Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
On en parlait déjà dans les années 80, une époque où le karaté, déjà universel et en même temps divers par essence, ne s’était pas entendu sur une forme spécifique de compétition. Depuis, un énorme travail a été accompli, notamment sous l’impulsion de la France, et cette fois, c’est fait : Le karaté est désormais sport olympique ! Acteurs du karaté tricolore mais aussi leaders du sport français, Tony Estanguet, Jean-Luc Rougé ou encore Denis Masseglia, disent ce qu’ils en pensent et ce qu’ils prévoient pour l’avenir à l’horizon des quatre années qui viennent. Le karaté français entre dans sa première « olympiade ».
Bienvenue au club olympique !
Parce que c’est une discipline bien ancrée dans le paysage sportif français, l’arrivée du karaté aux prochains Jeux ne laisse pas indifférente la famille olympique. Nous avons donc demandé à trois de ses principaux membres, ainsi qu’à Jean-Luc Rougé, comment ils avaient accueilli la nouvelle et quels regards ils portent sur le petit dernier de la famille.
Il est peut-être le Français qui incarne le mieux l’olympisme. Triple médaillé d’or en canoë (C1), Tony Estanguet a posé les pagaies pour devenir membre du CIO, le Comité international olympique. Pour celui qui est aussi co-président du Comité de candidature Paris 2024, l’arrivée du karaté aux Jeux est logique et méritée.
© KMSP / PARIS 2024
Qu’est-ce qui a le plus joué dans la décision du CIO d’inscrire le karaté au programme des prochains JO ?
On a eu beaucoup d’échanges sur le sujet depuis deux ans. Le vote intervient au terme d’un processus long, avec une commission des programmes dédiée au sujet au sein du CIO. Le fait que ce soit le Japon, pays hôte en 2020, qui propose d’ajouter le karaté, a beaucoup joué. Je trouve d’ailleurs que ça a énormément de légitimité que le karaté soit présent aux Jeux de Tokyo, dans le pays où il est né. Je pense que c’est un élément qui a été pris en compte par les membres du CIO. Et puis, quand on regarde les statistiques, le nombre de pratiquants dans le monde, la tradition et la longévité de ce sport : ce sont des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Le karaté est universel, et personne ne l’a contesté.
Comment cette nouvelle a-t-elle été accueillie par le clan français lors de son annonce à Rio le 3 août dernier ?
On était ravis ! Un peu soulagés aussi, parce qu’on a vu le combat mené par le karaté ces dernières années pour intégrer le programme olympique. Et il a beau y avoir des critères indiscutables, ce n’était pas gagné d’avoir ce vote favorable. Le CIO est en train de moderniser son programme et le karaté se retrouve en concurrence avec beaucoup de sports nouveaux. Avec, en plus, une jauge à 10 500 athlètes et 310 épreuves que le CIO ne veut pas dépasser, la lutte pour une place aux JO est rude. C’est pour ça que c’est une belle victoire pour le karaté. Et puis cette décision donne du crédit à la famille olympique, car le karaté est un sport à mon avis incontournable aux Jeux. C’est une bonne nouvelle également pour le clan français, parce que nous avons une fédération forte, avec de belles équipes de France.
Qu’est ce que l’arrivée du karaté aux JO va changer pour notre sport et nos athlètes ?
Participer aux Jeux est une expérience unique pour un athlète, quelque chose de complètement à part. Ce n’est pas du tout la même saveur qu’un championnat du monde. Les athlètes vont se régaler et ça va avoir un impact sur l’ensemble de la filière, parce que le haut niveau entraîne une dynamique. Les Jeux olympiques vont amener de nouveaux licenciés au karaté, c’est indéniable, et booster son développement. Les JO véhiculent aussi des valeurs fortes, tout le pays se retrouve derrière l’équipe de France olympique, et quel que soit le sport, on sent un vrai soutien populaire. C’est bien que le karaté puisse en profiter parce que c’est une discipline qui fait du bon travail depuis longtemps.
Pour le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), l’inscription du karaté aux JO est une bonne nouvelle pour le clan français, car ce sont des chances de podium supplémentaires.
