Z. Oshiro : «Le karaté d’Okinawa…»
Zenei Oshiro est 8e dan de karaté et 8e dan de kobudo, disciplines qu’il a débutées dans sa jeunesse sur son île natale d’Okinawa. À la veille d’un départ au Japon, le maître souriant évoque avec nous sa pratique et, comme le poète, c’est de l’âme des objets dont il nous parle, ceux du kobudo traditionnel…
Comment avez-vous commencé votre pratique ?
J’étais jeune à Okinawa, et nous avions envie d’être fort, comme tous les jeunes ! Quand j’allais à l’école du côté de Naha, je passais devant le dojo. J’ai fini par y entrer, vers quinze ans. C’était le grand dojo de Eiichi Miyazato, élève direct de Miyagi Chojun, qui sera élevé au grade de dixième dan. C’était un policier, il était aussi 7e dan de judo. C’est comme cela que j’ai commencé le karaté goju-ryu. À l’époque, il n’y avait pas de compétition, ce n’était pas vraiment un esprit sportif. On venait pour apprendre un système de self-défense. Il n’y avait pas de section enfant, les adolescents comme moi, étaient avec les adultes et ce n’était pas très ludique. Il y avait énormément de répétitions, peu de variété technique. Nous faisions des combats les uns contre les autres et le reste du temps était consacré au renforcement et à l’endurcissement du corps.
« La spécialité de mon village, c’était le combat au bâton. Des bâtons de grande taille, un peu plus de 1m80. »
Cela se passait comment concrètement ?
Pour l’endurcissement, nous nous frappions sur le corps chacun notre tour. Pas les jambes, c’est une habitude plus récente. Quand on pratiquait le kata Sanchin, c’est un ancien qui nous frappait. Pour le renforcement, on utilisait les fameux objets de musculation d’Okinawa. On utilisait beaucoup le Chiishi, une pierre au bout d’un bâton, pour muscler les bras et les poignets, et puis bien sûr la jarre, on dit Nigiri Game, dans laquelle on rajoutait du sable pour porter plus lourd. Il y avait aussi des haltères en pierre avec une poignée un peu comme des « Kettelbell », que l’on appelle Sashi. De temps en temps, on travaillait aussi avec le Kongoken, ce gros anneau ovale de métal de la taille d’un homme, mais c’était plus rare. Avec ça, nous étions contents, on était là pour souffrir de toute façon. Et d’ailleurs, ce n’était pas si mal pour la jeunesse, ce type d’entraînement. On faisait aussi beaucoup de makiwara, mais celui d’Okinawa était beaucoup plus souple, ce qui nous obligeait à entrer dans la distance pour mettre de l’impact. Ceux que l’on trouve ici sont souvent trop durs, on a l’impression de frapper un mur.
Et pour le Kobudo, vous avez commencé comment ?
Maintenant, tout cela fait partie de la ville de Naha mais, quand j’étais jeune, c’était des agglomérations autour. Moi, j’étais de Mawashi et plus précisément du village de Uema. La spécialité, c’était le combat au bâton. Des bâtons de grande taille, un peu plus de 1m80. On en trouvait dans beaucoup d’habitations, ils étaient nombreux à savoir les faire. Nous, les enfants, jouions sur les places et ceux qui savaient nous montraient comment faire. Je me souviens que les dix plus forts faisaient partie de la milice du village. Quand il y avait un problème, ils intervenaient. La police mettait longtemps à arriver. J’ai vu attraper quelques voleurs ! C’est pour cela que, quand je suis arrivé à l’Université, j’ai voulu continuer le karaté, mais aussi apprendre le kobudo avec Matayoshi Sensei.
Quel était le contenu de l’enseignement ?
On commençait par le bâton. Cela pouvait durer deux ans, mais moi qui en avais fait jeune, je suis passé à la seconde arme en quelques mois, même si la pratique était tout de même assez différente. Dans mon village, c’était une arme liée aux postures de karaté, avec des gestes plus courts, avec Matayoshi, le style était plus allongé. La seconde arme qu’il faisait travailler, c’était le Sai. En quelque sorte le complément du bâton. On ne sait pas très bien d’où ça vient, mais ça permettait à la police royale d’intervenir sans tuer en contrôlant les attaques éventuelles au bâton. Pas au sabre, il n’y en avait pas à Okinawa… Ensuite, on passait au tonfa, une arme de défense parfaite. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est devenue universelle, car elle s’adapte très bien à la pratique du karaté, en protégeant les avant-bras et en permettant d’attaquer. À l’origine, c’est une simple manivelle que l’on plaçait dans une meule. Il y avait aussi le nunchaku. Une arme particulière parce qu’elle n’est pas très utilisable en défense. En revanche, elle est redoutable en attaque et elle avait la particularité de pouvoir se cacher facilement dans une manche. C’était l’arme pour une agression inattendue et foudroyante. À l’origine ? Un battoir à riz, un mors pour les chevaux… Et puis on passait aux kama, les deux faucilles, une dans chaque main. Pas de kusarigama, la faucille avec la chaîne lestée. L’intérêt de la faucille, c’est sa légèreté. Il faut pouvoir lâcher le corps, bouger complètement. Il y avait d’autres armes, comme l’eku, la fameuse rame d’Okinawa…
« On sépare artificiellement les choses. Le karaté et le kobudo, pour moi, c’est la même chose. »
Pourquoi Okinawa a-t-il su préserver ce patrimoine si particulier à travers le temps ?
Je pense que l’histoire originale d’Okinawa est liée en partie à son isolement. Il y avait des communautés, des pêcheurs, des paysans, avec leur façon à eux de se défendre, mais je ne crois pas que ce soit eux qui ont structuré leurs habitudes de combat. À certaines périodes, les clans japonais se sont effondrés et les samouraïs se sont retrouvés seuls au bout du monde. Ils se sont adaptés pour survivre. Ils se sont fondus dans ces communautés, devenant pêcheur ou paysans, tout en gardant une part de leur statut ancien. Ce sont eux, à mon avis, qui ont enrichi ces systèmes de combat, qui les ont transmis. Ensuite, c’est notre culture. Au Japon, on garde tout !
Quel est l’intérêt selon vous, de pratiquer une arme blanche en plus du karaté ?
Chacune d’elle apporte quelque chose, possède son caractère particulier. Je ne suis pas très amateur du nunchaku, parce que, même si on s’amuse avec, les sensations du corps ne sont pas très complexes. En revanche, c’est une arme intéressante pour le jeu des distances, le rythme. Et puis c’est une arme agressive. Moi, c’est le bâton que je préfère. J’aime ce qu’il nécessite de travail de hanche, le jeu des esquives… Maîtriser une arme traditionnelle, bien sûr, ce n’est pas pour aller faire la guerre, c’est un plaisir et une formation de soi, mais cela donne aussi de la confiance. Avec un bâton, on peut vraiment se défendre. Et puis on peut aussi s’adapter aux armes blanches modernes. Mais, curieusement, pour moi, avec ou sans arme, c’est devenu la même chose. Le travail des armes m’a vraiment fait comprendre comment le corps peut être une arme lui-même. Et je retrouve naturellement le modèle traditionnel d’Okinawa dans le karaté. On sépare artificiellement les choses aujourd’hui. Le karaté, le kobudo ce n’est pas la même chose… Mais pour moi, si. Et dans le temps, c’était ça aussi. Le karaté, c’était trois ou quatre katas, et une arme. C’était la logique de ce temps-là. C’est intéressant de retrouver ça aujourd’hui : être un guerrier pacifique avec une arme blanche.