Xiaofen Fang, une mission à accomplir
Rencontre avec une experte fédérale pas comme les autresCela fait maintenant trois décennies que Xiaofen Fang a quitté la Chine, sa terre natale, pour rejoindre la France. Depuis son arrivée, l’experte fédérale (7e duan) œuvre sans relâche afin de mener à bien sa mission : favoriser le rayonnement et le développement du wushu dans son « deuxième pays ».
Transmission intergénérationnelle
Elle n’a pas dérogé à la tradition familiale. Née à Zhejiang, une province située au sud de Shanghai, Xiaofen Fang baigne dans le riche univers des arts martiaux chinois depuis sa plus tendre enfance. C’est son arrière grand-père, le renommé maître Fang, qui s’occupe de l’initier à la pratique du wushu. La jeune fille n’a alors que six ans. Trois années plus tard, elle intègre un programme d’éducation nationale très sélectif. Les cours y sont assurés par Zhenlan Yuan et Zuli Yu, tous deux 8e duan. « Être l’une de leurs élèves représentait une opportunité exceptionnelle, surtout à mon âge, » souffle-t-elle. Un privilège qui ne ressemble cependant en rien à une promenade de santé. « Les conditions étaient très éprouvantes, se souvient Xiaofen. On devait se lever à 4h30 du matin, on s’entraînait beaucoup, les professeurs étaient d’une grande sévérité. Je ne parle même pas du manque de confort de nos dortoirs, de l’absence de chauffage en hiver, ni de la rudesse du sol sur lequel nous faisions nos exercices. Certains abandonnaient en cours de route mais, moi, je me suis accrochée. Et aujourd’hui, je repense à tout cela avec le sourire. » Celle qui fit honneur à la famille Fang grâce à ses probants résultats en compétition obtient même sa place au sein de l’équipe provinciale de Zhejiang, en dépit d’une concurrence relevée.
Le grand saut
1989 marque un tournant important dans le parcours de Xiaofen Fang. L’étudiante de vingt ans a l’occasion de partir en France dans le cadre de son cursus universitaire. « Au début, c’était vraiment difficile, raconte-t-elle. J’étais loin de ma famille, de mes amis, j’avais beaucoup de mal à communiquer en français… En fin de compte, il ne me restait plus qu’un seul point de repère : le wushu. » Et c’est précisément cette discipline qui va lui permettre de rester dans l’Hexagone. Apprenant que la mairie de Paris organise une démonstration d’arts martiaux chinois au gymnase Japy, Xiaofen se rend sur place et impressionne le public par sa maîtrise technique. Séduits, des responsables d’associations sportives la sollicitent pour donner des cours. Ceux-ci sont dispensés à la Celle-Saint-Cloud et à Noisy-le-Champ, deux villes qui se trouvent de part et d’autre de l’agglomération parisienne. Pas de quoi décourager la néo-professeure de wushu, qui déborde d’énergie et désire, par-dessus tout, faire connaître sa pratique au plus grand nombre. « J’ai aussi été influencée par un aspect important de la mentalité chinoise, ajoute Xiaofen. Si je n’étais pas capable de faire quelque chose d’utile loin de chez moi, alors ce n’était même pas la peine de revenir au pays. Voilà pourquoi je me suis employée à remplir cette tâche du mieux possible. »
« Être utile pour mon deuxième pays »
Quand elle n’enseigne pas le wushu à ses élèves, Xiaofen s’aligne en compétition et empile les victoires en coupe de France de taolu (armes et mains nues). Son haut niveau de maîtrise fait d’elle l’une des références nationales de la discipline. Cela n’échappe pas à la fédération, qui lui confie le poste d’entraîneur de l’équipe de France taolu en 2011. Les bons résultats ne se font pas attendre. « Avant, jamais un Français n’avait réussi à figurer dans le Top 10 d’un championnat du monde, contextualise la coach tricolore. Et dès la première année qui a suivi ma prise de fonctions, l’un de nos juniors, Paul Rondeau, a terminé sur la plus haute marche du podium ! » Quand elle enfile le survêtement bleu-blanc-rouge, Xiaofen se sent investie d’une mission qui lui tient particulièrement à cœur. « J’ai eu la chance d’apprendre le wushu dans son berceau originel, la Chine, rappelle-t-elle. J’y ai acquis des connaissances que je dois désormais transmettre à l’équipe de France. Je veux être utile pour mon deuxième pays, celui qui m’a accueillie. » La consécration a lieu à Nanjing, au cours des Jeux olympiques de la Jeunesse 2014, où le wushu est inscrit en tant que sport de démonstration. De retour dans son pays natal, Xiaofen voit Paul Rondeau conquérir l’or dans la catégorie épée-lance. « Ça reste le moment le plus fort de ma carrière, affirme-t-elle avec une pointe d’émotion dans la voix. Les grands maîtres chinois qui étaient présents sont venus me féliciter et ont unanimement reconnu la qualité du travail accompli. À quelques minutes d’intervalle, j’ai entendu résonner ‘’La Marseillaise’’ et ‘’La Marche des Volontaires’’ (un athlète chinois ayant été titré le même jour, NDLR). J’en avais les larmes aux yeux. Bien sûr, j’ai chanté ces deux hymnes ! »
Développement à la base
Si elle s’investit afin d’aider les Français à briller sur la scène internationale, Xiaofen est également très active auprès des plus jeunes pratiquants. En fondant l’école Dong Fang en 2012, la professeure désormais basée à Courbevoie souhaite effectivement s’adresser en priorité aux enfants. « Si on veut que le wushu connaisse un réel essor dans notre pays, il faut que la jeunesse se sente concernée, argumente celle qui a été naturalisée française à la fin des années 1990. À une époque, j’allais régulièrement proposer des initiations dans des écoles. Les enfants sont d’un naturel très curieux, et notre art est susceptible de les intéresser. » L’experte fédérale (7e duan) conserve toute sa rigueur, mais adapte son discours en fonction du public concerné. « Xiaofen s’appuie sur un énorme bagage technique, mais elle n’est pas élitiste pour autant, précise ainsi Aurélie Nguyen, présidente de l’école Dong Fang. Elle se met au niveau de chacun et accorde autant d’importance à un débutant qu’à un compétiteur chevronné. Ce qu’elle veut avant tout, c’est que ses élèves aiment la pratique. Elle est très ouverte et souriante. En revanche, elle distille ses consignes au compte-gouttes, donc mieux vaut ne pas être distrait ! » Une recette qui porte apparemment ses fruits, car les cours réservés aux enfants affichent complet cette saison. Trente ans après son arrivée en France, Xiaofen continue donc d’œuvrer, inlassablement, pour le développement du wushu au sein de son « deuxième pays ». Après tout, c’est la mission qu’elle s’était fixée.
Raphaël Brosse / Sen No Sen
Photos DR et Raphaël Brosse / Sen No Sen