« Il y a une légitimité tout à fait logique à ce que le karaté intègre les JO. Il remplit parfaitement les critères que le CIO impose en termes d’universalité, de nombre de pays qui pratiquent, mais aussi en termes d’audience et d’intérêt pour les jeunes. On sait que le karaté français est performant, il l’a prouvé lors des deux derniers championnats du monde (NDLR : 9 médailles dont trois en or aux mondiaux de Linz), donc, pour l’équipe de France, la participation des karatékas peut contribuer à une moisson de médailles à Tokyo. Mais attention, le fait de devenir discipline olympique peut aussi changer la donne internationale. Les autres pays vont préparer ces Jeux avec beaucoup plus d’efficacité et de sérieux et, dans quatre ans, on pourrait avoir une hiérarchie différente. Le label olympique créé de l’émulation et du progrès dans chaque sport qui en bénéficie. Il permet à un certain nombre de pays de progresser et des athlètes vont donc émerger. Il va falloir travailler pour conserver ce statut côté français, car il va y avoir une élévation du niveau général. »
© CNOSF
Après avoir longtemps oeuvré pour l’arrivée du rugby à VII aux JO, l’ancien président de la FFR est désormais co-président du Comité de candidature Paris 2024. Selon lui, l’entrée du karaté au programme olympique s’inscrit dans une volonté de rajeunir et dynamiser les Jeux.
© KMSP / PARIS 2024
« Je suis persuadé que l’arrivée de nouvelles disciplines comme le karaté va apporter énormément aux Jeux olympiques. Le choix du CIO s’est porté sur des sports qui intéressent beaucoup la jeunesse (NDLR : karaté mais aussi escalade, skateboard, surf et base-ball). Les pratiques des jeunes changent et il faut tenir compte de ces évolutions. C’est capital si l’on veut voir les JO durer. Le sport des générations futures est un sport davantage tourné vers le plaisir et la création. Le karaté est certes un sport de combat mais il est aussi très spectaculaire. Et le spectacle est quelque chose de très important aux Jeux. Les membres du CIO viennent d’horizons très divers, et le seul point qui les rassemble c’est le plaisir qu’ils éprouvent en venant voir une épreuve. Il faut donc leur donner une raison de se dire “ah ça, c’est fabuleux !” C’est ce qu’ont réussi à faire les sports qui intègrent le programme. Et pour les disciplines en question, c’est l’opportunité de lancer de nouvelles choses. Il appartient à chaque fédération de choisir quel modèle de compétition lui convient, pour ainsi donner un élan supplémentaire à la pratique de son sport. Et je suis certain que la fédération internationale de karaté a déjà bien réfléchi à la question. »
Le président de la FFJudo, premier champion du monde de l’histoire de son sport en 1975, était aux côtés de Francis Didier cette semaine à Rio à l’annonce de l’entrée du karaté au JO. Un juste retour des choses pour une discipline qu’il verra intégrer Tokyo 2020 comme un symbole.
Quel sentiment vous procure l’entrée du karaté dans la famille olympique ?
C’est le poids de l’histoire et de la politique qui ont fait que le karaté n’était pas encore aux Jeux olympiques. C’est fait désormais, c’est juste, mais c’est encore une petite compensation par rapport à ce que le karaté aurait du être, une injustice réparée quelque part par rapport aux premiers choix d’intégrer d’autres sports il y a quelques années. C’est très logique en tout cas de voir le karaté aux JO, qui plus est au Japon en 2020, avec l’espoir de voir cela se concrétiser, se pérenniser. Ce moment doit donner un grand sourire à tous les pratiquants de karaté, du plaisir à partager par tout le karaté français, sans oublier quatre ans de préparation à venir d’ici Tokyo !
On sait que la FFJudo et la FFKDA sont proches, c’est donc un sentiment particulier pour vous, non ?
Je peux effectivement assister de près aux étapes de développement du karaté. C’est une très grosse fédération en France, qui travaille bien, qui a d’excellents résultats, c’est donc amplement mérité et permettez moi de vous dire que j’espère que Francis Didier sera également reconnu au niveau mondial pour tous ses engagements et l’énergie qu’il met à développer sa discipline, en particulier grâce à l’organisation de magnifiques championnats du monde à Bercy en 2012 et encore il y a quelques semaines à Montpellier lors des championnats d’Europe. Un « savoir-faire » du sport français reconnu auquel il participe grandement.
