Passion débordante
Gérald Maître, 40 ans, 5e dan, professeur à l'Athletic Club Combs-la-VilleSi Gérald Maître entraîne des champions, il reste avant tout un bénévole investi comme peu le sont. Un homme partagé entre son envie d’accompagner ses élèves au plus haut niveau et celle de rester un club familial. Et qui court partout pour tout assurer.
Sincérité
Il regretterait presque que son club marche si bien. Quand il a repris en 1999 l’Athletic Club Combs-la-Ville, celui de ses débuts, c’était pour l’humain. « Au début on était une soixantaine, c’était facile de réunir tout le monde. » Gérald Maître a toujours voulu son club convivial, familial. « Sa démarche est emprunte de sincérité et d’amour », abonde l’un de ses professeurs et ami, Christian Clause. Autour de Gérald Maître et du champion du monde kata Yves Bardreau à qui il demande de l’accompagner pour relancer la structure, un petit noyau prend forme. Couvé avec passion, il s’enracine et développe de longues ramifications. Le nombre d’adhérents passe à deux cents, dont une trentaine de compétiteurs qui briguent ou évoluent à haut niveau. Des élèves pour qui Gérald Maître s’investit bénévolement chaque jour ou presque, lui qui travaille le matin comme chauffeur. Un rythme fou avec soixante licenciés, alors avec plus du triple… « À deux cents, souvent, j’ai l’impression de pas pouvoir donner à tout le monde », déplore-t-il.
« Beaucoup d’adultes viennent au karaté simplement pour trouver de la confiance en eux. »
La compétition malgré lui
Si la croissance de son club le tiraille, c’est peut-être parce qu’il ne s’est jamais imaginé dans la peau d’un coach de champions. « S’il y a vingt ans, on m’avait dit que j’allais faire autant de résultats, je n’y aurais jamais cru. Ce n’était pas du tout mon intention. » Gérald Maître a commencé le karaté à 13 ans, après avoir essayé le tennis et le volley. Féru d’activité physique et d’encadrement, il a également un diplôme de maître nageur-sauveteur, et un autre de moniteur de ski, lui le Savoyard d’origine. Il est devenu professeur de karaté alors que son propre professeur s’effaçait peu à peu. Et c’est de la même manière, en se laissant un peu porter, qu’il s’est tourné vers la compétition. « À la base, je suis un technicien », précise-t-il. « Je suis plus dans le kata. Ce sont les élèves qui m’ont tiré vers le combat. Plus le niveau montait, plus j’étais obligé de d’accroître mon propre niveau. » Le groupe qu’il entraîne est une source dans laquelle il puise sans cesse. « Un prof continue d’apprendre énormément. Comme mes compétiteurs vont de plus en plus haut, ils m’obligent à chercher, à m’entraîner, pour rester au niveau. Pour ne pas qu’ils me dépassent de trop ! » (rires)
Échange
Ce ceinture noire 5e dan appuie son enseignement sur un dialogue permanent. Avant, pendant, après les entraînements. En compétition, lors des déplacements ou autour d’un repas. Jamais dans son bureau, il n’en n’a pas « Pas de lieu séparé ou spécifique », balaye-t-il. « Je suis comme mes élèves, et surtout, au milieu d’eux. » De sa voix douce, il explique sa méthode, la pédagogie. « J’ai eu de nombreuses discussions avec Gerald », confie Sofiane Agoudjil, leader des -60kg masculins en équipe de France et médaillé de bronze aux mondiaux de Linz en 2016. Et, bien souvent elles durent des heures ! » Choix personnels, sportifs, professionnels, voire leçons de morale : l’entraîneur guide ses ouailles dans tous les domaines. « Il me conseille comme le ferait un père », poursuit le champion. « C’est quelqu’un qui est sensible, dans l’affection », renchérit Christian Clause. « Faire lever une jambe ou lancer un poing c’est bien plus facile que donner l’envie de gagner à quelqu’un, explique l’intéressé. Et ce côté psychologique ne joue pas que pour les compétiteurs. Parce que beaucoup d’adultes viennent au karaté simplement pour trouver de la confiance en eux. »
Plus qu’un professeur
Gérald Maître donne, sans compter. « Il est toujours à 200% avec ses athlètes », souffle Sofiane Agoudjil. Le professeur est très proche de ses élèves. Parfois trop ? « C’est un reproche qu’on peut me faire et que je me fais aussi parfois, admet-il. Je suis capable d’aller sur une compétition pour une personne, et du coup de ne pas être là pour un mariage, ou pour l’anniversaire d’un de mes enfants. » Si Gérald Maître se mouille autant, c’est parce qu’il se sent investi d’une mission auprès de ses jeunes. « J’estime que j’ai une part de responsabilité dans leur réussite en dehors du karaté, notamment professionnelle. » Un investissement hors tatami qui s’ajoute à des entraînements quasi quotidiens, un travail et une vie de famille. Même avec l’appui des bénévoles du club, c’est beaucoup. « Il est tout le temps en train de courir », remarque Christian Clause. À tel point qu’il a déjà essayé de se dédoubler. « Le problème, lorsque j’essaie de former quelqu’un pour m’aider, c’est que j’en fais tellement qu’ils finissent par avoir peur de la quantité de travail. »
« Il doit aussi penser à lui. » Christian Clause
Sous l’œil de Christian Clause
Elle a beau être immense, la passion n’empêche pas toujours la fatigue. « Il s’occupe très peu de lui », constate encore son ami et professeur Christian Clause. « De temps en temps, je lui dis ‘tu sais Gérald, pense à toi‘. Il donne tellement pour les autres, pour ses élèves, qu’il n’a pas de temps pour lui. Ce n’est pas égoïste, c’est tout sauf ça, il est entier. » Jusqu’où pourra-t-il tirer sur la corde ? « Je ne me sens pas capable de continuer encore vingt ans sur le haut niveau », avoue-t-il. « Quand je vois l’investissement en termes de temps et d’argent… Et comme je ne sais pas faire de demi-mesure. » Les cours qu’il prend à Melun, avec Christian Clause, sont l’un des rares moments où il débranche, quitte son costume de prof pour renfiler son karategi d’élève. Un moment où « Il se laisse porter, témoigne le professeur du professeur. Il doit penser à lui parce qu’après il va être fatigué, il va être usé. Parfois il est à la limite. Mais il accompagne ses élèves tellement bien. C’est ce qui lui donne cette énergie», poursuit Christian Clause. Est-ce que le plaisir en vaut la peine ? Gérald Maître assure n’avoir aucun regret. « Je regretterai si je n’avais pas fait assez pour les jeunes. » L’investissement, toujours.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen