Shaolin Toulouse
La richesse de la diversitéIls n’en sont pas toujours les pièces les plus visibles mais restent essentiels au puzzle qui constitue le karaté français. Eux ? Ce sont les clubs, à la rencontre desquels nous vous proposons de prendre le temps d’aller. Ce mois-ci, direction le Shaolin Toulouse qui, dès sa création en 1985, s’est ouvert à d’autres disciplines.
Il est 18h30. La nuit tombe peu à peu sur Balma, une commune limitrophe de Toulouse. Les bureaux se vident, les automobilistes s’empressent de rejoindre le périphérique pour rentrer chez eux. La zone commerciale s’endort progressivement, les entrepôts et grands magasins tirent le rideau. Tout est calme. Ou presque. Des combattants, un dragon et des tigres s’agitent sur fond d’Asie sur la façade d’un bâtiment. Contraste. Il suffit de pousser la porte pour entrer dans un lieu en pleine effervescence. Dans une salle, l’entraînement de karaté bat son plein. Dans une autre, un professeur anime un cours de kung-fu avec armes. Dans une troisième enfin, les pratiquants s’adonnent à la boxe thaï. Bienvenue au Shaolin, où plusieurs disciplines cohabitent en totale harmonie.
De l’usine au dojo
À l’origine de la création du club, il y a un homme, Lilian Froidure. Celui-ci découvre le karaté en 1969, à l’âge de 16 ans, alors qu’il travaille à l’usine. L’adolescent au tempérament bagarreur se rend compte que cet art martial lui convient parfaitement. Lilian apprend, franchit les échelons un à un et, sur les conseils de son professeur – qui aimerait lui passer le relais – obtient ses diplômes. À la fin des années 1970, il abandonne donc son poste d’ajusteur outilleur pour se lancer dans l’enseignement du karaté. Et l’idée de créer son propre club finit par germer. « Tous les soirs, j’allais donner mes cours au sein de deux voire trois clubs différents, se souvient Sensei Froidure. Je galopais d’une salle à l’autre et je ne pouvais pas faire travailler mes élèves suffisamment longtemps. J’ai décidé de créer le Shaolin afin de pouvoir donner autant de cours que je le souhaitais. » Le Shaolin Toulouse voit ainsi le jour en juillet 1985.
Emulation positive
Dès le début, plusieurs disciplines sont enseignées au sein du club haut-garonnais. Le karaté bien sûr, mais aussi le judo, le yoseikan budo, l’aïkido, le taekwondo, le kung-fu et le full contact. Une telle ouverture à d’autres pratiques était à l’époque rarissime. « C’est moi qui l’ai voulu, affirme Lilian Froidure. Au départ, nous nous entraînions en même temps que le yoseikan budo. Nous échangions très souvent et nous avons créé de solides liens d’amitié. Cela a renforcé les interactions, le challenge aussi. Impossible de rester dans notre coin, à nous dire que notre discipline était meilleure que la leur. Cela se voyait sur le tapis. » Une émulation positive décuplée dans la perspective de la Nuit du Shaolin. Organisé pour la première fois en 1986, cet événement offrait au public des combats et démonstrations pour financer les déplacement du club. « Chaque année, l’objectif était d’être plus fort, plus spectaculaire que les autres disciplines, narre le fondateur du club. Cela engendrait une réelle stimulation auprès des élèves. »
Des échanges bénéfiques
Aujourd’hui, le Shaolin Toulouse propose à ses quelque cinq cents licenciés une douzaine de disciplines, du karaté au sonmudo coréen, en passant par le kung-fu, la self défense, la boxe thaï… Autant de pratiques très distinctes les unes des autres. « Quelqu’un qui s’inscrit dans un club de football n’a pas l’intention de faire du rugby ou du handball, souligne le maître des lieux. Pour les arts martiaux, c’est pareil. Les personnes qui font de l’aïkido n’ont pas la même mentalité ni la même culture que celles qui pratiquent le kung-fu. Et les gestes ne sont pas effectués de la même manière. » Cela n’a pas empêché cette cohabitation d’avoir des effets très positifs. « Au début, nous avions un karaté direct, nous allions tout droit, mesure Lilian Froidure. Notre palette technique n’était pas très développée. Au yoseikan, en revanche, les combattants étaient plus subtils, effectuant notamment des attaques latérales. Nous avons appris à maîtriser cela grâce à eux, et nous leur avons montré comment être plus directs. Ces échanges nous ont permis de tous nous améliorer. »