Qu’est-ce qui permet de gagner un combat comme celui-là, d’intégrer le programme olympique ?
Le Japon a joué un grand rôle. Ils voulaient le karaté, ils y ont mis le poids nécessaire. Si Paris obtient les Jeux de 2024, le karaté sera reproposé. Une bonne dynamique donc pour un sport très traditionnel qui peut cohabiter avec des disciplines nouvelles comme le skateboard, même si concurrencer les X-Games n’est, selon moi, pas la bonne voie. C’est une autre culture. Le karaté, lui, a clairement et naturellement sa place dans la famille olympique, en tant que sport mais aussi en tant que discipline éducative.
Des valeurs pour un autre Budo que le judo désormais aux JO. Une bonne nouvelle pour les martiaux ?
Bien sûr, ça fait plaisir. D’autres, comme les arts martiaux chinois sont candidats aussi. Il ne faudrait pas non plus que les JO ne soient que ceux des sports de combat (rires), mais c’est la reconnaissance, à travers le judo, le karaté, de ce que les arts martiaux représentent, c’est-à-dire 1,6 million de licenciés en France au sein de la Confédération des Arts Martiaux.
Le futur stade olympique de Tokyo / © DR
À la fois pragmatique et porteur d’une vision, le Président de la FFKDA s’est beaucoup impliqué dans l’aventure du karaté olympique. Il nous dit avec précision ce qui a été gagné et où nous en sommes exactement sur le chemin après la décision de Tokyo, ce que cette victoire va générer, ce qu’il faut en espérer, ce qu’il faut ne pas craindre…
Finalement, qu’avons-nous obtenu avec cette décision ?
Pas grand-chose! (Sourire) Juste la reconnaissance suprême dans le sport. C’est une marque de confiance du CIO, une chance magnifique pour nos combattants, qui eux aussi, par leur crédibilité dans la performance de haut niveau, ont rendu tout cela possible, mais c’est aussi la reconnaissance de nos valeurs, celle du budo, du karaté tel qu’il s’est construit depuis un siècle. Cette dimension est essentielle à mes yeux. C’est aussi un label supplémentaire pour notre fédération, après avoir reçu l’agrément, une délégation de pouvoir qui vient de l’état, nous obtenons l’entrée comme membre à part entière du CNOSF.
© E. Charlot / Sen No Sen
Le karaté peut-il se déclarer sport olympique ?
Absolument. Le karaté est passé dans le Collège des sports olympiques au sein du CNOSF pour les quatre ans à venir, jusqu’en 2020. Voilà qui est fait. Désormais, c’est vers 2024 qu’il faut tourner notre regard, c’est pour 2024 qu’il faut travailler. Nous sommes là pour un « one shot » et je ne veux faire aucun pronostic sur l’avenir plus lointain mais, désormais, nous sommes à l’intérieur, c’est plus facile. Nous sommes plus crédibles, plus informés. On ne s’arrête pas là ! Avec le CIO, il faut adapter son curseur temporel. Ce sont des rythmes de sept ans. Ce qui se décidera en 2017, concerne les Jeux 2024.
Le 13 septembre 2017 à Lima, au Pérou, il y aura deux votes dont l’issue est cruciale pour nous. Le premier bien sûr concerne la ville hôte des Jeux 2024. Paris, Budapest ou Los Angeles ? Si c’est Paris, rappelons que la ville hôte peut décider désormais d’introduire un ou plusieurs sports additionnels, ce qui a été le cas pour le karaté avec Tokyo. Si rien n’est décidé évidemment, on peut être très confiant dans le fait que le karaté serait une seconde fois au programme des Jeux.
Le second vote très important, c’est celui qui concerne l’entrée éventuelle d’un ou deux sports dans le programme définitif. Nos chances sont désormais renforcées, même si, il faut le rappeler, les Jeux, ce sont 10.500 athlètes et pas un peu de plus. Si aucune épreuve en place n’est réduite, alors c’est réglé, personne ne peut entrer. Nous sommes au milieu du gué avec l’assurance, comme le judo en 1964, de faire notre première apparition en tant que sport olympique. C’était à Tokyo déjà, et le judo était sport de démonstration. En 1968, il n’était plus au programme, mais il est revenu en 1972. C’est un destin qui nous conviendrait.
