Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Rendez-vous annuel essentiel pour resserrer les liens de la famille du karaté autour de l’idéal du grade, la Cérémonie des Vœux 2017 avait cette année un parfum particulier. Mais ce sont toujours les maîtres-mots de la pratique et de l’engagement qui animent les esprits des hauts-gradés. Rencontres avec quelques-uns de ceux qui ont été honorés lors de cette Cérémonie des Vœux. Leurs impressions et leurs mots sur des parcours de vie.
Monté à la tribune avec le sourire, le Président Francis Didier n’a pas fait attendre son public. Ce fut pratiquement sa première phrase : « 2017, l’année où le karaté est sport olympique ». L’ovation debout fut longue et chaleureuse.
Ce fut l’occasion pour Francis Didier de rappeler le lent processus, l’extrême patience qu’il aura fallu pour obtenir cette réussite. « Le temps du CIO n’est pas le nôtre ». Et il confiait avec humour qu’il avait appris « à ouvrir des portes qui se referment sur vous ». Rappelant les étapes, expliquant les prises de conscience successives, à se faire apprécier d’une institution comme le CIO, il rendait aussi hommage à la cohésion du groupe japonais et à sa détermination à travailler avec lui pour obtenir cette reconnaissance olympique, ce qui avait tout changé. « Cette fois, les Japonais l’ont voulu ».
Il soulignait aussi que, si ce label olympique était une mise en lumière formidable, un véritable rayonnement dont il fallait profiter, ce n’était en aucun cas une révolution du karaté, et de la pluralité des styles chère à la FFKaraté. « L’essentiel est ailleurs », rappelait-il à tous ceux qui, ce soir-là étaient rassemblés, témoins et acteurs centraux de cet essentiel, qui fonde le karaté français à travers le temps et les générations.
PATRICK ATTIA, 59 ans, 7e dan
Ecole Parisienne de Karaté / Sporting Karaté Drancéen
Patrick Attia
« On continue à œuvrer pour le karaté »
« Atteindre un tel grade, c’est un sentiment mitigé si j’ose dire. Parce que c’est à la fois un début et une fin. Le début d’une pratique plus calme, plus intérieure… mais aussi la fin du karaté de ma jeunesse, le karaté dynamique que j’ai toujours plaisir à pratiquer le plus possible. Je m’entraîne tout le temps, autant que je peux. À moi, j’ai l’impression que cela me dit surtout que j’ai atteint un certain âge ! Mais je vois que cela fait plaisir autour de moi plus qu’à moi, et c’est bien. C’est une fierté pour la famille, pour les élèves et moi, ça m’oblige.
Et quand je suis ici et que je retrouve ceux qui, quand j’avais 14-15 ans m’ont donné l’envie de pratiquer le karaté, je suis heureux. J’admirais Valéra quand j’avais cet âge, et je l’admire toujours !
Ce passage a été plein de surprise. Avec mon partenaire Daniel Serfati nous avons fait notre démonstration… et je me suis retrouvé quelques jours plus tard à faire le partenaire pour Jacques Tapol qui en cherchait un pour faire une démonstration pour le « Kagami Biraki » de la Fédération de Judo. Tous ces hauts gradés présents, garder sa posture en encaissant les mae-geri de Jacques, je m’en souviendrai ! Voilà, ce passage de grade, c’est aussi ça : quinze jours de bonnes choses, comme la médaille que m’a remis la Mairie du 9e arrondissement. Le 7e dan, c’est beaucoup de reconnaissance et de joie. Ensuite, on retourne chez soi et on s’entraîne. On continue à œuvrer pour le karaté français.»
Sadek Mazri
« Rendre la locomotive plus puissante »
« Le passage, la rupture pour moi, c’est le 7e dan. Après, on n’a plus vraiment d’attente, quelque chose est accompli. Je dirais que ce haut-grade, c’est une reconnaissance différente. On devient une sorte d’ambassadeur du karaté français, de notre discipline, on représente un groupe et sa philosophie, on ne peut plus faire n’importe quoi. Huit, c’est un beau chiffre, que j’ai l’impression d’avoir croisé souvent dans ma vie, un chiffre symbolique. C’est le signe de l’horizon, mais en vertical, l’accélération dans un cheminement. Une invitation forte à développer un art martial profond, la dimension spirituelle de ta pratique. Cela te dépasse un peu, te submerge, ou peut-être te transcende. En tout cas, c’est plus grand que toi ! Parce que pour nous, après, il reste à ne pas bouder notre plaisir et à rentrer chez nous comme on est. Peut-être tout de même un peu plus puissant comme locomotive, parce que ce qui nous touche, touche aussi les élèves.»
