Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
La demande autour de la self-défense ne cesse de croître. Avec humilité, mais avec les certitudes d’un socle technique solide et son approche martiale, le tai-jitsu a des arguments à faire valoir. Paroles de profs.
René Batt, 6e dan, Ecully Arts Martiaux (Rhône)
« Comme apprendre à marcher »
« Ce que veulent les gens qui poussent la porte de mon dojo, c’est être proches de la réalité et ressentir qu’ils ont été confrontés à des situations possibles du quotidien en sortant de leur premier cours. C’est une constante depuis des années. Atemis, frappes, projections, immobilisations, que ce soit sur un étranglement ou une clé… Mon expérience, mon vécu, me permettent justement de proposer cette pratique tournée vers le concret. Les bases doivent se situer là pour que les gens adhèrent. J’ai toujours créé des clubs au gré de mes mutations professionnelles, y compris en Guyane. À travers ma fonction de gendarme, je me suis aussi efforcé de faire converger les pratiquants qui ont pourtant eu des profils très différents : faire de la formation en tant qu’instructeur corps-à-corps à l’EIS ou accompagner une mère de famille qui vient pour une pratique « santé » et pour acquérir quelques réflexes, c’est évidemment différent. Et, en même temps, pas tant que ça finalement. Dans les deux cas, c’est l’efficacité qui est au centre de l’apprentissage : pour le public militaire, y compris d’élite, du GIGN par exemple, c’est validé par ce que l’on appelait un parcours de synthèse, au plus près des situations réelles d’urgence et de combat. Pour la jeune femme ou le trentenaire qui a décidé de se lancer, c’est le chemin qui compte, la progression. Je prends souvent l’image de l’enfant à qui l’on apprend à marcher : se déplacer, esquiver, saisir, projeter, contrôler, tout cela s’apprend. Il y a d’autres formes de self-défense, qui attirent beaucoup de monde, mais je crois que ce que propose intrinsèquement le tai-jitsu, c’est aussi une forme d’exigence, du « pas toujours facile » qui donne de la valeur à ce que l’on fait. Après, il faut, à l’image de notre discipline, être ouvert et tenir compte d’une société qui bouge, des critères de la pratique du sport en général qui ont évolué : clairement, les gens cherchent du ludique. Mais ce n’est pas antinomique avec l’exigence dont je parle, c’est juste que les gens veulent pratiquer avec le moins de contraintes possibles. Beaucoup de mes élèves ne se voient pas faire des katas, mais cela n’empêche pas de les faire travailler sur leur posture et ils – un public féminin en forte hausse, beaucoup d’élèves qui n’ont jamais fait de sport de combat – comprennent cela très bien. Notre discipline ne sait peut-être pas toujours bien se faire connaître. Pourtant, le tai-jitsu possède un message et un contenu qui cadrent parfaitement avec la demande actuelle autour de la self-défense. »
Richard Le Saux, 4e dan, DETAÏ Saint-Nazaire (Loire-Atlantique)
« Une pratique sérieuse et rigoureuse »
« Aujourd’hui, avec l’avènement d’Internet, les gens veulent tout apprendre très vite. Il en va de même avec la self-défense, et c’est pour cela que le taï-jitsu trouve sa place. Nos techniques sont efficaces, et adaptées aux situations réelles de combat de rue. Nous n’oublions pas le côté martial de notre discipline et le respect des valeurs des Budo, c’est ce qui fait de nous un art martial, avec la tenue et le salut par exemple, mais nous restons ouverts à d’autre pratiques qui nous semblent bénéfiques. Nous observons deux phases de progression au club : la première est calquée sur les requis de la ceinture noire, que nous avons déclinés dans les programmes de nos ceintures de couleur ; la seconde concerne la self-défense pure, avec beaucoup de randoris, à deux puis en cercle, où l’on multiplie les possibilités avec des techniques de rue, avec ou sans arme, avec l’idée de proposer une réponse adaptée quelle que soit l’agression. Nous respectons avant tout le principe de légitime défense, en ne promouvant aucune agressivité, mais en cherchant l’automatisation des gestes qui peuvent vous permettre de sauver votre vie ou celle d’une autre personne. Nous cherchons aussi constamment à être économes de notre énergie, car nous ne connaissons jamais la situation avant d’y faire face, le nombre d’adversaires, les attaques qu’ils vont tenter, la précision et la puissance de celles-ci… C’est ainsi que nos licenciés durent dans le taï-jitsu, grâce à notre pratique sérieuse et rigoureuse. C’est important de transmettre ça à nos futurs gradés, à qui nous recommandons de prendre part à un maximum de stages pour élargir leurs connaissances, qui pourront alors essaimer la pratique du taï-jitsu dans d’autres clubs. »
Philippe Vervynck, 6e dan, Tai Jitsu Kai (Dordogne)
« Ouverture et humilité »
« Ma proposition en tant qu’enseignant ? De la self-défense par le tai-jitsu. C’est-à-dire la réponse à une demande forte en proposant quelque chose de riche, une pratique complète, ouverte, ancrée d’un point de vue martial aussi. Je pratique depuis quarante ans et, ce qui compte, ce que je cherche à faire passer comme message en tant qu’enseignant, c’est l’esprit d’ouverture. Je suis d’ailleurs des formations dans d’autres arts martiaux dont les arts martiaux vietnamiens. Par intérêt personnel, parce que j’aime apprendre, mais c’est aussi une posture : cela permet de s’enrichir et de quitter sa zone de confort. Yoseikan budo, kali eskrima, j’ouvre ma pratique et je transmets cette vision des choses dans mon club de Dordogne. Cet été, je pars au Japon avec Léo Tamaki pour un stage d’aïkido. La motivation de mes élèves ? Nous sommes un petit club de campagne, qui accueille de grands débutants – mes élèves sont d’ailleurs parfois mes patients en tant qu’ostéopathe – âgés de 24 à 65 ans, mais, comme ailleurs, leur premier objectif est de savoir se défendre. On fait la même chose que dans d’autres disciplines, il faut avoir la modestie et l’honnêteté intellectuelle de le dire et les bunkaï nous le rappellent, mais notre responsabilité en tant qu’enseignant, c’est de les amener à brasser une technique large et leur faire découvrir la richesse technique. Quand vous leur montrez le sens des choses, bien des gens se révèlent. Entre la forte demande, j’allais dire l’exigence autour d’une self-défense qui se pratique sans contrainte, la tradition et les rituels des arts martiaux, il existe deux approches qu’il faut marier, en gardant nos codes. Contrôle, sérénité, posture, ce sont des vertus qui vont au-delà de la pratique, que les gens peuvent percevoir dans leur vie quotidienne. L’aspect culturel de la discipline, c’est ce qui manque un peu quand on ne fait que de la self et, quoi qu’on en dise, ça parle aux gens : la tradition, c’est moderne. »
Olivier Remy et Antoine Frandeboeuf / Sen No Sen
Photo : Denis Boulanger
Antoine Sen No Sen