L’esprit de compète
Rencontre avec Philippe Didelet, IKC Saint-VictoretAlors que lui-même détestait la compétition lorsqu’il combattait, Philippe Didelet, 60 ans, 5e dan, s’épanouit aujourd’hui en formant les jeunes à l’Impact Karaté Club (IKC) de Saint-Victoret en les amenant à briller lors des tournois. Il est finalement devenu accro, au point de consacrer tout son temps à rendre ses poulains plus performants.
Rebelle face aux règles
Drôle de paradoxe. Alors que l’Impact truste les podiums, 181 sur la saison écoulée, son fondateur a longtemps été allergique à la compétition. Jeune athlète, Philippe Didelet est du genre un peu rebelle. « J’ai fait trois compétitions et ça m’a gavé ! », s’exclame-t-il avec force. Quand il fonde le club en 1983, ce n’est donc pas pour se lancer dans une collection de médailles. Pourtant, 24 ans plus tard, en 2007, une section compétition voit le jour. Et le professeur prend goût à l’adrénaline des tournois. Le déclic, c’est un petit garçon souriant qui va le lui donner. Quand Marc-Alexis Rouret débarque à l’IKC, Philippe Didelet est épaté par son talent. « Moi je n’en ai pas fait, mais pourquoi ne pas essayer la compétition avec lui ? » se dit alors le professeur. Il emmène son protégé jusqu’au bronze lors des championnats du monde cadets en 2009, puis au titre européen quelques mois plus tard. Au fil des combats de ses poulains, le professeur est finalement devenu un mordu : « L’objectif, c’est de faire les athlètes le plus performant possible, je ne suis pas un perdant ! » Son allergie est complètement guérie.
Professeur sur le tas
Philippe Didelet est venu tard au karaté. Né en Algérie, il a vécu une enfance rythmée par les déménagements. Un père militaire que la famille suit de casernes en caserne. L’Algérie pendant la guerre donc, puis Toulouse (Haute-Garonne), Avesnes-sur-Helpe (Nord) et Saint-Victoret, dont il n’a plus bougé. C’est dans les Bouches-du Rhône, dans le club voisin de Marignane, qu’il découvre les arts martiaux auprès de Michel Marques. Il a alors 15 ans. Conquis, il prend beaucoup de plaisir à remplacer son professeur quand ce dernier part en vacance. Et c’est ce même professeur qui l’encourage à fonder son propre club, à 26 ans. « Je voulais essayer de redonner ce que m’avait transmis mon professeur », explique Philippe Didelet. Parmi les sensei qui l’ont inspiré, il cite également Jean-Pierre Lavorato et Serge Chouraqui. « J’ai pioché un peu partout », confie-t-il. Aujourd’hui, l’Impact compte 300 licenciés pour 6 500 habitants, et le professeur se fait une fierté de former des jeunes de la région. Une « relève » qu’il entraîne avec bonheur, le haut niveau comme objectif.
« En juillet-août, je pars quatre jours et je suis de retour au dojo pour faire le ménage ».
Le club, une deuxième famille
Ce club qu’il a fondé, il y consacre aujourd’hui tout son temps ou presque. « Mes collègues me disent “ t’es un fou !“, parce qu’on doit faire 60h de cours par semaine », rigole-t-il. Pas un jour ne passe sans que Philippe Didelet ne mette les pieds au dojo que le club occupe depuis 2001, un incendie ayant ravagé l’ancien. « C’est ma deuxième maison, c’est chez moi », s’enthousiasme-t-il. Le débit est rapide, l’accent du sud des plus chantants. « D’ailleurs on reçoit les gens, ils dorment ici, à l’ancienne. On fait aussi des stages de nuit. C’est plus que du karaté, c’est une deuxième famille. » De son propre aveu, le professeur est un « addict » qui a du mal à lâcher, même pendant les vacances. « En juillet-août, je pars quatre jours et je suis de retour au dojo pour faire le ménage ». Pour lui, la bonne ambiance qui naît des soirées au club est primordiale et tire les performances vers le haut. Une atmosphère familiale au sens propre, sur trois générations : « Aujourd’hui j’ai des gamins, j’ai entraîné leurs parents et même leurs grands-parents ! ».
À l’ancienne
Si l’ambiance est bon enfant en dehors des cours, c’est on ne peut plus sérieux une fois le kimono enfilé. Philippe Didelet se décrit volontiers comme un entraîneur sévère. « Les élèves qui arrivent en t-shirt, qui ne saluent pas la salle et qui vont boire quand ils veulent, ici ce n’est pas possible », martèle-t-il. «On éduque les gens, il faut se rappeler les sources et nos pères », poursuit-il. Pas loin de regretter ses jeunes années « où ça marchait à la baguette », le professeur veut mettre ses élèves dans les meilleures conditions. À Saint-Victoret, pas de cours regroupés. L’enseignement est strictement segmenté en fonction de l’âge de chacun. Le mercredi par exemple, l’horloge indique 11h15 lorsqu’il attaque les cours. Et chaque fois que la grande aiguille fait un tour de cadran, une nouvelle catégorie entre sur le tapis. « Je ne peux pas mettre un petit de 4 ans avec un petit de 8 ans. Ce n’est pas le même travail, pas les mêmes ateliers. Pire, ce serait dangereux. » Ses convictions sont fortes, assumées. « C’est beaucoup plus de travail, mais il y a beaucoup plus de réussite et d’épanouissement. », assène-t-il.
Tout se joue avant la chaise
La réussite, il la construit longtemps en amont des compétitions. Un travail effectué avec Rachid Berrakama, le chef d’orchestre des cours de haut niveau le soir, alors que lui s’occupe plutôt des enfants. Une équipe et une recette qui fonctionnent pour préparer au mieux les athlètes avant une échéance. Et lorsque vient le week-end et que Philippe Didelet prend place sur la chaise, le sort en est déjà jeté. « Tout se prépare à l’avance. Pendant le combat, pas besoin de crier des consignes comme “fais mawashi !“ L’athlète doit le savoir. » Philippe Didelet se concentre plutôt sur de petites remarques concernant le temps ou les pénalités. Et fait corps avec ses protégés. « L’athlète et l’entraîneur ne doivent faire qu’un », avance-t-il. « S’il souffre, on souffre ». Le professeur est d’ailleurs souvent stressé, au point de parfois sauter les repas le vendredi précédent une compétition. « Mais leur sourire, le plaisir de les voir briller, se jeter en l’air quand ils gagnent, ça vaut tous les sacrifices », savoure-t-il.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen