Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Enseigner tout en divertissant, donner du plaisir tout en faisant progresser… En tant qu’art martial, le karaté se veut également garant de valeurs humaines et citoyennes, sans pour autant perdre le côté ludique qui fait sa force auprès des plus jeunes. Une savante alchimie pour une discipline qui se doit d’être dans l’air du temps pour fidéliser son public.
« Se réaliser avec les arts martiaux ». Si ce slogan de la FFKDA parle à tous les karatékas sans exception, quels que soient leur âge, leur expérience, leur discipline ou leur niveau de pratique, il colle tout particulièrement aux aspirations des parents qui amènent leur progéniture à la rencontre du karaté. Une rencontre déterminante qui peut offrir un cheminement à suivre tout au long de sa vie, que ce soit au travers d’une pratique loisir régulière, d’une vocation trouvée dans le professorat et l’arbitrage, mais aussi, pour certains d’entre eux, par le biais de carrières d’athlètes de haut niveau, à porter fier et haut les couleurs du karaté national. À condition que le courant passe entre le karaté et l’enfant, plus que jamais assailli par l’offre sportive. Chaque discipline est désormais consciente de l’intérêt d’attirer dans ses filets les grands de demain, que ce soit pour ses seules statistiques ou ses retombées à plus ou moins long terme. À cela s’ajoutent également les nouvelles technologies, dorénavant rivales à part entière de la pratique sportive. Qui sont les moins de douze ans de 2014 ? Comment satisfaire au mieux leurs besoins et leurs demandes ? Qu’est-ce que le karaté peut leur apporter de plus que le football, la natation, le cyclisme ou les jeux vidéos ? Comment leur permettre d’accéder à l’apprentissage d’une discipline où cohabitent éducation physique, performance, prévention santé et cadre de vie où existent des règles ? Avec quels outils au niveau national et quelles initiatives au niveau local ? Quelle place doit avoir la compétition pour ces jeunes qui appréhendent tout juste le vivre ensemble ?
© DR
Jeu, transmission et transition
Autant de questions qui font de la problématique du karaté enfant une équation complexe à plusieurs inconnues, dont les premières tentatives de résolution ne datent pas d’hier et dont les derniers bras de levier se chercheront encore demain. L’engagement des dirigeants, passés et actuels, se veut à la hauteur de cet enjeu de taille, représentant en moyenne un tiers des licenciés des quatorze fédérations nationales comptant le plus d’adhérents (voir par ailleurs). Une frange importante du public cible pour laquelle une adaptation stricto sensu du modèle du karaté pratiqué par les adultes serait fatalement vouée à l’échec. Rien que par le fait du développement vertigineux connu par l’enfant entre son arrivée dans le dojo, possible dès l’âge de quatre ans, et son intégration progressive dans le monde seniors, acquise à partir de dix-huit ans mais initiée dès les années minimes et cadets.
De la recherche initiale d’équilibre, de coordination, de latéralisation, découlera vite l’appréhension de l’espace, la quête de la bonne respiration et de la souplesse, mais aussi le respect des règles, des autres et du matériel ou encore l’acquisition des codes d’une pratique qu’il va progressivement faire sienne et qu’il revendiquera autour de lui. Pour que cette transmission soit la plus efficiente, il en incombe à la Fédération de développer un cadre d’enseignement qui, dans le respect des besoins fondamentaux des enfants que sont l’activité et le jeu, devra à la fois comprendre des volets ludique, méthodologique et pédagogique pour que ses professeurs puissent tout mettre en œuvre pour valoriser l’enfant et le voir s’épanouir sur le tapis au fils des entraînements et, dans la mesure du possible, au fil des saisons. Pour une transition dans ce cas facilitée au tournant des années pupilles et benjamins lors de l’entrée dans l’adolescence. C’est tout le sens du vaste plan d’actions qui voit actuellement le jour sous l’impulsion du DTN Patrick Rosso et que nous vous invitons à découvrir, à travers ses différents axes, aussi indépendants que complémentaires, et ses protagonistes dans les pages qui suivent. À vous de jouer !
Selon l’adage consacré, l’appétit vient en mangeant. Il en va de même en karaté, où les jeunes sont de plus en plus demandeurs.
1. ANIMATIONS
Une nouvelle fois sur le podium du classement des nations lors des derniers championnats du monde, deux ans après la consécration parisienne, l’équipe de France fait rêver.