« Ce sont les clubs qui font fonctionner le karaté français dans sa multiplicité »
Faut-il se réjouir ou faut-il s’inquiéter des changements à venir pour notre karaté ?
Se réjouir sans arrière pensée de la dimension nouvelle que prend notre discipline avec cette labellisation olympique. Désormais, l’éclairage qui sera porté sur nous sera plus puissant et c’est à tous les niveaux que nous allons le ressentir. Institutions et médias nationaux, mais aussi locaux. C’est un bénéfice pour tout le monde. Il est plus facile d’intéresser les partenaires, de trouver des budgets et des aides quand on a cette aura de sport olympique. Pour le haut niveau, ce sera aussi des aides supplémentaires que le Ministère réserve aux sports potentiellement pourvoyeurs de médailles.
Ce qui serait à craindre, c’est qu’une telle évolution nous modifie, nous fasse perdre quelque chose en termes d’authenticité sous la pression du modèle sportif. Mais c’est un risque que nous ne courrons absolument pas. La FFKDA, c’est vingt-six styles de karaté, sept disciplines associées. Notre fédération a la spécificité de notre histoire. Les différences, chez nous, on les préserve précieusement, car c’est notre richesse. Ce sont les clubs qui ont la science d’animer, de faire faire, de transmettre. Ce sont eux qui font fonctionner le karaté français dans sa multiplicité. La réglementation sportive internationale et ses aléas ne concerneront que les clubs qui se consacrent à la compétition. En plus, cette réglementation est désormais stable grâce au travail que nous avons fait en amont.
Le CIO ne demande rien, nous avons déjà fait nos preuves, notamment aux Jeux européens. Avec un style unique, le judo a été, est toujours, plus exposé que nous à cette influence de la forme sportive, qui devient essentielle. Chez nous, la forme sportive est une forme spécifique parmi d’autres variations sur le grand socle du karaté. Depuis le début, il y a des recherches différentes, des formes différentes. Alors, si l’on peut se réjouir de cet élan nouveau, il ne changera pas fondamentalement notre histoire.
D’autant que cela ne concerne encore qu’un groupe limité de combattants…
Il faut effectivement le rappeler. Il y aura trois catégories pour les masculins et trois pour les féminines. Le kata individuel homme et femme, mais pas les par équipes. Ce sera quatre-vingt athlètes en tout, c’est dire que les places vont être chères. Au judo, ils sont déjà trois-cent- cinquante. Aujourd’hui, c’est une petite caravane qui se met en route et qui a pour responsabilité d’être performante. C’est un secteur à part, un peu comme une écurie de Formule 1. Ce n’est pas ça qui change une culture. Profitons du positif sans craindre l’inconnu.
Si le karaté n’est là que pour une seule mission, on le saura dès 2017 et on aura du temps devant nous pour continuer à avancer. Nous avons plus qu’un pied dans la porte. Mais je pars avec l’idée que Paris est bien placée et sera vainqueur pour 2024. Cela fait maintenant deux ans que l’on y travaille et on aura ces JO.
© Denis Boulanger
Entrée dans une nouvelle dimension
Avec son inscription au programme de Tokyo 2020, le karaté a rejoint la grande famille des disciplines olympiques. Médiatisation accrue, financements en hausse, arrivée de nouveaux licenciés : les effets attendus des JO sont nombreux et devraient bénéficier à l’ensemble de la discipline et de la fédération. Tour d’horizon de ce qui pourrait changer dans les prochaines années.
Derrière les imposants murs de briques rouges, on entend une balle rebondir sur un parquet. Plus loin, ce sont les raquettes qui sifflent en fendant l’air, puis le bruit sourd des gants qui cognent un sac de frappe. Et partout, des entraîneurs distillant leurs conseils à des athlètes grimaçants d’efforts. Bienvenue à l’Insep, où les cris des karatékas tricolores pourraient prochainement résonner à leur tour.
