Romain Anselmo
Soudés en terre inconnueHistoires d’entrainement. Au cœur des années 1990, l’équipe de France masculine de combat enchaîne les titres par équipes. Romain Anselmo, l’un des fers de lance de cette génération, a gardé des souvenirs très précis des périodes de préparation qui ont jalonné la route victorieuse des Bleus. Et l’aventure était bien souvent au rendez-vous.
Le plus improbable : nuit blanche dans la jungle
Décembre 1994. Les championnats du monde ont lieu à Kota Kinabalu, sur l’île de Bornéo, en Malaisie. Dix jours avant le début des combats, la Fédération envoie l’ensemble des athlètes tricolores au coeur de la jungle malaisienne. «Nous sommes partis vivre deux jours au sein d’une tribu qui habitait des maisons sur pilotis, se remémore Romain Anselmo. Le but était de ressouder le groupe… Sauf que personne n’a fermé l’oeil de la nuit ! Nous étions couchés à même le sol, et c’était infesté de moustiques. Avec Gilles Cherdieu, on a passé la nuit emmitouflés dans nos sacs de couchage pour ne pas se faire bouffer. Personne n’osait se lever parce qu’il n’y avait pas de lumière et qu’on avait peur de se retrouver dans la jungle. »
Aujourd’hui, l’aventure fait rire le multiple champion de France devenu chef d’entreprise dans le bâtiment. Mais, à une poignée de jours d’un championnat du monde, cette nuit blanche n’avait rien d’une préparation idéale. « Avant une compétition, tu as toujours besoin de combattre un peu pour effectuer les derniers réglages, te mettre en confiance. Et là, pendant deux jours, on ne pouvait pas s’entraîner faute de place. Et puis il y avait les serpents et toutes ces bestioles. À n’importe quel autre moment ça aurait été absolument génial, mais là c’était super stressant. On se disait qu’on allait arriver crevés le jour des combats.»
L’histoire donnera finalement raison au staff de l’équipe de France, puisque les Bleus vont décrocher 11 médailles (dont 4 en or) à Kota Kinabalu et finir deuxième nation, seulement battue par le Japon au nombre de titres. Romain Anselmo lui, se parera d’argent chez les -70 kg, et d’or par équipes avec les Alain Le Hétet, Michaël Braun, Alain Varo et autre Serge Tomao. « Cela faisait 20 ans (depuis Paris 1972, NDLR) que la France n’avait pas gagné le titre par équipe. Peut-être que cette aventure dans la jungle a fait partie du petit mélange subtil qui fait qu’à un moment, les compétitions marchent », concède-il rieur. Elle marque en tout cas le début d’un règne sans partage.
« Le fait d’aborder un territoire inconnu ça te fait travailler non seulement tes capacités physiques, mais ça fait également appel à ton mental. Et c’est ce qui fait la différence sur un championnat du monde. »
L’épreuve de force : perdus dans le maquis corse
Dans les années 1990, l’équipe de France masculine de combat a l’habitude de se retrouver avant chaque championnat du monde pour un stage de canyoning. « On a fait la Corse, les Pyrénées et la Réunion », énumère l’ancien champion. Malgré la beauté des paysages traversés, les Bleus sont loin d’être en vacance. « C’était des stages très physiques, où on amenait les compétiteurs au bout d’eux-mêmes. Faire tout de suite du rappel dans une cascade alors que tu n’en as jamais fait, ou des sauts de grande hauteur, c’est un sacré défi. »
Un souvenir a particulièrement marqué le champion d’Europe 1994. Les Bleus sont alors en Corse, encadrés par des pompiers de l’île. « Les mecs nous ont dit « On nous a demandé de vous en faire baver, on va voir jusqu’où vous êtes prêts à aller. » Et ils avaient une condition physique de folie ! À un moment, on montait sur les routes du GR20, des routes escarpées, et là les pompiers ont commencé à nous allumer un peu, à marcher avec un gros rythme. Alors nous sommes tous partis en courant pour relever le défi… Et en fait, nous nous sommes éparpillés en deux trois groupes et on s’est tous perdus dans le maquis. On a mis deux heures à se retrouver.»
Là encore, si les stages ont été très durs, Romain Anselmo en garde un excellent souvenir. Et en savoure l’utilité. « Quand tu fais quelque chose que tu es habitué à faire, tu restes toujours dans une zone de confort. Même si tu pousses le physique assez loin, si c’est sur des exercices classiques, tu restes toujours en territoire connu. Le fait d’aborder un territoire inconnu ça te fait travailler non seulement tes capacités physiques, mais ça fait également appel à ton mental. Et c’est ce qui fait la différence sur un championnat du monde. » Vraiment ? L’équipe de France va en tout cas remporter l’or mondial par équipes sans discontinuer jusqu’à Münich, en 2000. Soit quatre titres consécutifs.
Les stages de sélection : amis et rivaux à la fois
Avant les stages de cohésion qui précèdent les grandes compétitions, viennent les stages de sélection dont doivent émerger une équipe. « Ces stages ont toujours été d’une grande intensité, se souvient l’athlète. On se retrouvait généralement à Montpellier, on était trois ou quatre par catégorie, et on savait qu’au final seul un ou deux athlètes seraient retenus. C’était dur physiquement, parce que tu es toujours en train de t’entraîner pour te dépasser et montrer au sélectionneur que tu es à fond. » Il faut se dépasser soi-même, mais aussi dépasser les autres prétendants à la sélection finale.
« Tu surveilles toujours du coin de l’oeil les autres compétiteurs. D’un côté ce sont tes copains, mais de l’autre côté c’est compliqué parce que nous jouons tous notre place. C’était des aventures superbes parce qu’en fin de compte, le gars avec qui tu te bagarrais pour avoir la sélection, c’était aussi celui qui te faisait le plus progresser. C’était très fort : un mélange de moments d’amitiés, de copains, avec des entraînements très durs, mais aussi des moments de stress et de grosse pression.»
Malgré la concurrence féroce, ces stages offraient quelques moments de détente. Et certains n’hésitaient pas à s’accorder de temps à autre une petite escapade dans les discothèques du coin. « Tous les videurs des boites de nuit faisaient du karaté sur Montpellier. Et donc les sélectionneurs avaient toujours vent de nos aventures nocturnes quand nous n’étions pas censés sortir. C’était assez drôle. Et quand les entraîneurs apprenaient que les gars étaient sortis en boîte… l’entraînement du lendemain matin était quatre fois plus dur ! (Rires) Et, même si ces sorties restaient finalement assez calmes, on a mis un peu de temps avant de comprendre que les videurs étaient les indics ! »