Montées en grades
Rencontre avec Renaud Renay, pompier et professeur au CSKSCet adjudant-chef de la brigade de sapeurs pompiers de Paris est aujourd’hui un 6e dan reconnu. Un parcours singulier au cours duquel il a pu s’exprimer pour transmettre à son tour dans ses clubs de l’association sportive des sapeurs pompiers de Paris (ASASPP) et du Cercle Sportif Karaté-Do Shotokan (CSKS).
Paris, 12e arrondissement, gymnase Alain Mimoun. À quelques minutes de la caserne Masséna, l’antre des pompiers parisiens du sud de la capitale, qu’il fréquente depuis vingt-six ans et y enseigne aussi le karaté, Renaud Renay, 47 ans, s’apprête à donner l’un des derniers cours de la saison. Ce lundi,deux cours vont s’enchaîner dans ce joli dojo refait à neuf il y a deux ans. Ici, on s’applique pour les trois saluts, même chez les plus jeunes, on compte en japonais, et on connaît le nom des techniques. Les plus fervents sont là du haut de leurs neuf à onze ans : Gaëtan, Clémence, Zakaria, Mayane… Puis, ce sera au tour d’un cours adulte bien fourni où se côtoient jeunes retraité(e)s, ingénieurs, étudiantes, profs de fac. Une école de karaté qui met au même niveau bienveillance et exigence. Un parcours de prof que l’intéressé n’avait lui-même jamais vraiment imaginé, même s’il est tombé dans le karaté dès le plus jeune âge.
«Ça a été une autre voie que celle que j’avais imaginée adolescent, mais je me suis réalisé, sportivement et professionnellement. »
Une passion familiale. Renaud Renay grandit entre les jambes et les mae-geri de son père gendarme, qui pratique avec alors Roger Paschy*. « J’ai commencé à Cergy-Pontoise puis Brunoy, dans l’Essonne, au JCAM Boussy-Saint-Antoine. Le karaté, j’ai commencé à le vivre comme ça : à cette époque, il n’y avait même pas besoin d’aller dans un dojo, on se retrouvait chez l’un ou chez l’autre, et on s’entraînait sans se poser de question. » Les marqueurs de ces années-là ?« Roger Paschy c’était le karaté, la boxe thaï, la recherche des richesses des différentes disciplines. On ne faisait pas du sport, on faisait du karaté. Avec simplicité, mais avec du sens aussi.»
* Triple champion d’Europe des -65kg dans les années 1970
Une autre voie. Le premier virage est arrivé avec le service militaire. « J’étais en groupe élite Essonne avec une cinquième place aux championnats de France juniors. J’étais tenté par la finance, il y avait aussi l’option du Bataillon de Joinville, mais, finalement, il n’y avait plus de place. J’ai donc eu l’opportunité de rentrer chez les Pompiers de Paris en 1992 alors que l’armée cherchait justement à intégrer des sportifs dans ses rangs. J’ai pu débuter une carrière professionnelle, mais aussi avoir la chance de pouvoir continuer à m’entraîner. » Et l’opportunité d’assouvir son appétit de compétiteur. « Oui, dans les années 1990, il existait une vraie section sportive à la BSPP et j’ai pu participer aux championnats de France militaires et aux Jeux mondiaux pompiers police… Ça a été une autre voie que celle que j’avais imaginée adolescent, mais je me suis réalisé, sportivement et professionnellement dans cette configuration. Du coup, pendant douze ans, j’ai disputé des compétitions pour les Pompiers de Paris, avant de devenir responsable de l’équipe de karaté en 1996.»