« En devenant olympique, le karaté a donc sa place à l’Insep »
C’est l’une des premières conséquences de l’arrivée de notre sport dans le giron olympique : les portes de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, s’ouvrent. Jean-Pierre de Vincenzi ne s’en cache pas : « ça m’intéresse d’accueillir le karaté, clame le directeur de cette fabrique à champions. Ici, c’est d’abord la maison des fédérations olympiques. En devenant olympique, le karaté a donc sa place à l’Insep, de façon à ce qu’il puisse avoir tous les moyens possibles pour performer aux JO. »
Et dans cette immense structure au coeur du bois de Vincennes, à Paris, les moyens sont conséquents. Installations sportives, cours et formation adaptés au rythme des entraînements, suivi médical : tout est pensé pour mettre l’athlète dans les meilleures conditions. Une filière d’excellence d’où sont issus 21 des 42 médaillés olympiques français à Rio. L’intégration du karaté à l’Insep demandera certes du temps et une réorganisation au sein de l’institution, mais Jean-Pierre de Vincenzi assure qu’elle pourrait se faire d’ici deux saisons.
Moyens en hausse
L’État, lui aussi, est prêt à offrir plus de moyens au karaté. Des moyens qui correspondent à la nouvelle mission de la discipline : faire briller la France en ramenant des médailles de la plus grande des compétitions. « Il est clair qu’un sport olympique trouvera toujours plus de grâce auprès du ministère, admet Chantal Jouanno, ancienne ministre des Sports elle-même karatéka. Les disciplines non-olympiques sont un peu les parents pauvres en termes d’aides financières, de structures ou d’adaptation du système d’études. Tout est plus dur. Moi par exemple, j’ai fait toute ma carrière sans aucun système aménagé », poursuit celle qui a aussi été 13 fois championne de France kata.
En devenant olympique, le karaté devrait donc voir les financements accordés à la fédération grimper. « Petit à petit, c’est sûr que ça va se sentir », abonde Dominique Charré, ancien Directeur Technique National (DTN) du karaté français, aujourd’hui sous-directeur de la vie fédérale et du sport de haut niveau au Ministère. Les meilleurs karatékas tricolores vont pouvoir bénéficier d’aides personnalisées plus importantes, sous forme de compléments de revenu, de remboursement de frais ou de primes liées aux résultats. Ils auront également accès au pacte de performance, qui offre aux sportifs un aménagement de leur vie professionnelle, via des conventions avec les entreprises et le ministère. « Voilà deux mesures très concrètes qui montreront que le karaté a changé de famille », se réjouit Dominique Charré.
« Quand vous avez les anneaux olympiques, tout est plus facile »
Cette famille olympique, le badminton l’a découverte avec bonheur en 1992, à Barcelone. Depuis, la discipline est en pleine expansion. « Quand vous avez les anneaux olympiques, tout est plus facile, résume Philippe Limouzin, DTN du badminton. Vous obtenez des crédits d’État en conséquence, mais aussi plus de partenariats et plus de sponsors. Mais si le karaté veut avoir pignon sur rue, il faut faire comme le badminton : réussir l’épreuve de la médiatisation ». Car les Jeux sont une formidable opportunité pour un sport qui ne rencontre d’ordinaire que peu d’échos à la télé.
À Tokyo, le karaté sera diffusé en mondovision et va s’incruster dans le salon de millions de Français. Forcément, une telle mise en lumière pourrait susciter des vocations chez les jeunes, surtout si les tricolores sont performants. Un phénomène sur lequel le badminton a su capitaliser. En 1992, la fédération dénombrait 24 000 licenciés. Ils sont aujourd’hui 186 000. Dans le sillage des Jeux, des clubs ont émergé partout dans le pays.
L’exemple du badminton
À Oullins par exemple, dans la banlieue lyonnaise, l’entraîneur Sylvain Janier-Dubry a vu le niveau général augmenter et les structures se développer au fil des années. Il se souvient de l’arrivée en 2001 de Delphine Lansac, pleine d’assurance du haut de ses 6 ans. « Elle m’a dit : “Je veux faire les Jeux olympiques”, alors qu’elle n’avait même pas encore commencé à faire du badminton ! » La petite fille a depuis grandi et comme elle en rêvait, Delphine Lansac est parvenue jusqu’aux Jeux, à Rio en août dernier. « Sa réussite, les JO comme objectif, tout ça a généré une culture du haut niveau à Oullins, dans lequel beaucoup de jeunes se sont engouffrés. »
Le karaté pourrait suivre le même chemin, même si la fédération est déjà bien structurée et que le nombre de licenciés (plus de 250 000 à la FFKDA) est dix fois plus important que celui du badminton à ses débuts olympiques. Mais Dominique Charré ne doute pas que les Jeux auront un effet démultiplicateur. « Au karaté, il est certain qu’il y aura un afflux de demandes de licences après Tokyo. Il va donc falloir former les professeurs et rénover l’enseignement, pour accueillir et conserver ces nouveaux arrivants » explique-t-il.