Pour présenter cette vitrine clinquante au plus grand nombre, et ainsi promouvoir l’activité, la « Tournée des Champions » est sortie de terre la saison dernière. Aujourd’hui rebaptisée « Tournée de l’équipe de France de karaté », elle se veut encore plus proche des jeunes. « On a la chance d’avoir bien su faire le transfert de générations au niveau des résultats sportifs pour toujours maintenir la France au sommet, développe Thierry Masci, instigateur du projet. Ce qui explique, entre autres, le succès de l’expérience de la “Tournée des Champions” l’an passé. On a pu apprécier l’attrait des plus jeunes envers nos champions, qui sont de leur côté heureux de pouvoir transmettre dans la convivialité. Il s’agit là d’animation pure, le côté pédagogique demeurant en retrait du fait de l’énorme public qui se déplace sur chaque rassemblement. Sur les six rendez-vous passés, nous avons tout de même réuni près de 2 000 enfants ! » Des moments d’échange qui en mettent pleins les yeux aux jeunes, à travers les diverses démonstrations offertes par les champions et les différentes activités mises en place le temps d’un après-midi à l’issue duquel chacun repart heureux, avec photos et dédicaces de leurs idoles, mais aussi avec le doux rêve de prendre un jour leur relève.
Le projet fédéral avec Jonathan Maruani
« Organiser les bonnes pratiques »
Coordinateur du projet de développement du karaté enfant lancé en cette rentrée par la FFKDA, le médaillé européen et mondial en kata par équipes entre 2009 et 2012 détaille les grandes lignes de ce chantier d’envergure qui va jeter les bases du karaté de demain
Le constat de base
« En analysant l’évolution statistique de nos licenciés sur les six dernières années, on a pu mettre en évidence deux tendances principales. De mini-poussins à pupilles, on observe une forte fidélisation, couplée d’une attirance qui les amène de plus en plus nombreux dans lesclubs. Preuve que le projet pédagogique actuellement en place pour cette population est efficace. En revanche, on note une très nette chute du nombre de pratiquants dans la catégorie benjamins – Pour la saison 2013/2014, ils étaient 22 372 contre 27 290 pupilles –, qui se manifeste à nouveau lors du passage de benjamins à minimes – 17 919 minimes l’an passé –. Ce qui induit que cette tranche d’âge n’adhère pas au projet fédéral. Il y a donc une vraie distinction à faire entre les deux ensembles, et un tournant essentiel à prendre avec les néo- collégiens que l’on ne doit pas oublier. À nous de trouver l’équivalent de la mallette pédagogique et des nombreux projets pour les maternelles, parfaitement adaptés aux 4-9 ans, pour continuer d’intéresser ce véritable vivier au delà de cette phase de découverte. »
Le fil conducteur
« C’est un projet global qui en comprend en définitive quatre sous-jacents, autonomes les uns par rapport aux autres mais parfaitement complémentaires. Chacun va s’appuyer sur les bonnes pratiques existantes, qu’il va falloir organiser et coordonner à l’échelle nationale.
• Il y a tout d’abord un gros travail à mener dans la formation des professeurs, pour leur fournir un bagage pédagogique qui leur permettent de répondre efficacement aux besoins et aux demandes de toutes les catégories d’âge.
• Nous devons par ailleurs nous ouvrir pour intensifier nos relations avec les partenaires et les acteurs extérieurs. Qui fait quoi autour de nous ? Comment ? Ce sont de nombreuses pistes à explorer afin de trouver de nouvelles orientations possibles. Être capable d’offrir la pratique du karaté clé en main aux éducateurs pour les temps périscolaires des maternelles et des primaires s’avère notamment constituer une clé fondamentale à ajouter au plus vite à notre trousseau.
• En ce qui concerne la compétition, la réglementation est appelée à évoluer. Nous devons continuer de sortir du système des éliminations directes, tout en multipliant les manifestations d’animation sportive, comme les Opens des ligues et départements, où les pratiquants viennent prendre du plaisir sans chercher à gagner à tout prix. Cela va permettre de concerner l’immense majorité du public.
