Une histoire d’accomplissement
Rencontre avec Isabelle AmielDepuis plus de trente ans, Isabelle Amiel, experte fédérale 6e dan, s’investit dans la pratique du nanbudo. Avec l’envie, toujours intacte, de transmettre son savoir au plus grand nombre et la volonté affirmée d’aider les karatékas féminines à obtenir la place qu’elles méritent. Une voix à la fois souple et exigeante alors que les femmes seront mises à l’honneur cette semaine.
Les budo avant le nanbudo
Des cours de danse classique, du VTT, un peu de planche à voile… Isabelle Amiel fait partie de ces personnes qui, au cours de leur jeunesse, se sont essayées à plusieurs sports. Mais c’est avec les arts martiaux japonais que la greffe a réellement pris. « J’ai toujours apprécié la philosophie propre aux budo, raconte la native de Paris. L’idée de suivre la voie d’un accomplissement personnel, de mener un combat contre soi-même plutôt que contre les autres, c’est ça qui me plaît. » Il y a d’abord le judo, de l’enfance à l’adolescence, puis le karaté shotokan pendant les études supérieures. Avant une découverte, un déclic. À l’âge de 22 ans, Isabelle déménage à Bagneux, dans le sud de l’agglomération parisienne. En bas de son nouvel appartement se trouvent un dojo et le nanbudo. « Attirée par la curiosité, je décide d’aller assister à un cours, se souvient-elle. Le coup de cœur a été immédiat. J’y ai retrouvé les projections apprises en judo, les coups de pieds et de poings enseignés en karaté, un état d’esprit similaire à celui de l’aïkido… J’ai tout de suite compris que cette discipline, véritable école de l’esquive, était faite pour moi ! »
« Une voie qui n’est pas accessible à tous n’est pas une voie. »
Apprentissage à l’international
Isabelle s’initie donc au nanbudo à Bagneux. Son sensei n’est autre que Stéphane Carel, lui aussi expert fédéral (6e dan) et grand artisan du développement de ce style à travers l’Hexagone. Peu attirée par la compétition, la Francilienne ne manque, en revanche, pas une occasion de partir en stage, y compris à l’étranger. De la Norvège au Maroc, en passant par l’Italie, la Slovénie ou encore l’Espagne et l’incontournable rendez-vous de Playa d’Aro, tous ces voyages – elle en a dénombré 141 au total ! – et les rencontres qui en ont découlé ont façonné cette pratiquante passionnée.
« Nous sommes une petite communauté à pratiquer le nanbudo en France, mais une grande famille à travers le monde, s’enthousiasme-t-elle. Ces stages ont jalonné mon cheminement personnel au cours de ces trente années. J’ai pu découvrir d’autres cultures, d’autres approches de notre discipline, et me lier d’amitié avec des gens que je revois avec plaisir lors de chaque stage. » Surtout, Isabelle mesure sa chance d’avoir pu côtoyer Yoshinao Nanbu, le fondateur du nanbudo. « Combien de budokas ont encore la possibilité de travailler directement avec celui qui a inventé leur discipline ? C’est un privilège immense, » souffle-t-elle.
La transmission, une vocation
En parallèle de ces différents stages, Isabelle poursuit sa route en tant que professeur au sein de son club. Il faut dire qu’elle a mis le pied à l’étrier très rapidement, après seulement six mois de pratique. « Isabelle pouvait déjà s’appuyer sur son passé de judokate, qui représentait un réel atout, explique Stéphane Carel. J’ai également assez vite décelé en elle des capacités pédagogiques indéniables. Elle sait comment faire progresser ses élèves, toujours avec bienveillance et attention. Enfin, j’ai souhaité la mettre en avant pour qu’elle soit un modèle, une source d’inspiration pour les jeunes filles et les adolescentes du club. » Cette nouvelle responsabilité suscite une vocation chez la Balnéolaise, qui abandonne son projet de devenir libraire et bifurque vers une carrière d’éducatrice spécialisée. Elle obtient son BEES 1er degré en 1999, intègre les jurys d’examen, intervient auprès des cadres fédéraux au cours de séminaires consacrés à la formation… et accorde un intérêt tout particulier aux pratiquants atteints d’un handicap. « J’ai l’habitude de dire qu’une voie qui n’est pas accessible à tous n’est pas une voie, affirme-t-elle. Ma plus grande victoire, c’est de trouver des solutions pédagogiques destinées à aider ceux qui rencontrent des difficultés. En apprenant à m’adresser à une personne handicapée, je majore mes compétences vis-à-vis des autres élèves du cours, qui vont mieux comprendre les consignes que je souhaite transmettre. »
« Les femmes peuvent avoir un autre regard sur la discipline. »
« Aider les femmes à franchir le pas »
Experte fédérale de nanbudo (6e dan), Isabelle Amiel est responsable technique du COM Bagneux, son club de toujours, depuis le départ à la retraite de Stéphane Carel. « Pour moi, c’était une évidence de lui transmettre le témoin, assure ce dernier. Je lui ai laissé prendre de plus en plus de place au fil des ans et, maintenant, c’est à elle d’avoir les rênes en mains. Je lui fais totalement confiance. »
La professeure de 54 ans s’investit aussi au sein de la commission nationale féminine de la FFKaraté, qui cherche notamment à développer l’organisation de stages réservés aux femmes. « Certaines pratiquantes se sentent plus à l’aise quand elles se retrouvent entre elles, précise Isabelle. Dans leur club, nombreuses sont celles qui sont assistantes mais ne deviennent pas professeur, comme celles qui ont la ceinture marron mais n’osent pas passer au grade supérieur. Notre rôle, c’est justement de les mettre en confiance et de les inciter à franchir ce pas. » L’autre cheval de bataille de la commission consiste à promouvoir la légitimité des haut gradées féminines à intervenir dans des stages qui, généralement, font la part belle aux experts masculins. « Les femmes sont susceptibles d’avoir une approche différente de celle des hommes, avance Isabelle. Ce n’est qu’une hypothèse, mais j’ai par exemple l’impression que les pratiquantes féminines sont plus sensibles à l’ouverture vers une pluralité de styles que leurs homologues masculins. Elles peuvent avoir un autre regard sur la discipline. À nous de faire en sorte qu’elles puissent le partager. »
Depuis l’Ariège, où il profite de sa retraite, Stéphane Carel conserve un œil attentif sur le parcours et les causes défendues par son élève de longue date. « Elle s’engage pour permettre aux femmes d’obtenir la place qui leur est due. J’en suis très fier, » avoue-t-il. Isabelle Amiel n’a, de son côté, jamais oublié le jour où elle a poussé, pour la première fois, la porte du dojo situé en bas de son immeuble. Et pour cause : cette porte ouvrait sur trois décennies d’échanges, de rencontres, de découvertes, de progression individuelle et de combats collectifs. Une porte qu’elle n’a, a priori, pas prévu de refermer de sitôt.
Raphaël Brosse / Sen No Sen