Chantal Jouanno est elle aussi certaine que les JO vont entraîner le développement de l’ensemble du karaté français. « Les choses vont s’accélérer, veut croire l’ancienne ministre. Le karaté est déjà extrêmement présent et apprécié dans de nombreuses communes, alors même qu’il n’y a pas toujours les bonnes infrastructures. Désormais, les autorités auront forcément un oeil plus attentif aux équipements. » Si Paris obtient les Jeux en 2024, et si le karaté est reconduit, le soutien matériel et populaire pourrait même se faire encore plus grand.
« C’est à la fois une grande et belle surprise et… tout sauf une surprise ! En 2004, nous y avions cru mais, avec le recul, nous n’étions pas prêts. Cette fois, un travail considérable a été fait en amont avec le système de cartons, de protections qui changent de couleur, etc. Notre discipline a su se remettre en question et il faut saluer ici le rôle moteur de notre fédération dans cette avancée. En tant qu’athlète, j’avais gagné tout ce qu’il était possible de gagner à l’époque mais, lorsque les gens me demandaient, presque comme une évidence, si j’allais aux Jeux et que je leur répondais « non », c’est comme si je dégringolais de trois étages dans leur estime ou que, d’un coup, je relevais soudain d’un sous-sport. Et encore, nous avions la chance de pouvoir participer aux Jeux méditerranéens… Je n’aurai donc pas eu la chance de pouvoir vivre cette expérience. Maintenant, le karaté ne s’arrête pas à ma petite personne et il faut se souvenir que tout ceci s’inscrit dans le temps. Sans doute que les jalons que notre génération a posés expliquent aussi cette évolution. Chaque acteur du karaté a apporté sa pierre à l’édifice. Tout le monde est remotivé et se projette déjà sur 2020 voire 2024. Car, dans un coin de notre tête, nul n’a envie que le karaté ne soit l’affaire que d’une seule édition des JO. Le karaté est devenu olympique et nous avons tous la ferme intention qu’il le reste car nous ne savons que trop le goût que ça laisse de rester à quai. Alors c’est à nous de jouer ! »
« J’étais en vacances en Suisse avec ma famille lorsque j’ai appris la nouvelle. Je dois dire que j’étais plutôt impatiente… En même temps, pour avoir travaillé dans le cadre de mes études à l’ESSEC sur la partie marketing de la candidature de Paris aux Jeux 2012, je sais d’expérience que, si tu n’es pas au cœur des dossiers, il y a beaucoup de choses qui t’échappent. C’était donc une impatience teintée de prudence malgré tout, ne serait-ce qu’en souvenir des espérances douchées tous les quatre ans pendant ma propre carrière – je n’ai pas vécu les Jeux mais j’ai vécu autre chose, et c’était très bien aussi ! En fait, nous remplissons de longue date les critères d’amateurisme et d’universalité mais, et je le mesure avec le recul aujourd’hui, il y avait encore beaucoup de choses à améliorer à l’époque : le fait que nous avions deux fédérations dans les années quatre-vingt-dix, le facteur risque de la discipline, l’arbitrage, la lisibilité… À cet égard je pense que la réussite des championnats du monde à Bercy a joué favorablement dans la décision finale, au même titre que le fait que ces premiers JO auront lieu au Japon a forcément été un levier. Du reste je mets déjà de côté pour pouvoir m’y rendre car, au-delà du lien évidemment très fort que notre discipline conserve avec cette culture, j’y suis moi-même très attachée, par goût, par lectures mais aussi tout simplement parce que ça fait partie de mon histoire à présent… Ça va être quelque chose ! »
Emmanuel Charlot