Ce lundi 20 mai 2019, la Fédération Française de Karaté dévoile son nouveau site internet ffkarate.fr «relooké» et restructuré afin…
MARSEILLE, TERRE DE CHAMPIONS
Une région prolifique en karatékas de renom depuis des générationsThéâtre des championnats de France le week-end dernier, Marseille a vu éclore de nombreux combattants devenus par la suite champions d’Europe ou du monde. Comment expliquer les succès du karaté à la sauce provençale ? Éléments de réponse.
Alexandre Biamonti, Laurence Fischer, Cécil Boulesnane, Didier Lupo, Paul Giacinti, Claude Pettinella, Laurent Saïdane, Serge Tomao… Ces karatékas français ont un point commun. Enfin, deux pour être plus précis. Ils ont tous décroché des titres lors de championnats d’Europe ou du monde. Et ils ont tous été façonnés au même endroit : à Marseille, ou dans ses environs. « Il ne faudrait surtout pas oublier Dominique Valéra qui, même s’il est né à Lyon, est ensuite venu s’installer dans la région », note avec justesse Denis de Ranieri. L’arbitre mondial de cinquante-cinq ans se souvient de l’époque où le JJC Marseille de Joseph Boutros, l’UJM de Laurent Saïdane et le Massilia KC de Jean-Luc Bricard se tiraient la bourre. « Ces clubs se trouvaient soit au Vieux-Port, soit sur la Canebière, donc en plein cœur de la ville et dans un périmètre restreint, » précise-t-il. Trois clubs qui ont depuis laissé le champ libre à d’autres structures, comme l’Impact KC, le Spartan ou la Full Karaté Académie. Le paysage a changé, mais la donne reste identique : génération après génération, les karatékas provençaux continuent de briller.
Effet boule de neige
Mais pourquoi la Provence est-elle un terreau si fertile en champions ? Plusieurs raisons peuvent être avancées. « Il y a eu un effet boule de neige, analyse tout d’abord Denis de Ranieri. Les premiers médaillés internationaux ont servi de modèle à la génération suivante, qui s’est distinguée à son tour et a ainsi inspiré les nouveaux arrivants… Voilà pourquoi nous avons toujours été performants. » Cité comme ce modèle justement par de nombreux pratiquants, Alexandre Biamonti abonde dans le même sens. « Tous ces champions ont été une source de motivation pour nous, affirme celui qui a conquis l’or mondial en 1998 (-65kg). Moi, par exemple, j’étais fasciné par Paul Giacinti, un Marseillais pure souche doté d’une jambe avant exceptionnelle. Je me suis aussi inspiré de Didier Lupo, qui était dans la même catégorie que moi et qui m’a permis d’évoluer dans mon karaté. » Cécil Boulesnane, lui, remarque que cette dynamique de résultats aiguise l’appétit des plus jeunes. « Ce sont des compétiteurs qui ont de très hautes ambitions, remarque-t-il. En voyant leurs prédécesseurs gagner des titres, ils se disent qu’eux aussi peuvent le faire. »
Rivalité et culture de la gagne
En plus de s’inspirer de ces modèles, chaque génération peut s’appuyer sur le « savoir-faire de la zone interdépartementale de Provence, solidement structurée autour de ses professeurs et de ses experts, et qui constitue un environnement idéal pour progresser, » dixit Denis de Ranieri. Mais ce n’est pas tout. Passée par l’UJM, Laurence Fischer se rappelle des entraînements collectifs organisés le dimanche matin, sur la plage de la Couronne. De quoi renforcer un esprit de groupe déjà bien entretenu par une rivalité qui, visiblement, n’existe pas qu’en football. « L’émulation était très positive, se souvient la triple championne du monde. La rivalité sportive que nous entretenions avec les autres clubs du coin et, surtout, avec les Parisiens, était stimulante. C’est grâce à ça que nous parvenions à nous améliorer. Nous prenions plaisir à monter tous ensemble sur la capitale. » « Les championnats de France avaient toujours lieu à Paris, et y monter coûtait cher, ajoute Alexandre Biamonti. On nous a même raconté que certains compétiteurs dormaient à la gare ou à l’aéroport pour faire des économies ! C’est dans cette opposition Nord/Sud et avec ce sentiment d’être défavorisés en permanence que nous nous sommes endurcis, parce que nous redoublions d’effort à l’entraînement. » Cette forme de défiance vis-à-vis de la Ville Lumière a donc eu un impact positif sur les compétiteurs provençaux. « La culture de la gagne est profondément enracinée ici, insiste Denis de Ranieri. Cela n’a jamais été simple de s’imposer face aux clubs parisiens. Il a fallu de la hargne, beaucoup de volonté et, surtout, énormément de travail. C’est ce qui a forgé notre caractère et, je dirais même plus, notre orgueil. »
Identité fièrement revendiquée
Ces combattants possèdent un autre puissant dénominateur commun : ils sont viscéralement attachés à leurs origines. Entraîneur au sein du Pôle Relève basé au CREPS de Châtenay-Malabry, Cécil Boulesnane constate que ce sentiment de fierté est loin de s’étioler avec le temps. « C’est vrai qu’ici, ceux qui viennent de Provence n’hésitent pas à se revendiquer de l’école marseillaise, souligne le champion du monde 2000. La rivalité vis-à-vis des Parisiens est notamment présente lors des inter-régions, mais cela reste très sain ! » Même son de cloche chez Denis de Ranieri, qui croise ces compétiteurs à l’occasion des grands rendez-vous nationaux et internationaux. « Même lorsqu’ils combattent sous la bannière française, les karatékas marseillais restent intimement liés à leurs origines, assure-t-il. Ils affirment leur identité avec fierté au travers de leurs résultats. C’est peut-être ça, la marque de fabrique marseillaise. » En retour, la cité phocéenne sait également se montrer reconnaissante envers celles et ceux qui l’ont honorée. Après ses derniers mondiaux (2006), Laurence Fischer a célébré son jubilé au Palais des Sports de Marseille. « Plusieurs générations de karatékas étaient réunies, c’était très fort en émotion, souffle-t-elle. Marseille est une ville de passion, qui sait se souvenir de ses champions. Et ça, c’est très important. »
Karaté évolutif
Sur le tapis, le karaté proposé par les combattants provençaux a évolué avec le temps. « Je garde le souvenir d’un karaté à l’ancienne, dur et bagarreur, plus physique que technique, raconte Alexandre Biamonti, disciple d’Albert Caelles. L’UJM, le Dojo Mirabeau d’Aix-en-Provence… Il y avait de sacrés tapeurs dans ces clubs ! Ces gars-là n’avaient pas peur de mettre des gros coups. Les Parisiens, eux, étaient sans doute plus fins. Cela a ensuite changé grâce à Didier Lupo et Serge Tomao, qui ont appris à voir les choses différemment en équipe de France et nous ont transmis de nouvelles méthodes. » Aujourd’hui encore, certains Provençaux cultivent un style qui leur est spécifique. « Ils s’appuient sur un karaté très varié, ils mettent l’accent sur les techniques de jambes, comme Alex et moi-même le faisions à l’époque, décrypte Cécil Boulesnane. Et puis, outre leur côté offensif, c’est leur rage de vaincre qui les caractérise. » Toujours très performant dans les catégories de jeunes, le karaté provençal attend maintenant de savoir qui sera son futur champion du monde. À Léa Avazeri, les frères Abdesselem, Assia Oukhattou, Nancy Garcia ou encore Margot Soulier de faire perdurer la tradition.
Raphaël Brosse / Sen No Sen
Photos Denis Boulanger / FFKaraté