit, s’enthousiasme Thierry Bardot. J’ai fait de la boxe, du krav maga, de l’aïkido … Et aujourd’hui, dans mon club, on fait des cours communs avec d’autres arts martiaux, des stages inter-disciplines. C’est la plus grande richesse que Jean-Pierre nous a transmise. »
Former des hommes
Jean-Pierre Pichereau raconte son histoire et sa philosophie lentement, avec une douceur qui laisse deviner beaucoup de bienveillance. Il n’a oublié aucun nom, énumère les professeurs et les amis qui ont compté dans sa riche carrière. Mais n’allez pas croire qu’il est tourné vers le passé. À Lescar, où il enseigne, il porte une grande attention aux enfants, qui constituent le gros des troupes de ses soixante licenciés. « Il faut leur donner les capacités corporelles, leur apprendre à travailler dans l’espace, l’équilibre, déroule-t-il. À être dans l’échange aussi. Un jour, l’enfant peut très bien aller au foot, au rugby ou ailleurs. Notre rôle est donc de les former pour devenir des hommes. » Avec le temps, il a développé un intérêt croissant pour la biomécanique. Il est aussi convaincu du rôle fondamental du sport – et du Yoseikan encore plus ! – pour aider les plus jeunes à se construire et se développer.
Et la compétition dans tout ça ? « C’est une phase à travers laquelle beaucoup de jeunes doivent passer, affirme-t-il. C’est une expérience de vie. Ça améliore la gestion du stress, et c’est important pour les capacités motrices de savoir répondre en combat. » C’est le professeur qui parle, mais c’est aussi l’enfant réservé qu’il a été, élevé dans un pensionnat jésuite avant de découvrir à sa sortie l’assurance des adolescents de son âge qui pratiquaient des sports de combat. Mais Jean-Pierre Pichereau n’envoie jamais un élève sur un tapis de compétition avant trois ans de pratique. « La sécurité avant tout », explique-il. Rousseau ne disait-il pas qu’il n’y a point de liberté sans loi ?
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen