Montarello «Nous nous sommes trouvés»
Champions d’Europe et vice champions du monde : 2016 a vu l’explosion au plus haut niveau de la toute jeune équipe de France masculine de kata. Enzo Montarello, Marseillais de 22 ans, est le dernier arrivé de ce trio à succès (avec Ahmed Zemouri et Lucas Jeannot). L’élément qui manquait pour passer un palier ? Confidences à la veille des championnats de France kata qui se déroulent à Reims.
Quelle sensation gardes-tu de cette incroyable année 2016 ?
Que du bonheur ! Quand nous sommes devenus champions d’Europe à Montpellier, je n’y croyais pas. Certes, on ne sortait pas de nulle part, mais battre l’équipe championne du monde en titre (Les Espagnols, NDLR), ce n’était pas évident. En kata, quand une équipe est installée c’est très très dur de la détrôner. Je savais que nous allions allait être prêts et qu’on allait tout donner. Mais je pensais que les juges allaient donner l’avantage aux champions du monde en titre. Alors quand j’ai vu que le résultat était pour nous, je n’y ai pas cru du tout.
On sent encore beaucoup d’émotions quand tu en parles. Qu’est-ce qui rend ce bonheur si intense ?
C’est l’aboutissement de plein de sacrifices. On suit tous les trois des études en parallèle, et ce n’est pas toujours évident à gérer. Et puis il y a eu des périodes de doute aussi. Après l’Open de Rotterdam par exemple, le dernier avant ces championnats d’Europe, où l’on perd 4-1 contre les Turcs. On s’est remis en question. À la vidéo, on voyait que notre kata était propre, sans erreur, mais qu’il manquait de folie. On a corrigé le tir, dans le rythme notamment, mais surtout dans l’état d’esprit. Nous étions moins dans la récitation, et à l’entraînement on se disait « Allez, on envoie ! ». Voir ce travail récompensé à Montpellier, où il y avait la famille, les amis, tout le public français… C’est pour vivre quelques minutes de bonheur comme celles-là que l’on fait tous ces sacrifices et tous ces entraînements.
« Très vite, nous nous sommes confiés sur nos vies privées, nos familles, nos études. »
Est-ce que ce titre de champions d’Europe, ce nouveau statut, a modifié votre préparation des championnats du monde qui ont suivi ?
Non, parce que nous avions beau être champions d’Europe, au niveau mondial, nous n’étions personne. C’était notre premier championnat du monde. Tout était remis à zéro, et il fallait garder le même état d’esprit qu’à Montpellier : c’est à dire de l’insouciance, l’envie d’aller à la guerre et de tout dégommer. Il n’y avait pas de : « Nous sommes champions d’Europe, on va gagner ». Il fallait tout prouver.
En revanche, lors des prochains championnats d’Europe (du 4 au 7 mai 2017 à Kocaeli, en Turquie), vous aurez ce statut de favoris, avec peut-être davantage de bienveillance de la part des juges…
C’est vrai… Mais j’ai remarqué que ça n’arrive toujours qu’aux autres et jamais à moi ! (Rires). Oui, on va avoir le statut de favoris, mais notre force c’est qu’à chaque compétition, on oublie tout ce qui s’est passé. On aimerait conserver notre titre, et on va y aller dans le même état d’esprit qu’à Montpellier. On va aussi essayer d’innover dans notre karaté, de surprendre les juges. On ne va pas se contenter de choses vues et revues.
Tu es arrivé dans cette équipe de France il y a deux ans, alors qu’Ahmed Zemouri et Lucas Jeannot travaillaient déjà ensemble depuis 2008 et qu’ils ont une relation très forte. Ça n’a pas rendu ton intégration compliquée ?
Non, et ils m’ont tellement bien intégré que j’avais l’impression de les connaître depuis plus longtemps que ça. Très vite, nous nous sommes confiés sur nos vies privées, nos familles, nos études, et ça a peut-être facilité mon intégration. Arriver auprès d’un duo bien établi n’a pas été déstabilisant. En fait, on a tout de suite formé un trio avec un seul et même objectif : gagner.
Ayoub Neghliz, votre entraîneur en sélection, dit qu’il n’a jamais vu une équipe avec une telle cohésion. Est-ce que tu es d’accord et comment expliques-tu cette osmose entre vous trois ?
C’est vrai que, quand je vois les autres équipes de notre catégorie, l’Espagne ou l’Italie par exemple, je les sens moins en osmose que nous. En Espagne, le leader (Damian) Quintero fait aussi de l’individuel. Pareil en Italie avec (Matia) Busato. Dans ces deux équipes, c’est clairement les deux de derrière qui se calent et s’adaptent sur le travail du leader. Alors que nous, on a tous fait des sacrifices dans notre travail individuel au nom de l’équipe. Les Italiens, les Espagnols, c’est toujours 2 + 1. Nous, nous sommes un seul et même trio.
« Techniquement, j’ai dû changer mon travail et trouver cet équilibre pour les guider. »
C’est votre relation en dehors du karaté qui explique cette réussite ?
C’est vrai qu’à l’extérieur du tatami, nous restons toujours ensemble. Nous allons souvent au cinéma ou boire un coup. Quand nous sommes en stage, je me retrouve généralement seul en chambre, parce qu’Ahmed et Lucas ont toujours fait chambre commune. Mais nous restons tout le temps dans la même chambre jusqu’à ce qu’on aille dormir. Et si on ne s’entendait pas en dehors, ça ne pourrait jamais marcher aussi bien sur le tapis. Parce que personne ne voudrait faire d’efforts pour les autres. Si je ne m’entendais pas avec Lucas et Ahmed, est-ce que j’aurais accepté de changer mon travail pour eux ? Comme nous sommes amis, je ne me pose même pas la question : je le fais juste naturellement et ils font pareil.
Qu’est-ce que tu as du changer pour te mettre au service de l’équipe ?
La première année, j’étais positionné derrière, parce que Lucas avait l’habitude de mener. Du coup, j’ai dû changer beaucoup de choses sur le rythme pour pouvoir suivre Lucas. Puis, quand je suis repassé devant, j’ai à nouveau dû changer mes habitudes car c’est un travail complètement différent. Il faut que les deux athlètes derrière me sentent partir. Je me suis beaucoup inspiré de ce que faisait Lucas, mais je ne pouvais pas faire exactement la même chose parce que nous n’avons pas le même gabarit, pas le même karaté et pas les mêmes capacités physiques. J’ai dû trouver cet équilibre pour les guider, sans pour autant faire ce que faisait Lucas avant.
Propos recueillis par Gaëtan Delafolie / Sen No Sen