Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Vendredi 8 juin, une date encadrée en rouge dans quelques agendas. C’est jour de passage du 6e dan à Paris, Porte de Chatillon, Dojo Awazu. L’aventure d’une vie, la démonstration symbolique d’un accomplissement, sous les yeux des hauts gradés français rassemblés pour l’occasion. Un défi à soi-même, et beaucoup de questions. Un passage de grade à ce niveau, qu’est-ce que c’est ? La réponse de trois grandes figures du karaté français, qui dessinent sans s’être concertés l’éternel cercle vertueux du Tai, du Gi et du Shin.
Dominique Valéra, 9e dan
« Le grade de la maîtrise »
« Notre état d’esprit à nous, jury de cet examen, c’est l’accompagnement. Nous voulons aider à la réussite. Mais elle appartient à celui qui présente ce grade. Le 6e dan n’est pas un examen comme les autres. À ce niveau, on passe un cap et cela doit se sentir. C’est un peu comme un ouvrier qui passe chef de chantier ! Ce qui doit être exprimé ? Un savoir, quel qu’il soit. On doit sentir qu’il y a une histoire, un parcours. Quand c’est le cas, souvent, cela se perçoit d’entrée, par l’attitude. Si j’ai un conseil pour les candidats potentiels, c’est le travail. Il faut au moins un an d’effort soutenu pour être à la hauteur de soi-même et du grade visé. Je le dis régulièrement : l’important, déjà, c’est de ne pas se dégrader soi-même, ce qui veut dire qu’il faut rester à la hauteur de son grade… et d’autant plus quand on prétend à en passer un supérieur. En vieillissant, on perd forcément de sa qualité physique, mais le 6e dan, c’est le grade de la maîtrise et il faut se montrer à la hauteur de cet enjeu. On ne demande pas de faire le grand écart ou un mawashi à deux mètres de haut, mais de montrer des qualités de vitesse et d’équilibre. C’est décevant de tomber sur des mémoires excellents… mais pas du tout défendus dans la pratique. Ce n’est pas une course d’endurance, nous prenons le temps qu’il faut pour ce passage important, mais il faut être capable d’être présent physiquement de bout en bout et de démontrer ce dont on parle. Dans la préparation, je vous suggère de vous faire conseiller par un haut-gradé. Si vos jambes sont un peu moins bonnes qu’avant, sortez de l’ordinaire avec des techniques en appui bien exécutées. Il est dommage de se rendre compte seulement le jour de l’examen qu’on n’est pas au niveau de l’exigence. »
« Il s’agit de l’aboutissement de décennies de travail, généralement dans un style que l’on a approfondi toute sa vie. Ce style, on veut le voir ! Si le candidat se contente d’une présentation plate, sans relief, il passe à côté d’un point essentiel. » Patrice Belrhiti
Patrice Belrhiti, 8e dan
« Exprimer son style »
« Le 6e dan, c’est un enjeu qu’il faut préparer dès la fin du 5e dan, sur lequel on a démontré son expertise technique. Cela se prépare comme une compétition sur le plan mental et physique. Il faut aussi avoir une claire conscience de ce qui est attendu par le jury. Il s’agit de l’aboutissement de décennies de travail, généralement dans un style que l’on a approfondi toute sa vie. Ce style, on veut le voir ! Si le candidat se contente d’une présentation plate, sans relief, il passe à côté d’un point essentiel, qui est celui du devoir de représentation et de transmission. Il faut montrer autre chose que les autres, ce que l’on a à faire passer à la génération suivante. Chaque style a ses richesses. Pour moi, c’est intéressant que le candidat prépare un kihon avec un panachage de toutes les techniques du style. Si il ne fait pas cet effort, qui d’autre va le faire ? C’est désormais sa responsabilité de maintenir vivant le style qu’on lui a enseigné. Et, idéalement, il faut aussi qu’on perçoive sa singularité dans le style qu’il représente, qu’on le découvre lui, à travers cette démonstration. Continuer, c’est croire. Croire en soi, en ce que l’on fait. On doit sentir cette solidité préservée sur des années de pratique. »
Bernard Blicki, 9e dan
« Une recherche personnelle »
« Le 6e dan est moins un examen qu’une démonstration. Celui d’un parcours, mais aussi d’un passage. Des premières motivations – la pédagogie du premier professeur, la convivialité du club – jusqu’au jour où on le reçoit, on a envie de percevoir pourquoi le candidat est là. Je ne rappelle pas ici la symbolique des grades, mais il faut bien mesurer que ce sixième dan exprime une vraie rupture, un autre niveau de conscience et d’expression de la technique par rapport aux cinq grades précédents. C’est ce qu’exprime symboliquement le changement de couleur de ceinture. Cette maturité nouvelle, elle doit se ressentir. À partir du moment où vous aurez ceint la rouge et blanche, vous serez vu différemment. Il est dommage que, parfois, on ne voit pas cette différence entre la démonstration de 5e dan et celle de 6e dan alors qu’on a eu plusieurs années de gestation pour s’y préparer. On n’attend pas d’un 6e dan qu’il travaille comme un jeune homme, avec le risque qu’il se montre maladroit, mais qu’il montre justement comment il a revisité les bases de sa discipline, précisé sa réflexion et son approfondissement pendant les six ans minimum qui le séparent de son examen de 5e dan. Le 6e dan est une recherche personnelle qui doit exprimer aussi la maîtrise mentale. La présence, le charisme, la confiance en soi de celui qui assume d’être considéré désormais comme un leader technique et un exemple. »
Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Emmanuel Charlot