• En parallèle, des actions ponctuelles doivent fleurir sur tout le territoire et tout au long de la saison. Cela va des stages d’animations à la toute nouvelle Tournée de l’équipe de France de karaté en passant par toutes les initiatives locales, qui vont assurer la promotion d’un karaté pour tous. »
Au quotidien avec Philippe Schweitzer
« S’appuyer sur l’imaginaire et sur le jeu »
Directeur technique du comité Rhône, professeur au KC Villefranche-sur-Saône, 100 enfants sur les 180 licenciés
« Pour les enfants qui débutent dans le karaté, le côté martial peut faire peur. Il faut donc être à l’écoute afin de se mettre dans leur peau et favoriser les échanges. Personnellement, je m’applique à mettre beaucoup d’humour dans mes séances, pour essayer d’être leur rayon de soleil souriant qui va leur permettre de s’épanouir sur le tapis. Je ne suis pas leur père, ni leur mère, mais seulement leur confident. Je suis là pour eux, en essayant de les mettre en valeur par un discours positif, sans jamais les rabaisser et leur crier dessus. S’ils n’ont pas la position parfaite, ce n’est pas grave. Ce n’est pas à cet âge qu’il faut les faire travailler dans l’optique de devenir des champions. Ils ont besoin de sérénité, pour qu’ils choisissent eux-mêmes leur voie. Souvent, je m’appuie sur des mises en scène, des parcours imaginaires et des histoires qui donnent un côté théâtral à la séance. Tous les ans, on met également en place des démonstrations libres, par deux ou par trois, que les jeunes préparent et mettent en place tous seuls, avec maquillages et déguisements. En terme de pédagogie, ils m’apprennent beaucoup et je m’éclate comme un fou à leur contact. Et il m’arrive même fréquemment de proposer des exercices initialement destinés aux enfants à mes adultes, qui tombent le masque de leurs journées et sont toujours contents de jouer. »
© DR
2. COMPETITIONS
L’arrivée de la compétition chez les jeunes n’a pas fait que des heureux. Quand on n’a pas dix ans, l’apprentissage de la défaite n’est pas aisé, l’excès de pression peuvent annihiler tout plaisir et les longs déplacements pour quelques minutes d’action peuvent frustrer à la fois les pratiquants et les parents. « La compétition sportive en karaté ne concerne finalement qu’une partie infime de nos adhérents, analyse Guy Berger, fondateur du Samouraï Toulon Var Karaté et véritable “Géo Trouvetou” de la manifestation amicale et ludique pour toutes les catégories. En dehors de la pratique au sein du club, déjà très riche, la majorité de nos adhérents n’a donc jamais l’occasion de se confronter amicalement. Et lorsqu’ils participent aux rencontres officielles, cela tourne court pour la plupart d’entre eux. Ce qui nuit à la motivation et à la fidélité. En se promenant sur les stades et dans les salles de sport, on peut se rendre compte de la multiplication du nombre de matches disputés en une journée par les jeunes rugbymen ou escrimeurs par exemple. Ce fut la base de notre réflexion. » Aujourd’hui, interclubs, ateliers, Opens des ligues et des départements sont donc disséminés dans le calendrier pour épauler la pratique compétitive grâce à un système sans enjeu, où l’épanouissement et le plaisir sont les maîtres-mots, en individuel comme en équipes. « Si l’enfant repart heureux, en s’étant éclaté, le tour est joué, résume Thierry Masci. Pour cela, on évite de rester enfermé dans le carcan de la réglementation, avec un arbitrage plus ouvert pour laisser les corps s’exprimer librement. Ce qui nous offre un niveau intéressant et attractif, avec une recherche dans la confrontation loin de nos seuls gyaku-tsuki de l’époque (rires). »
Au quotidien avec Emmanuel Lancia
« Ne surtout pas les forcer »
Professeur de l’AS Fontaine (Isère), 40 enfants pour 120 licenciés
« Ces dernières années, on a pu constater une évolution de l’assiduité du public enfants. Alors qu’ils venaient la plupart du temps pour plusieurs années par le passé, beaucoup ne restent désormais qu’une seule saison, voire même avec l’envie d’autre chose dès la période de Noël. Quand la motivation baisse, on repart davantage sur du ludique. Cela reste tout de même du karaté. Pour diversifier nos séances et éviter de tourner en rond, on cherche d’ailleurs sans cesse à développer notre programme pédagogique. S’il s’appuie forcément sur le matériel proposé par la fédération, on va aussi chercher du côté d’autres disciplines, comme l’athlétisme par exemple, pour récupérer des exercices ludiques pour travailler tantôt la tonicité, tantôt les réflexes, pour développer l’idée de préparation physique sous forme de jeux. À la fin de chaque échauffement, on met en place des épreuves par équipes, très stimulantes, où les enfants vont être comme des fous pour se donner à fond sans trop de pression. On leur organise également un maximum de compétitions en interne, pour leur faire prendre l’habitude et leur montrer que ce n’est pas si terrible. Notre discours est clair : “Donnez le meilleur et sachez que ce n’est pas toujours le meilleur qui gagne. Les arbitres évaluent des choses que vous ne voyez pas mais leurs décisions ne sont jamais prises contre vous.” On ne cherche surtout pas à les forcer, car le karaté n’est pas que la compétition. On peut apprendre tout autant sans. »
Au quotidien avec Pierre Damoiseau
« un enseignement grand ouvert »
Directeur technique de la ligue d’Auvergne, professeur de l’École Clermontoise de Karaté, 210 enfants pour 350 licenciés.
