Emily Thouy
« Personne n’est intouchable »Trois mois après avoir été sacrée championne du monde des moins de 55kg, Emily Thouy revient sur sa folle fin d’année 2016 et se projette sur les futures échéances. La jeune femme se confie sans détour. Hajimé.
Emily, que gardes-tu comme souvenir de cette fameuse journée du 29 octobre dernier ?
C’est simple, j’ai fait championne du monde (rires). La journée a été chargée en émotions. Pour être sincère, je n’ai pas abordé cette compétition comme un championnat du monde. Je voulais juste gagner et basta. Je faisais combat après combat pour ne pas ajouter de la pression inutile. Même en finale, je ne me suis pas dit « C’est la finale, attention ». Le seul détail qui a interféré, mais de manière positive, c’est que j’ai repensé à mon résultat deux ans auparavant (Défaite contre l’Italienne Sara Cardin, NDLR). Mais je n’avais pas de doutes.
Qu’as-tu ressenti lorsque tu es montée sur le podium ?
Un trop plein d’émotions, je n’ai pas pu me contenir. À ce moment-là, j’ai repensé à tous les sacrifices que j’ai dû faire pour en arriver là. Je ne sais pas ce que les gens perçoivent de l’extérieur, mais le chemin a été long et tout revient à l’esprit dans un moment comme celui-ci : ma famille que j’ai dû mettre entre parenthèses pour pouvoir aller en équipe de France, en stage, m’entraîner. Toutes ces heures d’entraînement passées sur les tatamis à en prendre plein la figure alors qu’on est au bord de la rupture. Sans oublier les études avec lesquelles il faut jongler pour pouvoir les réussir. Quand on monte sur ce podium, toute la pression retombe d’un coup. Je me suis dit « C’est bon, tu l’as fait ! ».
« Nous sommes vraiment un groupe et dès que l’un de nous est au pied du mur, les autres sont toujours là pour l’aider, voire lui faire sortir la tête de l’eau quand c’est difficile.»
Justement, à quel moment as-tu vraiment réalisé ?
En sortant de la finale, j’ai eu l’impression d’avoir passé un cap. J’ai fondu en larmes parce que j’ai vu mon entraîneur, Yann Baillon, lui aussi très ému. À nous deux, nous avons réalisé quelque chose d’exceptionnel, je l’ai tout de suite compris… sans trop savoir ce que c’était en fait. Je n’ai vraiment assimilé que j’étais devenue championne du monde que deux ou trois semaines plus tard.
Tu es toujours sur ton petit nuage ?
J’ai été sur un petit nuage pendant trois mois mais, maintenant, je pense qu’il est temps d’en descendre. (Rires)
Qu’est-ce que ce titre a changé dans ta vie quotidienne ?
J’ai eu beaucoup de sollicitations médiatiques, mais ce qui compte, c’est ce rêve de gamine que j’ai accompli. Et puis, j’ai du vite relativiser puisque je me suis présentée au concours de professorat de sport la semaine suivante.
Un concours que tu as réussi. Pas mal cette année 2016…
Je pense que j’ai été très bien entourée. J’ai une famille au top, un coach au top, des amis géniaux, des partenaires d’entraînements formidables. Nous sommes vraiment un groupe et dès que l’un de nous est au pied du mur, les autres sont toujours là pour l’aider, voire lui faire sortir la tête de l’eau quand c’est difficile. C’est une grande famille sur qui je peux compter. C’est quelque chose de précieux dans une vie.
Quels sont tes objectifs maintenant ? Difficile de faire mieux, non ?
Oui, ça va être compliqué de faire mieux, mais je peux gagner un deuxième titre mondial ! Il se passera beaucoup de choses d’ici 2018. Dans quelques jours, c’est l’Open de Paris et c’est important pour moi de briller devant le public français. D’autant qu’avec l’échec aux championnats d’Europe de Montpellier l’année dernière, je suis remontée à bloc ! J’avais raté cette échéance et je me suis détestée pour ça. Il y aura ce titre européen à aller chercher en Turquie ensuite. Quoiqu’il arrive j’y vais pour monter sur la plus haute marche.
Et les Jeux olympiques de Tokyo ? Sont-ils déjà présents dans un coin de ta tête ?
Bien évidemment, j’y pense. Maintenant, je préfère réfléchir en terme de progression pour prétendre à une médaille là-bas. Pour tout athlète, les JO sont un rêve. Je vais essayer d’atteindre un niveau supérieur parce que selon moi, à Tokyo, il faudra être bien meilleure qu’en octobre pour gagner le titre. Le chemin est encore long mais, si j’y vais, c’est pour l’or et rien d’autre.
T’attends tu à un accueil spécial à Coubertin lors de cet Open de Paris ?
J’ai besoin de reprendre confiance devant mon public. Dans tous les cas, je vais essayer de faire abstraction de l’engouement et de l’enjeu. Le public me donne une force supplémentaire, me fait beaucoup de bien, je le sais, donc je ne vais pas l’oublier, même si j’aime aussi rester dans ma bulle durant une compétition, ne pas me disperser.
Tu évoquais Montpellier. Te sens-tu revancharde par rapport à ton échec aux championnats d’Europe ?
Je déteste perdre parce que je crois que j’ai beaucoup de fierté. Je pars du principe que rien n’est jamais gagné d’avance et maintenant j’ai compris certaines choses, j’ai tiré des leçons de ce revers important dans ma carrière. Je me suis remise en question après cet échec. C’était une période un peu compliquée. J’ai retrouvé cet esprit de la gagne dans le sens où que je suis sur le tapis, je ne vois personne d’autre que mon adversaire.
Comment fait-on pour se remotiver une fois le sommet atteint ?
Il faut être honnête : la machine doit se remettre en marche parce que ce n’est pas simple de devoir se refaire mal aux entraînements après avoir été au sommet. Je sais que je suis meilleure dans la difficulté. Je veux juste me donner les moyens de rester au sommet et cela passe par la régularité du travail.
Les jeunes, on l’a encore vu à la coupe de France, frappent avec talent à la porte de ta catégorie. Comment vois-tu cette nouvelle vague d’adversaires ?
C’est une très bonne nouvelle ! Nous avons besoin de ce haut niveau en France. Cette concurrence va me faire progresser et elles aussi. Peut-être que l’une d’entre elles va me prendre ma place. Personne n’est intouchable. Mais il faudra venir me chercher, il faudra en vouloir, parce que je ne lâcherai rien. Je les connais ces filles, je m’entrainais par exemple avec Sabrina Ouihaddadene étant plus jeune donc ça me fait plaisir de voir qu’elle réussit elle aussi. Nous sommes toutes sur la ligne de départ, comme quand on appelle les combattants par catégorie au début d’une compétition. Que la meilleure gagne !
Propos recueillis par Quentin Mauclaire / Sen No Sen