SADEK MAZRI, 64 ans, 8e dan
Dojo 5 (Paris Ve)
SERGE SERFATI, 61 ans, 8e dan
Institut des Arts Martiaux (Paris XIIIe)
Serge Serfati
« Permettre aux suivants de continuer à rêver »
« Un grade, ce n’est jamais anodin. C’est au moins le signe que ce que vous avez fait a été vu et entendu. Mais aussi que tu es attendu. C’est une reconnaissance et la responsabilité qui va avec. Pour moi, c’est aussi un message très fort qui raisonne comme une obligation d’amélioration. Amélioration générale dans ta vie d’homme et de citoyen, nécessité d’engagement et de responsabilité, nécessité de se situer dans tout ce qu’on fait dans la sphère de l’élévation spirituelle, dans le rapport qu’on a avec soi-même, avec les autres. Plus jeune, ce sont tes capacités de combattant, puis ce que tu peux apporter techniquement et enfin c’est cette dimension qui devient essentielle. En réfléchissant, je me dis que les hauts grades, c’est l’occasion, le symbole si on veut, d’une fidélité affûtée à soi-même. Sans les arts martiaux, je serai peut-être mort ou en prison. On est tous de passage sur le terrain. Pour laisser une trace, il faut aider ceux qui suivent à avoir la passion, à rêver comme nous l’avons fait. Trouver les mots et les attitudes, être exemplaire, pour qu’ils puissent aussi continuer à rêver et à s’accomplir à travers ce rêve. Je pourrais dire que ce 8e dan, c’est un grade d’authenticité. Il dit quelque chose comme : « Ce dont il nous parle, il l’a vécu ».
Francis Didier m’a dit : « Te voilà 8e dan, qu’est-ce tu peux m’en dire en une phrase ? ». Ce qui m’est venu, c’est : « Il faut tout recommencer ». Je ne sais pas très bien ce que je voulais dire, je n’aime pas tellement l’idée de boucler la boucle. Je crois que l’on continue seulement, mais peut-être en entrant dans une autre voie, une voie de sagesse, de paix durable, dans les choses que l’on fait. Rester en harmonie, mettre au diapason ce que l’on espère, ce que l’on croit. Tenir la note comme disent les musiciens, rester en harmonie avec le rythme sonore.»
Marc Pyrée
« J’ai eu très tôt envie d’apprendre et de transmettre »
« Ce sont des reconnaissances après lesquelles je n’ai jamais couru, même si mon Sensei me pousse. Mais cela fait plaisir évidemment. Et puis, la pratique c’est quelque chose d’intérieur, le grade permet de voir son propre investissement de l’extérieur et ça, c’est sans doute utile. Même si je n’en parle pas beaucoup, alors mes élèves ne sont pas au courant. J’aime le karaté pour le karaté. Je pratique au moins deux fois par semaine pour moi et ce sont à chaque fois des parties de plaisir. Après on mange ensemble… parce qu’on a un certain âge ! Très tôt, j’ai eu envie d’apprendre et de transmettre, c’est pour cela que j’ai fait du karaté et que je continue. Le 8e dan ? Je suis jeune ! Et vu le temps que je mets à passer les grades, ce n’est pas demain. Mais la cérémonie des grades rassemble tout ça : ceux d’avant, ceux d’après, tout le monde ensemble, c’est bien.»
MARC PYRÉE, 57 ans, 7e dan
Karaté Club Aubervilliers
DO VINH SEN, 65 ans, 7e Dang
Enseigne les arts martiaux vietnamiens dans toute la France
Do Vinh Sen
« Mission accomplie »
« Etre honoré d’un grade ici, c’est très plaisant. Bien sûr, nous sommes issus d’arts martiaux différents, eux-mêmes issus de cultures différentes, mais la pratique, c’est un royaume sans frontière. C’est la première fois que je viens et je me sens honoré et aussi plein de curiosité pour tous les experts présents de tous les styles de karaté et des disciplines associées. Le grade, pour moi, exprime le nombre d’années de pratique sérieuse. Moi, cela fait 53 ans ! C’est la représentation d’un mérite. Une façon de dire : mission accomplie. »
Vik Bhadye
« Une aide pour faire adhérer »
« Je suis né à l’Ile Maurice et j’ai commencé les arts martiaux à 10 ans en France, le karaté et le judo, avant de découvrir le Nihon Tai Jistu de l’école Minoru Mochizuki, Jim Alcheik et désormais Roland Hernaez. Être invité à cette Cérémonie des Vœux, c’est la reconnaissance de cette longue histoire autant que de mes trente ans de pratique personnelle. C’est aussi la reconnaissance de ce que j’ai pu accomplir en métropole, comme dans les Îles en travaillant au développement de ce patrimoine technique dans l’Océan Indien, à La Réunion, Madagascar, l’Île Maurice et bientôt aussi en Guyane. Moi, je n’ai pas l’impression de faire quelque chose d’énorme, ni autre chose que de partager une passion, mais le grade change un peu le regard des autres. C’est une aide pour crédibiliser ce que l’on propose et faire adhérer. En symbolisant ce chemin parcouru, il dit que nous ne sommes pas là par hasard. La ceinture dit que nous avons atteint la maîtrise et cela encourage et donne confiance aux gens.»
VIK BHADYE, 50 ans, 6e dan
Budo Club de Montigny-les-Cormeilles
Emmanuel Charlot