Compétiteur un jour… Des médailles et des titres, il en a remporté quelques-uns. En combat… et en kata. « J’étais combattant, mais je me suis mis au kata et j’ai gagné les Jeux mondiaux pompiers police. »Sur les tablettes, deux titres de champion de France militaires, en 2000 et 2001, trois fois champion du monde pompiers/police en 1998, 2000 et 2002.« Attention, il faut relativiser un titre mondial pompiers police, mais, sur le fond, ce que je retiens, c’est surtout que j’ai progressé en tant que combattant, que je suis resté dans le karaté aussi grâce à ces opportunités, pour continuer à me former. Quand Joël Barst, contre qui je tirais lors de mes jeunes années, devenait vice champion du monde seniors des -60kg en 1998, moi, je gagnais les France corpos. Mais j’étais aussi payé pour faire ça. J’étais en même temps en compagnie opérationnelle, et je m’entraînais aussi avec l’équipe de France Police. »
«Dans mon travail, je me suis toujours référé à l’exigence de la pratique : être au top, ne pas se mentir, vouloir vraiment comprendre et progresser. »
Rencontres au bout du monde. Les rencontres, celles qui auront changé une vie.« Toutes ces années, j’ai nourri ma passion et j’ai appris à la transmettre, à enseigner, à faire passer les bons messages je pense, avec des moyens différents selon les gens, explique le 6e dan. La vie m’offrait la possibilité de me nourrir de karaté, j’étais curieux de nature, et j’ai eu la chance de croiser de grands combattants, de vivre des moments d’une intensité rare en pratiquant dans des dizaines de dojos dans le monde.J’ai systématiquement cherché à m’entraîner au gré de mes voyages. J’arrivais avec mon kim, je demandais poliment si je pouvais m’entraîner. On me testait, mais on ne m’a jamais refusé. J’ai pu, comme cela, croiser souvent la route d’un Fumio Demura, qui m’a même donné quelques cours particuliers du temps où il était conseiller technique de la fédération mondiale pompiers police. Un honneur… » Une responsabilité aussi pour le Français qu’il est. « Ce que je retiens d’ailleurs de ces rencontres, c’est que le karaté oublie parfois la richesse et la puissance de ce qu’il représente. Parce que bien formé, je pense, j’ai toujours trouvé ma place dans un dojo. J’ai gardé et entretenu nombre de ces contacts, comme celui aussi, de Tamas Weber, ce Suédois ancien légionnaire qui était un monstre de rugosité. Fumio Demura m’a invité à Santa Anna, chez lui aux États-Unis alors qu’il était déjà une star. Je crois qu’il avait aimé, lors de nos précédentes rencontres, mon engagement, le fait que je ne triche pas, que je m’entraînais pour être plus fort, meilleur karatéka, comprendre. J’ai pris ça comme une marque de respect.»
« Sans doute pas le meilleur prof au début »« J’ai commencé à enseigner dans le cadre de mon métier, à la brigade, en formant une petite équipe. Franchement, à ce moment-là, je n’étais sans doute pas le meilleur prof qui soit. Je faisais les choses avec sincérité, oui, mais… on apprend tellement tout le temps. J’ai travaillé avec Yves Bardreau à Quincy-sous-Sénart, aujourd’hui je suis proche d’un Serge Chouraqui au sein de la commission des grades de la ligue de Paris. Mon père continue à s’occuper du club de Boussy-Saint-Antoine, mon frère est karatéka, mes deux filles sont ceintures noires aussi. C’est un sacré chemin, le karaté.»« Sauver ou périr », Renaud Renay est autant pompier que karatéka. Avec des parallèles qu’il dessine sobrement, mais en pesant ses mots : « Dans mon travail, je me suis toujours référé à l’exigence de la pratique : être au top, ne pas se mentir, vouloir vraiment comprendre et progresser. »Avec douze heures de cours réparties sur plusieurs dojos, dont, toujours son fief de Masséna.
Fédération des Clubs de la Défense. Conseiller technique national sportif karaté des Clubs de la Défense depuis trois ans, il a succédé à Christian Panattoni. « Cette mission, je l’ai prise comme une suite logique dans mon parcours en cherchant à rapprocher, finalement, mes deux familles du karaté : l’armée et la Fédération. Cela a débouché sur une convention. Parce que, si les championnats de France militaires avec cent mecs sur la ligne de départ, c’est désormais plus difficile, il y a un vrai projet sportif dans les armées, ce qui est dans son ADN, et entretenir cette relation avec la société civile est un enjeu majeur. »La FCD, membre du CNOSF, a en effet pour mission de promouvoir, développer, animer, enseigner au profit des personnels du ministère des armées, de la gendarmerie et de leurs familles. Mais pas que. « Figure aussi celle de nous occuper des jeunes, de leur proposer un chemin justement, de favoriser les échanges pour développer le lien armée-nation. Il y a une volonté forte d’ouvrir, l’armée ayant besoin de recruter, vers ces jeunes. Les compétences cumulées, organisées, cela peut être un vrai projet de vie. Aurore Bourçois, double championne de France, est par exemple passée par la FCD.»Une autre génération, déjà.
Olivier Remy / Sen No Sen. Photos : Julia Ebel de Castro