« En marge des premières commissions nationales dédiées aux enfants au sein de la fédération dans les années 1990, mes recherches personnelles ont particulièrement porté sur les différents stades de développement de l’enfant. Ce sur quoi j’ai toujours calqué mon enseignement. En tant qu’éducateurs possédant cet outil fabuleux qu’est le karaté, nous sommes juste là pour aider l’enfant à grandir à son rythme. Nous avons la chance de pratiquer une discipline complète, qui permet de développer tous les segments. Rapport à l’autre et sociabilisation, psycho-motricité et latéralisation,… À leur âge, les enfants peuvent intégrer une quantité très importante d’informations. Il est donc essentiel de leur proposer un enseignement grand ouvert, pour leur offrir un maximum de développements et d’acquisitions. En les contraignant dans une structure corporelle trop fermée, on risque de leur boucher des voies. Cela ne sert à rien d’abuser de répétitions rigoureuses de techniques dans le seul but d’obtenir des résultats, qui satisferont certes le professeur, mais au détriment de l’évolution de l’enfant. Chez les 4-8 ans, il faut réussir à les mettre dans leur monde, pour qu’ils fassent du karaté sans qu’ils s’en rendent vraiment compte. Ce n’est que par la suite que l’opposition va arriver, quand les enfants commencent à se juger et à se jauger par rapport à leurs camarades. »
LE CHALLENGE GUY BERGER À LA LOUPE
Mise en place rapide, jusqu’à 10 rencontres en moins d’une heure, proximité géographique, capacité d’accueil importante, adaptation pour toutes les catégories, … Le Challenge Guy Berger, l’une des animations phares reprises par la FFKDA, a tout pour plaire.
Déroulement
3. STAGES
Clé de voûte du karaté de demain, la transmission du savoir est fondamentale. Dans les clubs au quotidien bien sûr, mais également sur des rassemblements pédagogiques qui permettent aux éducateurs d’évoluer en même temps que leurs élèves. « En reprenant le modèle des stages “experts”, l’idée est de se mettre en totale interaction avec les professeurs et éducateurs locaux pour faire prendre goût au karaté d’une autre manière, précise Thierry Masci. DTN adjoint qui va battre la campagne accompagné de cadres d’État et de compétiteurs internationaux. En transférant les nouvelles techniques d’entraînement, approuvées au haut niveau, vers ce jeune public, on va créer du lien entre tout le monde et ainsi donner des idées aux professeurs qui vont profiter de notre expérience. Dans cette même veine, notre volonté est d’inscrire ces stages dans le système de la formation, pour que ceux qui aspirent à enseigner s’imprègnent de notre message et récupèrent les outils que l’on va délivrer. » Un travail d’animation et de pédagogie dès à présent à disposition des ligues et des départements qui, le temps d’une séance de trois heures, va permettre d’harmoniser les pratiques sur tout le territoire. « Un véritable challenge pour nous qui allons arriver sans connaître le public et leurs interrogations, prévoit Thierry Masci. Toutes les forces vives seront sollicitées pour nous aider à nous adapter et véhiculer les principes du karaté que sont la rigueur, la convivialité et le respect. Car, malgré tout, le karaté est un sport d’équipe, qui permet à tous de s’exprimer des plus introvertis aux plus actifs, comme dans la vie de tous les jours. »
Au quotidien avec Jonathan Brigny
« Les responsabiliser »
Professeur référent des cours débutants.
« Il est vrai qu’en étant plus proche d’eux en termes d’âge, on observe un regain de motivation. À chaque séance, je prends par exemple le temps de combattre avec les jeunes, qui adorent ça. Le spectaculaire attire forcément, c’est pourquoi nous mettons à disposition de nos adhérents notre équipe kata, qui tourne bien en compétition, pour des bunkaï impressionnants à voir pour les petits. Par la même occasion, on leur présente un autre aspect de la discipline, avec l’ambition de les responsabiliser et de les faire mûrir afin qu’ils s’épanouissent quel que soit le chemin emprunté, du côté de la compétition, des grades ou du loisirs. »
Au quotidien avec François Fénelon
« Prendre le temps de discuter »
Directeur Technique de la ligue de Normandie, professeur au Karaté Evreux Navarre (Eure), 40 enfants pour 85 licenciés.
« Chez nous, les enfants doivent avoir la banane du début à la fin. Pour cela, on prend le temps de discuter avant et après les séances, avec les parents mais aussi avec les jeunes. Ainsi, les parents savent où en sont leurs enfants et peuvent, en échange, nous évoquer certains problèmes ou contextes qui nous permettent d’aborder les choses d’une autre façon. Régulièrement, on fait même monter la famille ensemble sur le tapis, ce qui est très distrayant pour tout le monde. Par ailleurs, on met en place des entraînements hétérogènes au niveau de l’âge des participants, avec des adolescents référents envoyés par le comité départemental pour présenter des démonstrations aux plus petits, qui reçoivent alors des informations visuelles qu’ils vont chercher à copier. Pour les enfants, j’estime qu’il est plus agréable de voir un jeune dynamique, qui bouge bien, qui offre une esthétique à la pratique. »
la rédaction