« Impossible de rester dans notre coin, à nous dire que notre discipline est meilleure que la leur »
« Nous pouvons faire de tout ici »
Des échanges qui perdurent encore, ce qui ravit les autres professeurs. « Nous pouvons faire un peu de tout ici, du pieds-poings, du traditionnel… Nous effectuons aussi parfois des séances interdisicplinaires, ce qui est toujours enrichissant, révèle Nicolas Hosselin, qui enseigne le nihon taï-jitsu et la self défense au Shaolin depuis une demi-douzaine d’années. Le dialogue, l’échange avec les autres disciplines sont permanents. » Mohamed (dit « Momo ») donne des cours de kick-boxing. Il pointe aussi la diversité qui fait la force et l’identité du club. « Ce qui est génial ici, c’est qu’un adhérent peut toucher à différents styles de boxe tout au long de la semaine, s’enthousiasme-t-il. Lundi, du full contact, mardi, de la boxe thaï, mercredi, du K. One rules… Ensuite, libre à chacun de tout essayer ou de se concentrer sur la pratique qui lui plaît le plus. » Professeur d’hapkido, Nicolas Happ met en avant la stabilité du Shaolin, dont il est membre depuis trois saisons. « J’ai préféré rejoindre un club déjà solidement implanté plutôt que créer ma propre structure, avoue-t-il. C’est moins risqué et, en plus, l’atmosphère est géniale. »
« Continuer à se faire plaisir »
Il est 20h. Dans la salle principale, les karatékas sont partis et le cours de self défense débute. Du haut de ses 64 ans et de son expérience de 6e dan, Lilian Froidure est fier du chemin parcouru. Les années passent et, malgré des difficultés économiques et l’énergie qu’il requiert, le Shaolin est toujours là. « Mon vœu le plus cher ? Que notre aventure dure le plus longtemps possible, afin que l’on continue à se faire plaisir » souffle l’enseignant. Le tout, évidemment, en restant fidèle à cette diversité qui lui importe tant.
Raphaël Brosse / Sen No Sen
Jean-Luc Reichman, l’enfant du club
Parmi ses élèves, un anonyme qui deviendra l’animateur préféré des Français, Jean-Luc Reichmann. Leur rencontre, c’est son prof qui la raconte, avec pudeur. « J’ai rencontré Jean-Luc quand il avait 14 ans. Le « petit » Jean-Luc ? Il était déjà assez grand ! Il bougeait dans tous les sens, il adorait faire des blagues et amuser tout le monde » se souvient-il. « Il avait déjà la vocation pour son futur métier. Il respectait beaucoup le code du karaté mais il apportait sa joie de vivre, sa personnalité ». Ce qui ne l’empêchait pas d’être sérieux dès qu’il s’agissait de l’entraînement. Sérieux au point d’atteindre le niveau des demi-finales des championnats de France. Un karatéka bosseur élevé dans l’exigence de Lilian Froidure. Et puis, comme le dit le proverbe, chassez le naturel…il revient au galop. L’inné de Jean-Luc Reichmann, c’est l’animation. « C’était déjà son truc à l’époque, témoigne Lilian Froidure et je peux vous dire que, certaines fois, il nous a mis le feu, rit-il. Une fois, on était en route pour la coupe de France. On s’est arrêtés à Bordeaux, on a mangé dans un routier. Jean-Luc a réussi à faire rire toute la salle avec quelques blagues.». À l’époque, le futur Victor Sauvage anime des jeux sur les ondes d’une radio de la Ville Rose. Son entraîneur l’encourage sans relâche à poursuivre sa voie. « Il ne faut pas avoir de regrets… » Le message est clair. Dix ans de karaté ensemble. De ces échanges nait une amitié sincère, fidèle à l’épreuve des années, des heurts de la vie (Jean-Luc fut gravement blessé dans un accident de la circulation il y a plusieurs années), de la distance et de deux mondes qui n’ont pas grand-chose en commun en apparence. « J’habite à 300 mètres de chez ses parents, dès qu’il est de passage, on se voit ». Jean-Luc Reichmann garde aussi un lien avec son ancien club. Lorsque l’occasion se présente, il endosse le costume de présentateur pour le gala annuel du club, pour financer les déplacements des karatékas aux compétitions. Quand le Shaolin Toulouse se trouve en situation financière dangereuse, il n’hésite pas à faire monter son professeur à Paris, afin qu’il fasse la publicité du club dans son émission. Un geste dont Lilian Froidure lui est reconnaissant. « Il aide beaucoup le club mais il a toujours refusé de mélanger argent et amitié ».
[OR, Officiel Karaté Magazine]